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Le divin chauve
À 35 ans, Esteban Cambiasso est toujours de ce monde. Après une saison à Leicester, l'Argentin a pris la route du Pirée et de l'Olympiakos cet été. Ce soir, le nouveau numéro 91 du club grec retrouve la Ligue des champions. Le gaucher le plus sous-coté du football argentin respire encore le football. Tant mieux.
José Mourinho est plutôt du genre radin quand il s’agit de faire des compliments. Alors, quand le Portugais parle d’Esteban Cambiasso en 2009, il faut graver dans le marbre les mots du Special One : « C’est le joueur le plus rapide que j’ai entraîné. Et quand je dis rapide, je parle de là où ça sert le plus… » , comprendre dans la tronche. Parce que si Esteban Cambiasso joue encore au football de très haut niveau à 35 ans, c’est qu’il réfléchit plus vite que la moyenne. Rarement spectaculaire ou efficace, Cambiasso est indispensable car invisible. Il est de ceux dont l’absence se remarque plus aisément que la présence. La marque des grands. Surtout, Cambiasso est éternel. À croire que le football a toujours existé avec Esteban…
Bordel juridique
Systématiquement surclassé, Cambiasso est champion du monde des moins de 20 ans… à 16 piges. On est en 1997 et il perd déjà ses cheveux. Sur les pelouses de Malaisie où se dispute la Coupe du monde U20, José Pékerman en fait son relais sur le terrain. Au milieu de Samuel, Aimar, Scaloni et Riquelme, la patte gauche de Cambiasso met tout le monde au pas alors qu’il est encore mineur. Il sera le premier buteur en finale contre l’Uruguay. Deux ans après une troisième place au Mondial U17, Cambiasso continue son apprentissage. Comme le gratin argentin, il est formé à Argentinos Juniors. À 15 ans, le Real Madrid met en place une OPA pour le recruter. Dans ce bordel juridique, le club de Bueno Aires s’estime volé et demande à la Fédération argentine de refuser le transfert. En vain.
À 16 ans, le gaucher rejoint donc le Real pour un transfert précoce qui lui permettra de côtoyer son idole, Fernando Redondo, formé, comme lui, à Argentinos Juniors. Le challenge est sans doute trop grand, alors après deux saisons chez les jeunes du Real, Cambiasso retourne en Argentine faire parler de lui. D’abord à Independiente, puis à River Plate. Plus sûr de son football et maintenant majeur, l’Argentin revient au Real… où il ne s’impose pas. La pression l’étouffe. Et les comparaisons encore plus. Présenté très vite comme le nouveau Fernando Redondo, « El Cuchu » n’a ni l’élégance ni le charisme de son aîné. Chauve, discret et beaucoup trop travailleur, Cambiasso n’est pas un artiste. C’est un bosseur. C’est donc libre qu’il quittera le Real Madrid pour l’Inter en 2004. Le début de la gloire.
Une minute, 24 passes, un but
Jusqu’ici, Cambiasso n’était compris que d’un seul homme : José Pékerman. Celui qui a entraîné tous les jeunes de son pays pendant plus de dix ans est aussi celui qui a responsabilisé Cambiasso très tôt (77 matchs en Juveniles, ce n’est pas rien). En 1996, alors âgé de 15 ans, Esteban fait fureur au Tournoi de Toulon. Pékerman sait qu’il tient son futur patron. En jeunes, le gaucher se familiarise avec la formule de son coach, la règle des 3G : gañar, gustar y golear (gagner, plaire et cartonner), le summum en Argentine. Cette plénitude, le garçon ne la touchera qu’une seule fois avec les A. Le 16 juin 2006 contre la Serbie. Un match qu’il commence sur le banc. Lucho González se blesse rapidement et le joueur de l’Inter entre sur le pré. L’Argentine mène déjà d’un but quand la machine s’emballe. 24 passes plus tard, Cambiasso est à la conclusion d’une action collective exceptionnelle. Sans doute le plus beau but collectif de l’histoire de la sélection. Un rayon de soleil dans une carrière internationale mitigée.
Avec « seulement » 52 sélections, le gaucher n’a pas toujours été dans les petits papiers des sélectionneurs. Ainsi, en 2010, Diego Maradona décide de se passer d’un garçon qui vient de réaliser un triplé historique avec l’Inter. La réaction de l’intéressé ? Un modèle de diplomatie. « Il faut tout donner à l’équipe nationale et ne jamais rien lui demander. » Diego Maradona avait-il toute sa tête au moment de coucher les 23 noms pour l’Afrique du Sud ? Avait-il regardé la folle saison de Cambiasso du côté de l’Inter, avec, en point d’orgue, cette demi-finale retour contre le Barcelone au Nou Camp ? Réduit rapidement à dix suite à l’expulsion de Thiago Motta, les Interistes sortent le grand jeu. Sur l’immense pelouse catalane, Cambiasso gueule comme jamais. Il annonce à ses copains les systèmes de jeu.
Comme un meneur de jeu au basket, un sport qu’il a longuement pratiqué jeune et dont il a gardé certains réflexes : « J’en ai gardé une vision d’ensemble du jeu, plus panoramique : le meneur de jeu doit contrôler les mouvements de ses coéquipiers. » En Italie, « Chucu » va gagner quinze titres et le respect de tous ses entraîneurs. Certains voient en lui un futur confrère. « En fait, c’est un entraîneur sur le terrain » , avait analysé Rafael Benítez, en juillet 2010. Cambiasso était à l’Inter ce que Motta est au PSG, l’ADN du club. En attendant la retraite pour celui dont la famille est originaire d’Italie – Serra Riccò, province de Gênes –, la tête est à l’Olympiakos, club qu’il a rejoint durant l’été. À 35 ans, celui qui a passé la totalité de son immense carrière dans l’ombre a envie de profiter une dernière fois des projecteurs d’un stade, le seul prisme qui le met en lumière 90 minutes par semaine.
Par Mathieu Faure