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Le coup du lapin
Le 29 janvier 1999, Bordeaux giflait l'OM (4-1) dans ce qui reste encore aujourd'hui l'un des plus beaux matchs de l'histoire du championnat de France entre deux groupes qui ne vivaient que pour le jeu. Sur son banc, Rolland Courbis constatait les dégâts et se rendait compte que les esprits n'y étaient pour rien. Même pas une patte de lapin.
C’est une soirée entrée dans l’histoire. Un rendez-vous parfait dessiné sur un tableau authentique. Cette année-là, tout le monde n’avait d’yeux que pour lui. Ce choc caressant le foot à papa, le foot français qui gagne, qui sourit, qui vibre et qui joue. Hier, Bordeaux-Marseille était un sommet. Un cocktail offensif explosif entre les deux meilleures attaques du championnat de France avec, pour ingrédients, Dugarry, Maurice et Ravanelli d’un côté, Laslandes, Micoud, Benarbia et Wiltord de l’autre. Ce pic du 29 janvier 1999 restera à jamais différent. Comme un souvenir auquel on aime se raccrocher. Car, trois jours plus tôt, Claude Bez est mort.
Chaban ne peut pas et ne veut pas oublier sa moustache et ce qu’il a construit pour les Girondins. Le contraste est alors saisissant entre le silence de l’hommage et la fête qui va suivre. Ce soir-là, Bordeaux s’imposera facilement (4-1) grâce à un doublé de Wiltord, un but de Micoud et un autre de Laslandes. Avant la rencontre, l’OM avait trois points d’avance. Quelques mois plus tard, il perdra le titre sur un fil, à Paris, faisant tomber Élie Baup au sol. Sur le banc marseillais, Rolland Courbis ne bouge pas, coincé dans sa veste chasseur. Il sait, alors, que le sort s’est retourné contre lui.
Super-lapin
Dix-huit mois plus tôt, Courbis portait encore le scapulaire sur sa veste. Sa réputation et son histoire ne sont plus à faire. Il a la gueule et le verbe, les histoires et le talent humain. C’est un homme de roman. En 1992, Alain Afflelou était venu le chercher pour prendre la suite de Gernot Rohr. Lors d’un entretien, le président de l’époque expliqua avoir été séduit par « un homme charismatique, malin » .
Courbis reviendra d’ailleurs en 1996 prendre, une nouvelle fois, les restes de Rohr à Bordeaux, finaliste de la Coupe de l’UEFA avec les Girondins. Cette fois, Rolland Courbis est le choix de Jean-Louis Triaud, et son retour sera une réussite. Sauf qu’à l’été 97, Robert Louis-Dreyfus décrochera son téléphone et lui proposera le banc de l’OM. « Un rêve » qu’a toujours assumé Courbis. Marseille est sa maison, l’OM un bout de sa personne. Reste que l’entraîneur a laissé derrière lui sa superstition. « Il n’était pas forcément plus porté sur la superstition que les autres entraîneurs, mais il avait ses petits rituels » , se souvient Pierrot Labat, historique homme de l’ombre des Girondins.
Rolland Courbis affirme « être superstitieux depuis sa naissance. Je ne suis pas maladif, c’est juste de l’ail, des personnes qui me portent chance. Je crois aux chats noirs. »
Dans les années 80, le président historique de Pise, Romeo Anconetani, vidait, avant les rencontres, jusqu’à 25 kilos de sel dans les coins de l’Arena Garibaldi. Luis Fernandez, lui, était discret et a déjà expliqué qu’il allait jeter du sel, seul. « La superstition, c’est une chose étrange, quelque chose à garder pour vous, et vous seul. Si quelqu’un comprend ce que vous faites, tout est complètement raté ! » , avait-il expliqué à Goal en 2013. Pour Rolland Courbis, ce sera une patte de lapin. Historiquement, comme les pattes d’ours, une patte de lapin est un porte-bonheur. Il faut pour cela qu’elle provienne d’un lapin tué dans des conditions spéciales et un peu mystiques. Il se murmure même qu’aux États-Unis, le lapin doit être capturé ou abattu dans un cimetière.
Le petit déj’ et le couteau
Alors, en revenant à Bordeaux en 1996, Courbis va cacher cette patte de lapin sous le rond central du stade Chaban-Delmas.
« C’était un endroit où je pourrais la retrouver comme ça. On a tellement eu de réussite au cours de cette saison que j’y croyais. Personne n’était au courant » , raconte l’actuel technicien rennais. Alors le 29 janvier 1999, alors que les joueurs de l’OM prennent leur petit-déjeuner, Rolland Courbis retourne sur la pelouse en compagnie de l’intendant marseillais, Jean-François Albertini. Courbis : « J’ai pris un couteau et, aussi fou que ça puisse paraître, je l’ai retrouvée du premier coup. Elle était enfoncée d’environ vingt centimètres dans le sol. Je ne voulais pas qu’elle porte chance à Bordeaux, mais on a pris une branlée et quatre buts en quinze minutes ! » Depuis, il affirme ne plus avoir recommencé. Le karma. Run Rabbit Run.
Par Maxime Brigand