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Le dopage se lève à l’Est
Radié du Comité international olympique pour avoir mis en place un dopage d'État organisé en Russie, l'ex-ministre des Sports Vitaly Mutko est désormais président de la Fédération russe de football. Un homme à qui la FIFA laisse les coudées franches pour organiser le Mondial 2018. Inquiétant, alors que le rapport McLaren, à l'origine des révélations sur les tricheries institutionnalisées dans le sport russe, indique que les footballeurs de la Sbornaya pourraient, eux aussi, avoir falsifié leurs tests physiologiques.
Plus que sept petits mois avant le mondial russe. Le premier sous la présidence de Gianni Infantino. Un peu plus d’une demi-année pour finaliser un événement qui représente entre 80 et 90% des revenus de la Fédération internationale. Des enjeux colossaux, qu’il s’agit de protéger coûte que coûte. Quitte à contourner les problèmes, plutôt que de les régler. En décembre 2016, l’agence mondiale antidopage a rendu public le rapport McLaren, qui a permis de mettre en lumière le dopage systémique dont ont bénéficié les athlètes russes entre 2011 et 2015. Un document qui interroge aussi la crédibilité des tests antidopage qui ont été administrés aux footballeurs de la Sbornaya. Sans soulever de réaction notable de la part de la Fédération internationale de football.
Magouilles politiciennes
Le maintien de Vitaly Mutko à son poste de président de la Fédération russe de football en est l’illustration la plus édifiante. Banni par le CIO pour avoir dissimulé un système organisé de dopage dans le sport russe, l’ex-ministre des Sports peut superviser peinard l’organisation du Mondial 2018. Cornel Borbély, le président du comité d’éthique de la FIFA, qui supervisait notamment une enquête sur Mutko, a été relevé de ses fonctions en décembre, probablement parce que sa volonté d’éclaircir certaines zones d’ombre n’était pas du goût de la FIFA. En septembre, c’est Miguel Maduro, le patron du comité de gouvernance de la FIFA, qui a dû prendre la porte, alors qu’il avait invalidé la candidature de Mutko à un mandat supplémentaire au sein de la Fédération. Signe, alors que la Coupe du monde approche, que la machine FIFA veut à tout prix éviter de s’enrayer. « Notre décision vis-à-vis de Mutko était problématique et la FIFA avait besoin de trouver une solution pour qu’il soit rééligible, expliquait Maduro fin septembre. La secrétaire générale de la FIFA m’a dit que, dans le cas contraire, les conséquences pourraient être désastreuses pour la Coupe du monde et que la présidence d’Infantino pourrait être remise en question. »
Sbornaya et soupçons
L’activisme modéré de la Fédération internationale sur la question du dopage dans le football russe ne se limite pas à ces joutes politiciennes. Selon Richard McLaren, l’avocat qui a piloté le rapport de la commission d’enquête sur le dopage organisé en Russie, la documentation qu’il a fournie sur le sujet doit permettre à la FIFA d’enquêter sur de potentielles irrégularités dans le football russe : « Mon travail m’a amené vers différents sports, football inclus. Je n’ai aucune idée de ce que fait la FIFA. C’est à elle d’enquêter si elle décide qu’elle doit le faire. Mais elle n’a pas vraiment rebondi sur mon travail… »
Vitaly et deux copains de petits fours
Pourtant, s’il n’apporte pas de preuves formelles que la Sbornaya a usé de produits pour augmenter les performances de ses joueurs, le rapport McLaren fait état de l’existence d’un document retrouvé dans un laboratoire moscovite, où sont mentionnés les noms de 24 footballeurs de la sélection. Ce document indique que chacun d’eux a été soumis à des tests pour examiner si l’on trouve de l’EPO et de la testostérone dans leur organisme. Aucun résultat n’y est mentionné. De quoi alimenter les soupçons : le rapport McLaren dénonce en effet l’échange massif d’échantillons d’urine pratiqués par les laboratoires russes, qui ont permis aux sportifs russes d’échapper à la vigilance des contrôles antidopage lors des JO de Sotchi en 2014. La question étant bien entendu de savoir si les échantillons des footballeurs russes ont eux aussi été faussés, alors qu’ils contenaient une substance illicite. Des éléments semble-il trop minces pour décider la FIFA à pousser plus loin son investigation. Pas forcément surprenant, alors que la Fédération internationale ne s’est jamais montrée très proactive à l’heure de lutter contre le dopage.
La boîte de Pandore
« Depuis près de quarante ans, la FIFA reste sur une ligne identique sur le dopage » , déplore Jean-Pierre de Mondenard, médecin du sport et spécialiste du dopage, auteur de Dopage dans le football, la loi du silence. « Infantino tient le même discours que ses prédécesseurs. Il se gargarise du nombre de contrôles négatifs, mais c’est un non-sens, car le jeu numéro un du sport professionnel, c’est précisément de feinter le gendarme… »
Le football russe doit donc pouvoir continuer à dormir sur ses deux oreilles. Selon l’avocat de Grigory Rodtchenkov, le responsable du laboratoire russe à l’origine des révélations sur le dopage d’État en Russie, la FIFA n’a même pas cherché à joindre son client, alors que le lanceur d’alerte avait fait savoir qu’il avait en sa possession des informations complémentaires sur les footballeurs de la Sbornaya. « Là encore, rien de surprenant » reprend De Mondenard. « Pourquoi est-ce que la FIFA irait ouvrir la boîte de Pandore ? Si elle dévoilait un scandale lié au dopage, elle agirait contre ses intérêts. En fait, la seule solution pour lutter contre la tricherie serait de virer la lutte antidopage des mains du monde du sport, pour la confier à un organe juridique indépendant. » Une initiative qui relève encore de la science-fiction. « Tout ça me rappelle une confidence que m’avait faite un médecin de la FFF dans les années 1980, se remémore De Mondenard. « Il m’avait dit : « Pour lutter contre le dopage, moins on en parle, moins il y en a. » C’était il y a trente ans. Et on en est toujours au même point. »
Par Adrien Candau
Propos de Jean-Pierre de Mondenard recueillis par AC, ceux de Richard McLaren issus de de l'Equipe du lundi onze décembre, ceux de Miguel Maduro issus de The Guardian.