- Rétro
- Ce jour-là
- 27 juillet 1947
Le dernier tango d’Arsenio Erico
Le meilleur buteur de l'histoire du championnat argentin est paraguayen. Son nom : Arsenio Erico. Avec Independiente, l'homme en osier a écrit sa légende à partir de 1934. Admiré par Alfredo Di Stéfano, le Paraguayen fera ses adieux au football albiceleste un 27 juillet 1947.
La guerre du Chaco fut la plus meurtrière du XXe siècle en Amérique du Sud. Un conflit frontalier entre Bolivie et Paraguay qui éclate le 9 septembre 1932. Un conflit qui provoqua l’exil de longue durée du génie du football paraguayen, Arsenio Erico. En 1930, le surdoué avait fait ses débuts en première division dès ses 15 ans, avec le Nacional Asunción. Certains biographes assurent que son jeune âge lui permettra d’éviter d’être mobilisé deux ans plus tard pour une guerre qui fit près de 100 000 morts entre 1932 et 1935. D’autres soutiennent que l’admiration d’un gradé lui a valu d’échapper aux tranchées. Concrètement, Erico va quitter le territoire paraguayen pour défendre les couleurs de la Croix Rouge. Le Paraguayen va disputer des matchs en Argentine et en Uruguay afin de réunir des fonds pour venir en aide aux victimes du conflit. Petit-fils d’Italiens au visage d’enfant de chœur, Erico va briller sous l’étendard de la Croix-Rouge, au point de ne pas revenir au Paraguay.
En 1934, en pleine guerre du Chaco, Erico fait ses débuts au sein du championnat argentin. Independiente, son employeur, serait parvenu à négocier un permis pour le dégager de ses obligations militaires. Sous les couleurs d’El Rojo, Erico va rapidement devenir l’une des grandes attractions du championnat argentin et les buts commencer à tomber en cascade. Même si l’on n’en pince pas pour le club d’Avellaneda, on paie son billet pour admirer Erico. En Argentine, l’homme d’Asunción va jusqu’à émerveiller le jeune Di Stéfano : « Quand j’ai eu 12 ans, j’ai découvert l’attaquant paraguayen Arsenio Erico, s’était rappelé la Saeta Rubia dans une interview à So Foot, il avait de longues jambes et il était très fantaisiste balle au pied. Il était différent des autres : on aurait dit qu’il sortait d’un cirque. C’est l’un des premiers joueurs qui faisait des talonnades, par exemple. J’adorais ça. » L’habileté et la souplesse d’Erico lui valut d’être surnommé « l’homme en osier » , ou « l’homme en plastique » . Pour d’autres, il était « le lutin rouge » ou « le Paraguayen en or » . Un attaquant si brillant qu’il se devait d’être argentin…
Conscients de ce que pourrait apporter Erico à l’Albiceleste, les dirigeants argentins vont faire le forcing pour enrôler le Paraguayen sous leurs couleurs. Mais l’homme en osier s’y refuse, même si le fait d’évoluer à l’étranger lui interdit de défendre les couleurs de son pays de naissance. Le génie paraguayen ne portera d’ailleurs jamais le maillot de l’Albirroja malgré un bref retour vers son cher Nacional en 1942, alors qu’il se remettait tout juste d’une blessure aux ménisques. À Asunción, le surdoué ne s’éternisera pas. À peine revenu au pays, qu’il repart faire le bonheur d’Independiente, avec qui il avait déjà remporté deux championnats de rang en 1938 et 1939. Attaquant acrobate – il s’est notamment fait connaître en inscrivant un but d’un coup du scorpion face à Boca – Erico était aussi une machine à marquer : 293 buts au total inscrits lors du championnat argentin entre 1934 et 1947. Un record qu’il partage avec Angel Labruna, éminent membre de la Maquina de River Plate.
Amputé d’une jambe
Autant que la quantité de surnoms dont on l’affuble – on l’appelait aussi l’homme-gomme, le Mage, l’aviateur, le roi du but – les hommages posthumes dont il fera l’objet donnent une idée de la dimension du joueur. Une tribune du Defensores del Chaco, le stade où le Paraguay joue ses rencontres, porte son nom, comme le stade du Nacional et une tribune du stade d’Independiente. En 2010, l’état paraguayen, après avoir bataillé plusieurs années, parvient à faire rapatrier les restes d’Erico, décédé à Buenos Aires. Au pays de Larissa Riquelme, l’ex-goleador d’Independiente est généralement considéré comme le meilleur joueur national de tous les temps, devant José Luis Chilavert. Le lendemain de son décès, le 23 juillet 1977, Independiente l’emporte face à River Plate et le stade rend hommage à son idole en chantant « on le sent, on le sent, qu’Erico est présent. » L’équilibriste d’Asunción s’était fait amputer la jambe gauche quelques mois auparavant.
Avant de terminer sa carrière en pente douce au Nacional (1948), un Erico fatigué avait fait ses adieux au championnat argentin le 27 juillet 1947 sous le maillot d’Huracán. Le genou gauche en bouillie, le Paraguayen alors âgé de 32 ans, n’est plus le même. La machine à marquer s’est enrayée. Pas un but lors de son ultime saison à Buenos Aires. Son dernier match, Erico le joue face à Independiente. Le club où il a brillé au point d’être considéré en Argentine comme l’un des plus grands joueurs de l’histoire. Un club qui lui a aussi sans doute évité de participer à la guerre du Chaco.
Marcelo Assaf, avec TG