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« Le coming-out est difficile dans le monde du foot »
Gianni Salzano a défrayé les chroniques le mois dernier. Pour cause, le vice-président de l’Oplonti Pro Savoia, club de D5 dans le Sud de l'Italie, a épousé Carlo Piergiovanni après vingt-deux ans de concubinage. Un mariage qui a suscité des réactions inattendues.
Comment êtes-vous entré dans l’organigramme du Savoia ?Je suis entrepreneur dans les centres médicaux et j’ai toujours baigné dans le football. J’ai été joueur à un niveau amateur, milieu de terrain. Auparavant, j’ai également été dirigeant de la Lupa Castelli Roma qui évolue en troisième division italienne. Je suis d’ailleurs basé à Rome, mais j’ai des origines napolitaines, donc je me rends souvent là-bas. Savoia est le club de la ville Torre Annunziata qui se situe au pied de Pompei. J’avais des amis qui voulaient monter ce projet au sein de ce club suivi par de nombreux supporters.
Quel est justement ce projet ?C’est un club qui est allé jusqu’en Serie B, disputant même des derbys contre le Napoli à la fin des années 90. Ensuite, il a connu plusieurs faillites. Nous, on est repartis de zéro l’an passé. De la cinquième division, on a été promu en Serie D, et l’objectif est de ramener Savoia le plus vite possible en Lega Pro.
Tout le monde était au courant de votre homosexualité à Torre Annunziata ?Je ne le criais pas sur les toits, mais je ne le cachais pas. Je me baladais main dans la main avec mon compagnon et je n’ai jamais eu aucun problème.
On peut donc parler de préjugés sur le machisme et l’homophobie latentes en Italie et particulièrement dans le Sud ?
Je ne dirais pas qu’il n’y a ni machisme ni homophobie, mais la situation est clairement en train de changer en Italie, et le plus beau, c’est que c’est également le cas dans le Sud. Je répète, je n’ai pas de gros problèmes, est-ce que c’est parce que je suis vice-président du Savoia ? Je ne sais pas.
Pourquoi avez-vous décidé de faire un live Facebook de la cérémonie de votre mariage avec Carlo ?Parce qu’un neveu de mon compagnon ne pouvait pas venir et il tenait à le voir en direct, on a donc utilisé Facebook pour cette raison. Il n’y avait absolument rien de calculé. On ne s’attendait absolument pas à tout cet écho médiatique.
Vous avez profité de cette occasion pour sensibiliser le maximum de personnes sur l’homosexualité dans le monde du foot ?Tout à fait, et je voudrais le faire encore. Je me rends compte qu’il y a encore beaucoup d’homos qui se cachent, surtout dans le Sud. La loi italienne nous permet de nous marier depuis septembre. Personnellement, j’ai reçu les meilleurs vœux de plein de personnes, y compris des supporters du Savoia, il n’y a peut-être eu qu’une seule réaction négative. Il n’y a aucun mal à démontrer son amour et les gens le respectent. C’est le message que je veux faire passer.
Vous avez dit avoir rencontré beaucoup d’homosexuels dans le monde du foot entre dirigeants et joueurs.Je les ai croisés dans des lieux de rencontres gays à Rome, mais aucun ne s’est déclaré ouvertement homo. Ils n’ont pas la force de le faire et c’est un choix que je respecte totalement. Le coming-out est difficile dans le monde du foot, mais c’est dommage de devoir cacher ses sentiments. J’espère que ce qui m’est arrivé pourra leur donner des idées.
Le match suivant votre mariage, face à Procida, vous en avez fait la journée du « libre amour » . Des initiatives étaient d’ailleurs prévues, mais ça n’a pas vraiment pu se faire. Expliquez-nous.
Nos joueurs devaient entrer sur le terrain avec des T-shirts sur lesquels était écrit « Amour libre » , mais certains tifosi ont demandé à la direction de ne pas le faire. Ils ont dit que ce n’était pas un manque de respect envers moi, car ils m’ont félicité, via également quelques banderoles. En fait, cela concernait les ultras et ceux des autres clubs dont ils craignaient les réactions. Du coup, seuls les supporters endossaient les T-shirts.
Vous les avez rencontrés pour en parler ?Non, on m’a laissé à l’écart de cette discussion, car on pensait à d’éventuelles réactions négatives, alors qu’à la fin de cette rencontre, certains ont stoppé ma voiture pour me remercier de mon travail en tant que vice-président. Disons qu’il y a toujours la barrière érigée par les règles non écrites entre ultras. C’est dommage, car cela aurait eu un écho différent si les joueurs avaient endossé ces T-shirts. J’ai forcément été un peu déçu, mais on a fait un premier pas, et il faut faire les choses pas à pas.
Avez-vous reçu des messages de la part des instances du foot ?La Fédération italienne m’a contacté et veut me rencontrer. Je voudrais être le promoteur d’une journée vraiment dédiée à l’amour libre avec la participation des joueurs professionnels qui puissent donner un signal en endossant un maillot ou en portant une banderole. Il y avait déjà eu les lacets aux couleurs arc-en-ciel, une belle initiative, mais j’aimerais vraiment qu’on y consacre une journée avec les clubs de Serie A, car ce sont eux qui peuvent transmettre des messages importants.
Vous rencontrerez peut-être le président de la Fédération Carlo Tavecchio qui avait déclaré dans une conversation enregistrée à son insu : « Tenez les gays loin de moi » . Il incarne le petit vieux italien réac’, non ?
C’est le cas. Je ne sais pas si je vais le voir, mais j’aimerais pouvoir en parler avec lui. C’est la personne la plus importante du football italien et il doit se rendre compte que le monde change.
Par Valentin Pauluzzi