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Le coup de force des Bordelais

Par Chad Akoum et Mathias Edwards, à Bordeaux
8 minutes
Le coup de force des Bordelais

Ce samedi 28 juin, ils étaient près de 3000 supporters des Girondins à se rassembler devant la mairie de Bordeaux. Non pas pour préparer le deuxième tour des municipales, mais pour réclamer un autre remaniement : celui du directoire du club.

L’appel du 18 juin des Ultramarines à manifester un ras-le-bol de haute intensité envers la direction des Girondins avait jusqu’ici connu un franc succès, sur les réseaux sociaux. #NousLesGirondins s’affichait sans retenue sur Twitter, tandis que l’event Facebook présentait un taux de remplissage tout à fait satisfaisant. Mais ce 27 juin, date du rassemblement, pour de vrai, jour du regroupement physique, qu’en serait-il ? Un hashtag n’a jamais fait office de bon de présence, de même qu’enfoncer la case « intéressé(e) » d’un événement n’engage à rien.

Il faut l’avouer : tout le monde a déjà vécu ce moment de gêne intense autour d’un gâteau d’anniversaire divisé en seulement cinq parts, alors qu’une vingtaine d’invités avaient virtuellement signalé leur présence. Ici, rien de tout cela. Non seulement le peuple bordelais a répondu présent sur le parvis de l’hôtel de ville, mais il a également fait étalage d’une véritable démonstration de force. Durant deux heures, près de 3000 fans du maillot au scapulaire sont venus crier leur colère envers ceux qui dirigent leur club depuis 19 mois. Le tout sans heurt ni violence, et sans la moindre présence de policier en uniforme.

Ici, c’est le parvis

« Gi ! Ron ! Dins ! » « Longuépée, démission ! » Il est un peu moins de 16h, lorsque les chants du cortège constitué de 300 Ultramarines donne le coup d’envoi en prenant possession de la place Pey Berland. Aux côtés du principal groupe de supporters des Girondins, on retrouve des supporters lambda. Mais aussi leurs amis des Boys Parma 1977, des Magic Fans de Saint-Étienne ou encore le Herri Norte Taldea de Bilbao. Avec un objectif commun : faire bloc contre la direction actuelle, le président Frédéric Longuépée en tête de gondole. Le douzième homme bordelais milite en effet depuis presque deux ans pour le départ de l’ancien dirigeant parisien, celui de son directeur stratégie commerciale stade et réseaux, Antony Thiodet, et plus généralement pour « un remaniement de l’équipe opérationnelle à la tête du club ».

Installé à une terrasse avec vue sur le rassemblement, Roland, 67 ans dont 40 de supportérisme bordelais, ne perd pas une miette de l’événement. Accompagné d’une pinte de blonde et de sa femme Nicole, le jeune retraité avoue, ému, que « c’est vraiment une fierté de voir les supporters se bouger pour ce club ». Sur la même ligne que les ultras, il réclame un renouvellement complet du boardgirondin : « Frédéric Longuépée n’est clairement pas taillé pour ce job », démarre l’homme. Avant de monter dans les tours : « À la limite, ça ne me dérange pas que ces gens soient des requins appâtés par l’argent, mais c’est incompréhensible qu’ils ne soient pas foutus de nous bâtir une équipe digne de ce nom. » Roland a mal à son scapulaire. Pour protester, il a même décidé depuis de longs mois de ne plus se rendre au Matmut Atlantique : « Le jour où ils décideront de mettre en place une politique qui englobera l’ensemble des supporters, je reviendrai peut-être sur ma décision. »

Tavernost, Thiodet et Longuépée sont dans un bateau…

 Cette foule prouve que malgré tout, il y a encore une âme aux Girondins. Et c’est sur cette âme, celle des Bordelais, qu’il faut s’appuyer. 

Perchés sur le petit échafaudage de fortune faisant face à une foule grandissante et mégaphone en main, des leaders des Ultramarines refont l’historique des tensions et désaccords qui les opposent à l’actuelle direction des Girondins jusqu’à atteindre un point de non-retour. Dans le carquois des ultras, il y a une flèche pour chaque décideur impliqué dans le rachat des Girondins par GACP et King Street en septembre 2018. Selon eux, Alain Juppé était complètement largué quand il les a reçus. De façon générale, que ce soit par l’ancien Premier ministre ou par le désormais ex-maire Nicolas Florian, les Ultramarines ont eu le sentiment d’être « traités comme des fantômes ». Nicolas de Tavernost, PDG du groupe M6, est accusé de haute trahison : « Vous nous avez menés sur le toit de l’Europe, certes. Mais vous nous avez vendu à n’importe qui, comme un vulgaire produit financier. On n’oubliera jamais et si le pire venait à arriver au club, vous seriez tenu responsable. » Depuis le début de la crise, c’est la première fois que Tavernost – jusqu’ici relativement épargné – est aussi violemment chargé par les ultras.

Frédéric Longuépée est ensuite décrit comme « un homme qui n’écoute personne », « un président qui reste enfermé dans son bureau » et prend des décisions unilatérales. Pour lui, les Girondins ne seraient qu’un produit marketing, une marque achetée avec la complicité de M6. Quant à Antony Thiodet, c’est son discours qui effraie. « La première fois qu’on l’a rencontré, il nous a avant toute chose parlé des loges, relate le capo, depuis son estrade. Il pense qu’il faut augmenter le prix des places pour faire venir les gens au stade, peu importe ce qu’il se passe sur le terrain. Alors qu’au contraire, tout doit partir du terrain. » Les Ultramarines profitent de l’instant anti foot-business pour dévoiler le clou du spectacle : peint sur un calicot, ils brandissent en exclusivité le nouveau logo des Girondins, que le club tarde à dévoiler. Les réactions sont sans appel. L’objet est conspué, la faute à un « Girondins » minoré par rapport à un « Bordeaux » écrit plus gros, comme c’est le cas sur tous les visuels du club depuis l’arrivée des nouveaux propriétaires. Le temps d’entonner quelques « Longuépée démission, et Thiodet aussi ! » (clairement le tube de l’après-midi), de craquer quelques fumigènes et de diffuser des messages audio (lus par Christophe Dugarry, Jean Gallice, Alain Giresse, Lilian Laslandes, Cédric Carrasso ou encore Pierre Ducasse), et c’est le moment de conclure le discours par un bon résumé de la pensée générale : « Ces gens-là ne comprennent rien aux Girondins. Qu’ils partent ! (x8) »

« On veut retrouver notre club, et être à nouveau fiers d’aller le voir jouer »

Placé sur l’aile droite de la foule, Philippe Fargeon a tenu à être présent « parce que comme tous les supporters, [il] ne[reconnaît] pas[son] club » : « Il faut que je soutienne les supporters, parce que quand j’étais joueur, j’avais besoin que les supporters soient derrière moi. Il faut qu’ensemble, on fasse en sorte que cette situation change. Je ne sais pas qui est responsable, mais tout le monde constate qu’il y a un gros souci. On veut retrouver notre club, et être à nouveau fiers d’aller le voir jouer. » Accompagné de Madame, l’ancien buteur girondin distribue une anecdote pour expliquer le malaise : « Il y a quelques années, les gens me chambraient dans la rue quand les Girondins ne gagnaient pas. Aujourd’hui, plus personne ne me dit rien. Ce club ne les intéresse plus. » Amer, l’international voit tout de même dans ce grand raout une lueur d’espoir : « Cette foule prouve que malgré tout, il y a encore une âme aux Girondins. Et c’est sur cette âme, celle des Bordelais, qu’il faut s’appuyer. » Cette fameuse âme, c’est le ciment qui unit depuis dix ans les Ultramarines au Herri Norte Taldea, groupe de supporters de l’Athletic Bilbao.

À peu près 3000 personnes qui se réunissent en ville en plein été, c’est la démonstration qu’à Bordeaux, il y a de la passion malgré les idées reçues. Mais ce sera vraiment un succès si dans les prochains jours, il y a un renouveau au sein de la direction du club.

Leurs représentants, qui ont passé une nuit « courte, mais bonne » à Bordeaux, développent les raisons de leur présence après avoir exprimé leur regret de voir les bars bordelais fermer à seulement 2h du matin : « Les Ultramarines, c’est la passion. Tandis que nous, c’est la folie. Donc, on se complète parfaitement. Ce qu’on admire chez eux, c’est ce mélange de toutes les générations qui travaillent ensemble pour accomplir des choses comme aujourd’hui. Nous nous retrouvons dans leur combat, car c’est plus largement une lutte contre le football moderne, dans lequel tout n’est que business. Et même à l’Athletic, un club à forte identité, nous y sommes confrontés. »

Sorbet aux fumis

Sur les coups de 18h, à l’heure de se disperser, tous les présents estiment que l’opération est une réussite. À commencer par Romain Manci, un des leaders ultramarines : « L’objectif était de réunir au moins 2000 personnes, il y en a finalement eu près de 3000. Nous sommes totalement satisfaits de cette journée, qui prouve l’attachement que portent les supporters des Girondins pour leur club et leur inquiétude concernant sa situation financière. À peu près 3000 personnes qui se réunissent en ville en plein été, c’est la démonstration qu’à Bordeaux, il y a de la passion malgré les idées reçues. Mais ce sera vraiment un succès si dans les prochains jours, il y a un renouveau au sein de la direction du club. » La seule personne à qui la petite sauterie ne plaît pas, c’est Hélène.

Postée derrière le comptoir de sa glacerie qui donne sur la place Pey Berland, la jeune femme ne comprend pas vraiment ce qui se joue. « Ils manifestent pour quoi, pour le renvoi du président du club de foot ? Ils n’ont pas d’autres priorités ? À cause de leurs fumigènes, ma terrasse est vide, alors qu’habituellement, c’est l’heure du rush ! » Malheureusement pour Hélène, en ce début de soirée, même les enfants ont autre chose en tête que de s’envoyer un cornet trois boules. Comme en témoigne Romain*, dix ans, lorsqu’il s’adresse à son papa : « Dis, quand est-ce qu’on pourra vraiment rejouer au foot ? Je veux à nouveau porter fièrement le maillot des Girondins à l’école ! » Ne dit-on pas que la vérité sort de la bouche des enfants ?

Dans cet article :
Bordeaux ne jouera pas son prochain match de Coupe de France dans son stade
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Par Chad Akoum et Mathias Edwards, à Bordeaux

* Le prénom a été modifié.
Photos et propos recueillis par Chad Akoum et Mathias Edwards.

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