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Le corps des larmes

Par Thibaud Leplat
5 minutes
Le corps des larmes

On attendait un Côte d'Ivoire-Italie, on a eu un Grèce-Costa Rica. Ce match termina très tard et ne fit sans doute pas l'unanimité auprès des amateurs. Pourtant ce match fut le plus beau. Le plus grec.

Cette rencontre épique finit au milieu de la nuit. Elle s’acheva par une interminable prolongation entre une équipe de vieilles gloires épuisées et une autre emplie de jeunes premiers terrifiés à l’idée de mettre fin à leur fabuleux voyage. Ce match ne fut ni le plus technique, ni le plus grandiose. On n’y vit aucun exploit individuel, à peine quelques crochets réussis, une ou deux raisons de s’enthousiasmer pour la beauté plastique de dribbles chaloupés, mais aucun hommage à l’intelligence collective d’une équipe qui aurait élevé le talent de la transition offensive à celui des plus belles cathédrales gothiques. À force de voir des exploits se succéder depuis deux semaines, on avait oublié qu’au fond de nous dormait encore cet être sentimental qui aima un jour le foot juste parce que les règles étaient faciles à comprendre et parce qu’on pouvait y jouer n’importe où avec tous nos copains de classe de CE2. Le foot professionnel, tout son gel, toute sa liturgie télévisuelle, avait étouffé nos sensations d’enfance et de football primitif. Mais si ce match fut le plus important, c’est parce qu’il réveilla ces souvenirs disparus. On avait oublié que la Grèce était le pays des belles odyssées. On avait oublié que même les guerriers les plus terrifiants, eux aussi avaient un cœur.

Début de calvitie, mâchoire prête à mordre

« L’imagination, écrit Bachelard (L’eau et les rêves), a toujours un printemps à décrire. » Pour apprécier la beauté de cette rencontre, il avait donc fallu participer activement à la construction poétique de cette épopée. D’un côté, il y avait des hommes fins, élégants, qui s’étaient sauvés du groupe de la mort sans une seule seconde d’hésitation. Le Costa Rica avait réglé son compte à tous les monstres qui s’étaient présentés à lui. Il y eut l’Angleterre, l’Italie et l’Uruguay. Pour terminer son odyssée magnifique, il ne leur manquait plus que la Grèce. En face, il y avait cette équipe de gueules cassées à laquelle on aurait donné sa chemise juste pour qu’ils ne soient plus seuls. Regardez un peu Theofanis Gekas et Yorgos Karagounis. Regardez leurs traits creusés. Leur allure traduit le mépris qu’ils ont pour leur époque. Malgré la cinquantaine de caméras et les millions de midinettes qui verraient ce match, ils n’avaient sacrifié aucune seconde de leur existence précieuse à se soumettre à l’esthétique de leurs contemporains. Nez de boxeur, début de calvitie, démarche de cyclope pour le premier. Oreilles décollées, barbe grisonnante et mâchoire prête à mordre pour le second. Ces deux hommes appartenaient à une mythologie dont la profondeur esthétique dépassait largement le cadre convenu d’un huitième de finales de Coupe du monde. Ils avaient une drôle d’allure les héros, mais ils étaient beaux.

Jeunes contre vétérans

La Grèce était éliminée. Bien sûr, c’était inévitable. Elle emporta avec elle cette esthétique nostalgique de ces équipes de vétérans bedonnants qui, malgré l’usure de leurs articulations et la pesanteur de leurs corps fatigués, finissaient toujours par remporter leur match le dimanche après-midi contre les jeunes du village d’à côté. Ils ne couraient plus depuis longtemps (leurs genoux arthritiques ne pliaient plus depuis qu’ils s’étaient tous fait les croisés) mais ils battaient les plus jeunes à force de malice et d’expérience. Quand les novices y mettaient tout leur cœur et toute leur énergie, les vieux loups, un verre d’anis à la main, y mettaient leur expérience et leur flegme de vieux briscard des terrains vagues. Hier soir, malgré une expulsion costaricienne dès l’heure de jeu, la Grèce attendit le dernier souffle du temps réglementaire pour égaliser d’un but que personne d’autre n’aurait osé célébrer autant. Un Deus ex machina avait transformé un centre de Giorgios Samaras en un irrésistible carambolage dans la surface à dix secondes de la fin du temps réglementaire. Il offrit un ballon à quelques mètres de la ligne de but à un défenseur central au prénom de philosophe, Sokratis Papastathopoulos. Ce fut leur dernier but. Le Costa Rica élimina la Grèce aux penalties. Mais dans les poèmes antiques la Grèce gagne toujours à la fin, même quand elle perd.

Le pénalty le plus lent du monde

En vrai, la plus grande tristesse de cette élimination affleura quand on réalisa qu’on ne reverrait plus le visage le plus fascinant de ce Mondial. Il avait le nez camus des héros de l’Antiquité et cette barbe revêche qui, tentant de se faire une place sous son menton dans l’alignement exact des courbes de son visage, dessinait une sorte de casque à pointe qu’il aurait mis à l’envers. Parfaitement dessinés sous des sourcils idéalement disposés pour le combat, ses yeux avaient la couleur trouble de l’eau stagnante. Décidément, cette physionomie inquiétante était taillée pour les poèmes épiques et répondait au nom le plus adéquat à figurer l’étrangeté de ces traits : Konstantinos Mitroglu. On le disait génial, brillant, égoïste et insupportable. Il était aussi blessé depuis des jours. Infiltré, incapable du moindre sprint, il s’installa à la pointe de l’attaque de son armée. Quand au bout du match, son tour vint de frapper un penalty, on redouta qu’il ne fît le combat de trop et que l’insupportable ridicule d’un ballon trop mal tiré eut raison de son faciès taillé pour les exploits.

Mais il s’approcha en marchant, posa son ballon, prit à peine de l’élan. Les deux pas qui lui servirent à donner de la puissance à sa frappe furent sans doute les plus lents de l’histoire des tirs au but. Et, non content du rythme déjà très alangui de sa foulée, il ajouta à cette liturgie étrange, un instant de pause qui suspendit le temps. Il marqua dans le petit filet de Keylor Navas, fit demi-tour et, le visage toujours aussi impassible et intrigant, sortit du cadre de nos écrans. Mais si le jeune Konstantinos Mitroglu se cacha, c’est sans doute pour essuyer les sanglots du vieux Theofanis Gekas, qui venait de manquer son tir et d’éliminer son pays. À l’abri des regards, il constata que les larmes les plus émouvantes avaient toujours le corps des géants déglingués. Même les cyclopes les plus redoutables, pensa-t-il alors, peuvent un jour s’agenouiller comme des gosses et se mettre à pleurer.

Julian Nagelsmann, le temps de l’expérimentation

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