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- 28e journée
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« Le déplacement à Bastia fut un véritable western »
À Nice, Georges n'est pas un supporter comme les autres. Rangé des déplacements depuis quelques années, l'homme qui fait partie des meubles à l'OGCN peut se vanter d'avoir traversé le pays tous azimuts pour soutenir les siens. Rencontre avec un homme qui a sa place réservée dans le nid des Aiglons.
Ce mardi après-midi de février, le responsable presse de l’OGC Nice avait conseillé de venir en avance, pour l’interview que Souleymane Diawara avait promis de donner pour So Foot Junior à la fin de l’entraînement. Le grand âge du Sénégalais lui donnant le droit d’écourter certaines séances. Mais ce jour-là, le défenseur n’a pas « coupé » , au plus grand bonheur des familles réunies derrière les grillages du Parc des Sports Charles Ehrmann. Sur le trottoir d’en face, à l’entrée du court tunnel qui mène aux vestiaires, engoncé dans sa doudoune zippée jusqu’au col, Georges, 45 ans, refait le monde avec ses potes de la Tribune Sud, tous plus jeunes que lui. Comme quasiment tous les jours. Entre collègues, un pétard au bout des doigts, on cause week-ends au ski et bonnes tables. Entre deux serrages de mains aux joueurs et membres du staff qui font le trajet du terrain d’entraînement à la salle de soins, ça rigole franchement, dans le froid qui s’est abattu sur la Côte d’Azur. « Souley » prenant visiblement du plaisir sur le pré, Georges propose d’ouvrir la salle de presse, histoire de poser notre sac, et de patienter en se réchauffant avec un café qu’il se propose de préparer. Parce que oui, Georges est chez lui dans les installations du Gym’. « Au début de la saison, le vase de la machine à café était cassé. Comme j’avais la même machine chez moi, je l’ai remplacé, explique celui qui suit les Aiglons depuis 30 ans. De même, c’est moi qui amène le lait. Et puis, s’il n’y en a plus, je vais en chercher à la cafét’. Le club, c’est la famille. »
Création de la Brigade Sud et accident de moto
Cette famille, Georges l’a intégrée lorsqu’il avait quinze ans, comme il l’explique entre deux coups de fils passés depuis le téléphone qu’il recharge dans le couloir qui sépare la salle de presse des vestiaires. « Au début, j’allais au Ray en tribune « seconde », avec mes collègues des quartiers de Bon-Voyage et Saint-Roch. Parce que les supporters niçois n’aimaient pas trop les mecs des quartiers, comme la plupart étaient maghrébins. De même que les mecs des quartiers ne fréquentaient pas les supporters, explique ce fils de Tunisien au grand-père corse, issu d’une famille antiboise de seize enfants. Ensuite, en 1985, pas mal de mes amis de Saint-Roch ont été à l’origine de la création de la Brigade Sud, qui a rassemblé des gens de tous les quartiers. Donc j’ai migré en Populaire Sud. Et à partir de ce moment-là, je me suis mis à faire tous les déplacements, même en Ligue 2. On n’était qu’une poignée, à l’époque. » Pour faire patienter, Georges sert blagues et anecdotes, en plus du café. « Vous savez pourquoi en Corse, il y a plus de baptêmes que de mariages ? Parce que des parrains, il y en a, mais des témoins, on n’en trouve pas ! » La vanne est bonne, mais les rires cessent net, lorsque la conversation amène notre homme à raconter sa vie. Victime en 1987 d’un grave accident de moto, qui l’a laissé dans le coma pendant dix-sept jours, celui qui a embrassé la carrière de pâtissier dès ses quatorze ans est depuis en arrêt maladie. « Je suis un miraculé, parce que ma mère était allé à Lourdes quelques jours auparavant. Et depuis, j’y suis retourné six fois. »
But à Fabien Cool, GAV à Ajaccio et embuscade à Bastia
Marié depuis quelques années, Georges se contente désormais d’encourager les siens à l’Allianz Riviera, « pour prendre soin de sa famille le week-end » . Son baroud d’honneur, le petit bonhomme brun l’a effectué lors de la saison 2003-2004, celle du centenaire du club. Et pas n’importe comment. Posé sur le tabouret de bar habituellement dévolu aux joueurs désignés pour faire face aux journalistes, il se lance dans le récit de cet exercice qui l’a vu réaliser ce qu’il a fièrement baptisé son « grand chelem » . Cette année-là, Georges a effectivement assisté en live aux 38 rencontres de championnat des Aiglons, ainsi qu’à tous ses matchs de Coupe de France et de Coupe de la Ligue. Un tour de force qui avait impressionné Maurice Cohen, alors président de l’OGCN, qui lui avait fait donner le coup d’envoi de Nice-Auxerre, dernière rencontre à domicile de la saison. « Laslandes m’a passé le ballon, j’ai dribblé Mexès et Boumsong, et j’ai mis un but à Cool » , rembobine fièrement notre homme. Mais les plus beaux souvenirs de cette saison dingue, c’est en Corse que Georges est allé les chercher.
À Ajaccio, d’abord, où il a prolongé son week-end de 48h en restant dormir à l’hôtel de police, à cause de quelques grammes de ce cannabis qui l’empêche de faire des crises d’épilepsie, séquelles de son accident de la route. Mais à Bastia, surtout. Un déplacement qu’il qualifie de « magique » . Attention, récit dingue : « Ce fut un véritable western. On était une centaine de Niçois, répartis dans deux bus. Tous les Bastiais nous attendaient, ils étaient chauds. Je suis sorti du bus en embrassant la Corse que j’ai autour du cou, en hommage à mon grand-père, ça les a bien fait marrer. Mais on a senti que « ça sentait la patate », donc on est retournés dans le bus et on a installé des plaques en fer derrière les vitres, pour se protéger. On a commencé à rouler, puis, arrivé à la place Saint-Nicolas de Bastia, juste avant d’entrer dans un tunnel, deux Bastiais cagoulés ont traversé la route en posant des planches cloutées sur le sol, pendant que d’autres, cagoulés aussi, installaient des palettes en bois un peu plus loin sur la route. On n’a pas le temps de ralentir, les pneus du bus crèvent, et on est immobilisés par les palettes. Là, deux ou trois cents Bastiais surgissent et nous bombardent de pierres. Cela a duré 45 secondes, on aurait dit que ça avait duré 45 minutes. On a eu le Bon Dieu avec nous. Ils ont commencé par péter les vitres avec des pierres, et ensuite, ils ont jeté des bombes agricoles dans le bus. » De façon incroyable, les Niçois s’en sortent indemnes, certains engins explosifs traversant le véhicule, entrant par une fenêtre et sortant par une autre.
Pissaladière
Ce samedi soir, celui que le président Rivère surnomme « le gars de la pissaladière » , depuis que Georges lui a concocté sa spécialité culinaire, ne sera pas sur l’Île de beauté, mais beaucoup plus au calme, entouré de sa femme et de ses deux filles, comme chaque week-end. Ce qui ne l’empêche pas d’avoir un mot d’encouragement pour tous les joueurs niçois, à mesure que ceux-ci lui serrent chaleureusement la main en regagnant enfin la chaleur des vestiaires. Le moment pour lui de laisser le tabouret à Souleymane Diawara, « le seul gars de l’équipe qui trouve que ma fumée pue » . Un autre genre de guerrier.
Par Mathias Edwards, à Nice