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Le consensus Negredo
Il n’est pas le plus connu, ni le plus talentueux attaquant de Liga, mais grâce à sa belle fin de saison avec le FC Séville, Álvaro Negredo a réussi à convaincre Del Bosque d’en faire son troisième attaquant de métier derrière Fernando Torres et Fernando Llorente. Portrait d’un mec qui pourrait avoir plus de temps de jeu qu’on ne le pense avec la Roja.
Il n’en a pas l’air comme ça, mais Del Bosque marche avant tout à l’affect. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il n’a pas retenu Roberto Soldado. Entre le sélectionneur de la Roja et l’attaquant Che, le courant n’est jamais vraiment passé. Les deux hommes ont rapidement appris à se méfier l’un de l’autre dans les installations du Real Madrid. Au début du millénaire, Del Bosque est l’entraîneur heureux des Galácticos, mais la presse madrilène organise une campagne médiatique pour que certains jeunes du club aient leur chance entre les Ballons d’Or de l’équipe première. Soldado, alors buteur du Real Madrid Castilla, est le premier à râler sur son sort et n’hésite pas à critiquer publiquement les choix de celui qui, à ses yeux, oublie « la cantera et le produit national » . Résultat : Soldado n’intégrera finalement le groupe pro merengue qu’après le départ de Del Bosque de la Maison Blanche. Depuis, et même s’il se garde bien de le dire publiquement, Del Bosque considère Soldado avant tout comme un mec qui fait beaucoup de bruit pour rien. Alors oui, il marque des buts, mais surtout contre des petites équipes. Certes, il a du caractère, mais pas forcément une mentalité de winner. Il faut dire que les coups de sang de Soldado riment souvent avec carton rouge et irrégularité, comme le démontre une deuxième partie de saison plutôt décevante question statistiques.
À 27 ans, Soldado a réalisé la meilleure saison de sa carrière avec Valence, mais n’a toujours pas disputé la moindre grande compétition avec la Roja (en 2008, Aragones comptait l’appeler, mais il avait dû déclarer forfait sur blessure). Hasard ou coïncidence, Del Bosque lui a préféré celui qui l’avait remplacé en attaque au Real Madrid Castilla lorsqu’il était monté en grade. Celui que le Real Madrid avait bien failli choisir avant d’opter pour Benzema. Celui, aussi, qui ne fera pas exploser la dynamique d’un groupe champion du monde et qui ne lui cassera pas non plus les pieds pendant les longues nuits ukraino-polonaises. Del Bosque, dont le boulot consiste surtout à conserver le fragile équilibre existant dans une équipe composée de barcelonais et de merengues (des mecs qui se foutent allègrement sur la gueule à l’occasion des clásicos), a donc fait dans le consensus, en couchant le nom d’Álvaro Negredo sur sa liste des 23.
Le Poulain
Fils d’un chauffeur et d’une femme de ménage, Álvaro Negredo a toujours été le meilleur ami de ses copains de classe à l’école. « J’étais plus grand que les autres enfants de mon âge et tout le monde voulait être mon ami. J’étais fort, je jouais bien au foot, je riais tout le temps, je portais les cartables de mes camarades quand ils étaient fatigués et je les défendais quand on venait les embêter. » Pour le plus grand bonheur de Del Bosque, Negredo n’a pas changé, depuis toutes ces années. Le coach espagnol voit en lui le « grand frère » idéal pour encourager Fernando Torres à oublier sa saison moisie et faire relativiser Fernando Llorente sur son statut de remplaçant, en lui racontant des blagues pourries sur le banc de touche. Javi Varas, le gardien du FC Séville, est convaincu que son ami remplira à la perfection son rôle de GO de la Roja : « Negredo, c’est le seul mec capable de me remonter le moral quand j’ai un coup de blues. Il a toujours le mot pour rire ou pour te remotiver. C’est un mec très affectueux à qui on s’attache très vite. Et puis il est supercollectif, la preuve : on a passé nos nuits de noces ensemble à New-york ! »
Negredo, c’est aussi le genre de mec qui n’hésite pas à poster des videos de son mariage sur YouTube pour partager son bonheur de jeune marié ou à passer ses vacances d’été à Vallecas (une ville dans la banlieue de Madrid), pourtant pas l’endroit le plus glamour du monde, loin de là, histoire de se ressourcer entre les tours : « Je sais d’où je viens et je suis fier de ce que je suis. J’ai toujours vécu avec des gens humbles autour de moi, alors je ne vois pas pourquoi je me prendrais pour ce que je ne suis pas. Je viens de Vallecas, le quartier modeste de Madrid, et je suis fier d’avoir été formé dans mon club de cœur, le Rayo Vallecano. Le Real Madrid a été un tremplin, mais c’est le Rayo qui m’a donné l’opportunité de faire ce que j’aime, c’est à dire jouer au football. » De ses années chez les Rayistas, il reste d’ailleurs un surnom, « El Potro de Vallecas » (« le poulain de Vallecas »), qui prête à confusion. Del Bosque et tous ceux qui l’ont eu sous leurs ordres le savent : malgré sa corpulence, Negredo est loin d’être un bourrin.
Progression
Lorsque Del Bosque annonce que Negredo est du voyage, il explique son choix en affirmant que le style de jeu du joueur est en adéquation avec celui pratiqué par la Roja : « Negredo sait jouer dos au but, marquer et utiliser sa taile pour le jeu de tête, mais surtout il est capable de remiser, de jouer dans les espaces et de combiner parfaitement avec les autres. » Puissant plus qu’explosif, le joueur le plus cher de l’histoire du FC Séville n’en reste pas moins un gaucher capable de mettre des minasses de 30 mètres aussi bien que des petits lobs subtils. C’est aussi et surtout l’un des joueurs de Liga qui a le plus progressé lors de ces dernières années.
Michel, son actuel entraîneur, est bien placé pour en parler. Il était son entraîneur au Real Madrid Castilla : « C’est une éponge et, chaque année, il rajoute une corde à son arc. Il a énormément progressé dans ses déplacements et dans sa vision de jeu, par exemple. Avec l’expérience, il devient aussi de plus en plus régulier. Et ça, pour un attaquant, c’est très difficile à obtenir. Il n’y a que les meilleurs qui y arrivent. » Finalement, il ne lui reste peut-être plus qu’une chose à améliorer pour rentrer dans le club privé des grands buteurs de Liga : le caractère. « Un jour, Hugo Sánchez (son ancien entraîneur à Almería, ndlr) m’a dit: « Álvaro, quand je jouais, j’étais un fils de pute. Il faut que, toi aussi, tu le deviennes, si tu veux lutter pour le pichichi ! » » Visiblement, Negredo n’a pas retenu le conseil. C’est d’ailleurs ce qui lui vaut d’être aujourd’hui parmi les élus de la Roja.
Par Javier Prieto-Santos