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Le complexe Delph
Reconvoqué en sélection pour faire le nombre il y a quelques mois, Fabian Delph a finalement coupé la ligne d'arrivée et s'est fait une place dans la troupe des convoqués de Gareth Southgate pour la Russie. Peut-être avant tout parce qu'il est le premier ouvrier du pays. Explications.
Allez, dites-le : vous ne l’aviez pas vu venir. Fabien Delph s’est pourtant bel et bien pointé au départ de l’avion qui s’est posé, le 12 juin dernier, sur le tarmac de l’aéroport de Saint-Pétersbourg, le tout en grillant dans les derniers mètres de la course au Mondial des types comme Jack Wilshere, chouchou du pays, et Danny Drinkwater, qui s’apprête à quitter Chelsea moins d’un an après avoir posé son sac chez les Blues.
À Repino, samedi, où l’Angleterre est venue se planquer durant la Coupe du monde et méticuleusement préparer son entrée dans la compétition, lundi, face à la Tunisie, le bonhomme a même plaisanté de la chose : « C’est sûr que je sors d’une année assez incroyable, mais j’ai quasiment joué tous les matchs cette saison lorsque j’étais opérationnel. Pendant ce temps-là, je parlais aux joueurs du groupe, à Gareth (Southgate), donc ce n’est pas comme si j’étais un poisson que l’on sortait de l’eau. Je sais très exactement ce que Gareth attend de ses joueurs et je sais pourquoi je suis là. » Antisèche : cette saison, Delph a joué une trentaine de matchs avec Manchester City, est devenu champion d’Angleterre pour la première fois de sa carrière, mais est surtout devenu l’homme à tout faire de Pep Guardiola, le Catalan n’ayant pas hésité à coucher son nom à côté de la case latéral gauche lorsque les ligaments croisés de Benjamin Mendy ont pété en septembre dernier. Assez pour refouler une pelouse avec le maillot de la sélection pour la première fois depuis novembre 2015 ? Il faut croire.
Le joueur multiple
Difficile au juste de savoir quand l’issue de cette histoire s’est jouée : lors du dernier automne, à l’occasion de deux matchs de qualification au Mondial face à la Slovénie (1-0) et en Lituanie (0-1), Southgate convoque 26 joueurs et avoue qu’il y a, parmi les élus, des joueurs qui « ne méritent pas d’être là » . Leur présence n’est alors que la conséquence des déboires physiques d’autres habitués (une douzaine à cette période, plus James Milner, que le sélectionneur anglais n’a pas réussi à sortir de sa retraite prise après l’Euro 2016). Il n’en faut pas plus à la presse anglaise pour placer Fabian Delph, 28 ans, dans la case des « non-méritants » . Le joueur de Manchester City, lui, s’en cogne et savoure avant tout le virage pris par une saison débutée dans l’ombre de Mendy et par un été passé à se poser la question d’un départ du club mancunien pour exister dans un autre à son image : à la lutte pour ne pas disparaître, habitué aux bastons anglo-anglaises.
« Sauf que je n’avais aucune envie de partir, explique-t-il. Aucun joueur ne veut quitter une telle équipe, sauf si le club n’a plus besoin de tes services. Visiblement, ce n’était pas le cas. » Tacles, dernière passe, lignes cassées, anticipation, replacement, le truc de Delph, c’est de boucher les trous et de faire péter les brèches ensuite. « Une surprise de le voir là ? En aucun cas, répond son ancien entraîneur à Aston Villa, Gérard Houllier, premier coach qui l’aura temporairement installé au poste d’arrière gauche. S’il a été pris, c’est pour tout ce qu’il est capable d’apporter, dans différentes positions : il peut se propulser vers l’avant, est capable de rester le long de la ligne de touche, de rentrer vers le cœur du jeu. En plus, il a une bonne frappe, c’est un joueur rare car multiple. En ça, il devient très difficile à lire pour l’adversaire. »
La méditation et les valises déjà prêtes
Par multiple, lire polyvalent. Ce qui a fait la différence au moment de le départager avec Wilshere, par exemple. Et accompli, enfin : interrogé récemment, il expliquait que Guardiola a réussi à lui « peindre » un football qu’il était jusqu’ici incapable de voir. Ainsi, en Russie, Delph pourrait apporter de l’équilibre au 3-3-2-2 imaginé par Southgate depuis plusieurs mois, mais cela ne se fera sûrement qu’en cours de match. « Titulaire ? Dans tous les cas, je ne serai pas déçu, je suis déjà content d’être là » , se marre aujourd’hui le joueur, qui s’est mis à la méditation sur les conseils de Gaël Clichy et a arrêté de manger de la viande rouge pour avoir une meilleure « éthique de travail que Kevin De Bruyne » . L’histoire de la nouvelle Angleterre, plus réaliste et dont la volonté du moment est avant tout de construire un projet sur le long terme plutôt que de réaliser un braquage, commence lundi face à la Tunisie. Et aura pour premier gros révélateur un match contre la Belgique, le 28 juin. À cet instant, Fabian Delph sera peut-être déjà rentré chez lui. La raison ? Sa femme est sur le point de mettre au monde leur troisième enfant. La FA est prévenue et tout est déjà prêt, le joueur ayant même chambré publiquement les soldats de la fédé en demandant un « avion privé avec beaucoup de champagne » . Définitivement, une drôle d’année.
Par Maxime Brigand, à Repino
Tous propos recueillis par MB.