- Liga
- 6e journée
- Real Madrid/La Corogne
Le Deportivo, nouveau jouet de Jorge Mendes
Endetté jusqu'à la nouille et incapable former une équipe compétitive pour la Liga, le Deportivo La Corogne s'en remet à la bienveillance d'un homme, Jorge Mendes, agent de Ronaldo et de Mourinho, roi du transfert. Malin. Mais risqué.
« Aujourd’hui le Depor, c’est Jorge Mendes. » Confortablement enfoncé dans son fauteuil au bar du Marriott de La Corogne, Jacques Songo’o, portier de légende du Super Depor — tombé amoureux de la cité au point d’y résider encore aujourd’hui — dresse un constat amer de la situation : « Dans l’équipe aujourd’hui, sept ou huit joueurs appartiennent à Mendes. Sur 25 joueurs, ça fait beaucoup. C’est quasiment du jamais vu dans l’histoire du football. C’est comme si Mendes contrôlait le club. » Une étonnante situation qui est avant tout le fruit de la vieille amitié entre l’omnipotent président des Bleu et Blanc, le bien nommé Augusto César Lendoiro, et l’agent de footballeurs le plus puissant du monde. Amitié désormais remise au goût du jour.
Le président et le loueur de VHS
Les deux hommes se sont rencontrés il y a presque une vingtaine d’années. A l’époque, Mendes n’était encore qu’un petit self-made man ordinaire. Il tenait quelques vidéoclubs, bars et discothèques des deux côtés de la frontière entre l’Espagne et le Portugal. La légende ne dit pas si c’est la cinéphilie ou l’amour de la boisson qui rapprocha les deux hommes mais le fait est que c’est à cette époque que Lendoiro, tout-puissant président des « Blanquiazules », aide le jeune Mendes à réaliser son premier transfert en acceptant d’acheter le portier Nuno au Vitória Setúbal. Une histoire d’amour vient de naître. « Il lui arrive de se taper des heures en voiture uniquement pour prendre un café. A la fin, il parvient toujours à me refourguer un joueur dont je n’ai jamais entendu parler. En affaires, il est redoutable« , racontait Lendoiro à l’époque où le Depor était encore grand et Mendes encore petit. Depuis, les rôles se sont inversés, le natif de Lisbonne est le patron d’un vaste empire, Gestifute, et l’une des personnes les plus influentes du monde du football. Pourtant, du haut de son piédestal, le confident de Cristiano Ronaldo n’a pas oublié celui qui jadis fut son mentor. A l’été 2011, lorsque le Depor est relégué en Deuxième division, Mendes expose sa volonté d’aider son vieux compagnon à remonter en Liga.
A cette époque, Bruno Gama et Diogo Solomão sont les premiers à débarquer sur la plage de Riazor. Mendes fait jouer ses relations pour que les deux garçons, barrés dans leur club respectif mais prometteurs, soient prêtés au Depor. Bien entendu, Jorge n’est pas tout à fait désintéressé dans l’opération. En plaçant ses produits à La Corogne, même en Adelante, il leur assure une visibilité qu’ils n’auraient jamais eue avec la réserve de leur ancien club. Une situation qui leur offre aussi la possibilité d’exploser au plus haut niveau et éventuellement d’être transférés vers un club plus huppé. Évidement, Mendes choperait dans ce cas sa petite commission sur le transfert. Accablé par le poids de sa dette — même la vieille camionnette du club est hypothéquée au profit du Real Majorque pour des arriérés impayés sur le transfert de Diego Tristan — et incapable d’accumuler les salaires, Lendoiro a trouvé un moyen habile de renforcer son équipe. Un moyen cependant précaire puisque, les joueurs étant prêtés sans option d’achat, le club ne touchera pas un centime si les garçons explosent et mettent les voiles, en Angleterre par exemple.
« Sois tranquille, c’est mon ami Jorge qui fait l’équipe«
A peine la montée acquise, José Luis Oltra, coach du Deportivo, serait allé voir son président pour lui demander des recrues de poids, histoire de ne pas faire le coup de l’ascenseur. Le bon Lendoiro l’aurait alors pris par l’épaule et lui aurait glissé à l’oreille : « Ne t’inquiète pas. Ici, c’est mon ami Jorge qui fait l’équipe. » A l’essai en 2011, l’expérience a donc été répétée et amplifiée cet été. L’ancien de l’Atletico Pizzi, le prometteur néo-international Nelson Oliveira, André Santos, Thiago Pinto et Roderick — tous pensionnaires de Gestifute — ont été cédés pour un an au Depor. Par ailleurs, les prêts de Bruno Gama et Solomão ont été prolongés. Si Lendoiro ne s’étend pas publiquement sur l’état des comptes du club, il ne minimise pas, en revanche, l’importance prise par Mendes dans l’organisation du club. « J’essaie de construire une équipe qui fasse envie aux supporters. Jorge fait partie du projet, il nous aide beaucoup. » Toutefois, derrière l’idylle de façade se cache en réalité une situation de dépendance périlleuse sur le long terme.
Le Depor n’est quasiment plus propriétaire de ses joueurs. Les rares garçons appartenant réellement au club se comptent sur les doigts d’une main. La majorité d’entre eux, les vétérans Valerón et Manuel Pablo en tête, seront en fin de contrat à l’issue de la saison. En faisant les comptes, on obtient qu’à l’été 2013, le Depor ne sera théoriquement plus propriétaire que de cinq joueurs. De quoi approuver sérieusement les propos de Jacques Songo’o. Aujourd’hui, sans Mendes, le Depor ne serait rien. A l’avenir, si Mendes venait à retirer ses billes, le Depor ne serait plus rien : le Depor, c’est Mendes. En forçant le trait, ce n’est pas un Real Madrid-Deportivo La Corogne que les 80 000 supporters de Santiago Bernabéu vont avoir la chance de voir ce soir mais plutôt un alléchant affrontement entre le Real Mendes et le Deportivo Mendes. Vous avez dit roi du monde ?
Par Pablo Garcia-Fons, à La Corogne