- Le derby du week-end – Pologne – Górnik Zabrze/Ruch Chorzów
Le derby de la Silésie, en souvenir du bon vieux temps
Ce soir se déroule le « Wielkie Derby Śląska » entre Górnik Zabrze et Ruch Chorzów. Une confrontation qui reste une institution en Pologne, entre deux clubs voisins de la riche région de Silésie, qui ont raflé une quantité impressionnante de titres à l'époque du communisme et ont brutalement sombré à la fin des années 80. Mais les deux rivaux, portés par une popularité toujours intacte, espèrent bien un jour revenir à la lumière. Un jour sûrement, bientôt peut-être.
C’est la rentrée scolaire dans pas longtemps, alors mettons-nous tout de suite dans le bain et commençons cet article par un nécessaire petit cours d’histoire-géo. Promis, ce sera ni trop long ni trop chiant. Donc il est ici question de deux villes voisines, Zabrze et Chorzów, actuellement situées dans une vaste conurbation du Sud-Ouest de la Pologne. La région en question se nomme la Silésie, un secteur riche en ressources naturelles et donc convoitée depuis un bon millénaire par différents peuples, pays, rois et autres connards – on parle ici notamment d’un certain Adolf H. De fait, les frontières de la Silésie ont souvent changé, et d’ailleurs, aujourd’hui, une petite partie de la région historique se situe en Allemagne et en République tchèque. Résultat des courses, on a tendance dans le coin à se sentir parfois plus « silésien » dans l’âme que vraiment polonais, d’autant que comme on l’a déjà dit, ce coin de terre est – était – gorgé de minerai de charbon et de fer. Ce n’est pas qu’on est franchement autonomiste, mais disons qu’on est fier de son identité. Et on bombe le torse lorsqu’il s’agit de regarder du côté de Varsovie, de Lodz, de Poznań ou de Gdansk.
L’âge d’or des sixties
C’est là qu’on en arrive au football. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, alors que se met en place dans le pays un régime communiste, les mines de la région tournent à plein et la population en Silésie grossit, grossit. Dans ce bassin privilégié, centre de l’industrie de la Pologne, les travailleurs doués balle au pied sont proportionnellement plus nombreux qu’ailleurs. Le club de Ruch Chorzów, qui cartonnait déjà dans les années 30, retrouve vite le chemin du succès et continue sa collecte de titres. Il est bientôt rejoint par le Górnik Zabrze, nouveau club créé en 1948 dans une ville située à moins de 20 bornes et qui gagne son premier championnat en 1957. C’est à partir de cette époque que la rivalité entre les deux clubs va vraiment se développer, avec ce qui va devenir le grand derby de Silésie, autrement appelé « Wielkie Derby Śląska » . Malgré la puissance de clubs du calibre du Legia Varsovie ou du Wisła Cracovie, la domination des clubs silésiens sur le football polonais est incontestable, notamment dans les années 60. De 1963 à 1967, Górnik Zabrze gagne cinq fois consécutivement, un record. Ruch Chorzów aussi se débrouille, de même qu’épisodiquement d’autres formations voisines (Polonia Bytom, Zaglebie Sosnowiec…). À l’issue de la saison 62-63 par exemple, les cinq premières places du championnat sont squattées par des clubs de Silésie.
Lubański, Szarmach, Gorgoń, Maszczyk…
Dans ce contexte de domination, le derby entre Zabrze et Chorzów revêt une importance capitale, car il décide souvent de qui est le plus fort sur la saison. Avec les titres qui s’accumulent, la popularité des deux clubs grossit d’année en année, particulièrement Górnik Zabrze, qui revendique des fans de tout le pays, tandis que le rival garde une base plus locale. La plupart des confrontations entre les deux équipes se dispute dans l’immense stade national de Silésie – Stadion Śląski en VO –, avec des affluences atteignant parfois les 100 000 spectateurs ! La légende raconte que ce stade – actuellement en cours de rénovation – était si large avec sa piste d’athlétisme qu’il fallait des jumelles pour suivre les actions de match depuis les rangs les plus hauts. Les deux adversaires ont vu passer au fil des années quelques-uns des plus grands joueurs de foot polonais : Pohl, Lubański, Szarmach, Gorgoń ou Urban côté Górnik, Cieślik, Maszczyk, Buncol ou March côté Ruch. Ils ont aussi eu chacun leur petit succès sur la scène continentale : un quart de C1 en 1968 et une finale de C2 en 1970 pour Górnik, un quart de C3 en 1974 et un quart de C1 en 1975 (perdu face à Sainté) pour Ruch. Bref, on avait affaire à du lourd.
De 100 000… à 3 000 spectateurs
Sauf qu’aujourd’hui, c’est du passé. Les deux rivaux ont lourdement chuté quasi en même temps et à un moment symbolique de l’histoire du pays, lors de la chute du régime communiste à la fin des années 80. Górnik Zabrze conquiert un 14e et dernier titre national en 1988, Ruch Chorzów fait de même un an plus tard. Depuis, plus rien ou presque. Les deux clubs ont terriblement souffert de ce changement d’ère et de la fin de l’âge d’or industriel de la région. Les autres villes du pays ont grossi, se sont enrichies et ont pris naturellement le leadership. Pourtant, le derby de Silésie garde une grande importance en Pologne. Par deux fois en 2008 et 2009, l’affiche a réuni plus de 40 000 spectateurs dans le grand « Stadion Śląski » , basé à Chorzów (avec parfois des affrontements violents entre supporters des deux camps). Mais depuis, l’enceinte est en travaux et aucun des deux clubs ne dispose d’infrastructure décente pour accueillir un tel match. Ce sera le cas pour Górnik Zabrze, qui doit bientôt inaugurer un nouveau stade de 32 000 places. En attendant, le match de ce soir se disputera devant 3000 personnes maximum… À Chorzów, on attend aussi la fin des travaux du stade de l’antique stade de Silésie pour remplacer ne serait-ce que ponctuellement le vieux « Stadion Ruchu » de 10 000 places. Avec de beaux écrins, ce serait déjà un bon signe de renouveau pour ces deux clubs mythiques, qui espèrent un jour retrouver les sommets du football polonais. C’est peut-être pour bientôt : Ruch Chorzów a terminé second lors de la saison 2011-2012 et Górnik Zabrze accueille son meilleur ennemi ce soir en position de leader.
Par Régis Delanoë, avec l'aide précieuse de Ryan Hubbard