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Le Collectionneur

Par Thomas Pitrel, à Manaus / Photos : Renaud Bouchez
Le Collectionneur

Alors que Manaus a accueilli quatre matchs de Coupe du monde, le vrai personnage sportif de la ville n'a rien à voir avec le football. Roberto Gesta de Melo possède chez lui la plus grande collection d'objets olympiques au monde. Visite parmi les torches et les médailles.

Il est à peu près aussi difficile d’arriver chez Roberto Gesta de Melo que d’en repartir. L’arrivée : le condominio Jardim das Américas, près du quartier de la Ponta Negra, est la résidence la plus luxueuse de Manaus et donc la plus sécurisée. Il faut montrer patte blanche et attendre que l’un des gardes passe un coup de fil de vérification à la personne visitée avant de pouvoir passer. Puis il s’agit de zigzaguer entre des villas toutes plus folles les unes que les autres avant de trouver celle qui est encore au-dessus du lot. La porte d’entrée est immense, comme la pièce à vivre sur laquelle elle s’ouvre, parsemée d’une dizaine de canapés divers et entourée de baies vitrées. Le plafond est couvert de guirlandes arborant les drapeaux des équipes de la Coupe du monde… 2010. Comme à Noël, on ressort la déco de l’édition précédente. Au milieu de tout ça trône Roberto Gesta de Melo, 69 ans, torse nu, le short rayé remonté au-dessus du nombril, chaussons de bain aux pieds. « Je ne supporte pas la chaleur, se justifie-t-il. On me demande pourquoi je reste à Manaus, mais je suis né ici. Et puis quand je suis à Manaus, je ne suis que dans des endroits climatisés. Le seul endroit où je souffre de la chaleur, c’est l’été en Europe. Il n’y a pas la clim partout et vous avez plein de moustiques alors qu’ici il n’y en a presque pas grâce au rio Negro. » Alors que les États-Unis et le Ghana s’affrontent sur un écran géant surplombé d’un cadre représentant des femmes nues avec des têtes de divinités amazoniennes, Roberto a entamé la discussion. Elle durera six heures. On ne fait pas en cinq minutes le tour de l’homme qui possède la plus grande collection d’objets olympiques au monde.

Quatre classeurs et une chemise

« Il y a trois types de collectionneurs olympiques : le groupe philatélique, le groupe numismatique, et celui des souvenirs, qui désigne les collectionneurs de toutes les autres sortes d’objets, explique doctement Gesta de Melo en demandant à son beau-fils d’ouvrir des bières. Moi, je suis dans les trois catégories en même temps. C’est très inhabituel, parce que c’est très cher et que ça prend beaucoup de temps de rassembler tous ces objets. En tout, j’ai plus de 70 000 objets. J’ai donc dû construire un nouveau bâtiment, et cette maison avec deux étages pour tout entreposer. » Au niveau où il est, Roberto n’a plus qu’un seul concurrent sérieux : le musée olympique inauguré en 1993 à Lausanne, deuxième musée le plus visité de Suisse, dont l’exposition permanente ne présente que 1000 objets. Celui qui lui a transmis cette frénésie de la collection est son grand-père, Manoel Barbosa Gesta. Numismate et philatéliste accompli, il décède alors que Roberto n’a que 11 ans et lui lègue toutes ses pièces. L’autre passion du jeune homme va faire le reste. En 1967, encore étudiant, il devient président de l’association académique d’athlétisme de la fac de droit, à l’université d’Amazonas. Le début d’une carrière de dirigeant sportif qui le mènera à la tête de la fédé régionale de volley, mais surtout à la présidence de la confédération brésilienne d’athlétisme, qu’il n’a quittée qu’en 2013. « Mais je suis encore président de la confédération sud-américaine d’athlétisme et membre de l’IAAF, précise-t-il. J’ai beaucoup œuvré pour que Rio obtienne l’organisation des JO. Récemment, on m’a aussi demandé de statuer sur la réduction de la suspension de Tyson Gay. » Un homme qui pèse.

Au début des années 70, ses responsabilités l’amènent surtout à tomber sur un bouquin consacré aux timbres olympiques. C’est l’engrenage. De passage à Rio, Roberto file au club philatélique et trouve un quidam qui lui vend une tripotée de timbres anciens des JO. Il rachète ensuite toute la collection d’un des plus grands philatélistes brésiliens. Puis il étend petit à petit son champ d’action. « À l’époque, Manaus était encore très isolé, se souvient-il. Si je voulais appeler à Rio de Janeiro, il fallait que j’appelle un centre, où on me disait de rappeler le lendemain à 9h pour avoir la communication. Et le lendemain à 9h, on me disait : « Non, peut-être à 11h plutôt. » Pour envoyer un courrier, c’était 15 jours, et 15 jours de plus pour recevoir la réponse. Réunir tous ces objets a donc été laborieux. » Gesta de Melo quitte la pièce et revient avec deux choses : une chemise frappée des anneaux olympiques pour couvrir son torse, et quatre gros classeurs qu’il ouvre au milieu de la table. À l’intérieur, une infime partie de sa collection de timbres, uniquement ceux de 1896 et 1900. Il les a souvent en plusieurs versions, en plusieurs couleurs, poinçonnés ou non. L’un deux est collé sur un courrier parti d’Athènes vers Amsterdam via… New-York. Ils sont témoins d’une autre époque, d’une Histoire que Roberto raconte en tournant les pages avec les gestes attentionnés du collectionneur. « Je n’ai jamais mis d’ordre dans ma collection, mais un philatéliste allemand a habité chez moi deux fois deux mois pour organiser tout ça, et là il revient trois mois, explique-t-il. J’ai fini par lui dire qu’il fallait qu’il s’applique peut-être un peu moins et qu’il aille plus vite parce que j’ai 69 ans et, à ce rythme, on aura fini dans 500 ans. »

Tous les restaurants trois étoiles

Roberto se lève à nouveau et invite à le suivre pour prouver l’ampleur de sa collection. Après un court passage dans l’ascenseur qui dessert les trois niveaux de cette partie de sa bâtisse, il ouvre la porte de la salle Sergueï Bubka ( « un très bon ami, on se voit souvent » ), qui contient une partie de ses pièces. Sur les étagères, on passe sans prévenir des comptes-rendus de tous les JO de l’histoire à des bobines originales de Leni Riefenstahl filmées pendant les JO de 1936, en passant par la collection complète des numéros du magazine de foot brésilien Placar, qu’il a commencé à réunir il y a deux mois seulement. Rien à voir avec l’olympisme, parce qu’au fond Roberto est un collectionneur de collections. Et il le prouve. « Il est temps d’aller dîner, on finira la visite après » , lance l’hôte en ouvrant le chemin vers une autre aile de la maison. Dans une vitrine de la salle à manger, une centaine de statuettes représentant des coqs. Nouvelle collection. À table, les plats se succèdent, viande et poisson, arrosés de vin italien. C’est que Roberto est un gourmet : « Un jour, j’ai rencontré un homme qui m’a dit qu’il était le seul à être allé dans tous les restaurants trois étoiles du monde. Je lui ai répondu que c’était faux, puisque moi aussi je l’avais fait. D’ailleurs il y a un établissement qui vient d’obtenir la troisième étoile en Espagne, je suis en train d’essayer de réserver pour y aller avec ma femme en novembre. » En guise de trophées, Gesto de Mela affiche sur un mur de son foyer les menus des restaurants en question.

Car le collectionneur est riche, très riche. En débouchant une bouteille de Sauternes après le dessert, il raconte : « Ma famille a fait fortune pendant le boom du caoutchouc à Manaus, à la fin du XIXe siècle. Après ça s’est effondré, mais dans les années 60, l’État a créé une zone franche ici et mon père s’est lancé dans le commerce avec beaucoup de succès. Moi, je suis avocat de formation, mais je n’ai jamais exercé, j’ai juste travaillé avec mon père, ce qui m’a fait rencontrer beaucoup de monde. Quand les règles de la zone franche se sont endurcies, il a tout vendu et a ouvert des magasins d’articles sportifs à Manaus. » Derrière sa villa, collé à une grande piscine et à un coin barbecue aux frigos remplis de bières et de petites bouteilles d’eau gazeuse, Roberto n’a donc pas hésité à se faire construire un véritable musée privé. Le bâtiment fait un étage, son fronton affiche en grand les cinq anneaux olympiques accompagnés de l’inscription « Galeria Olimpica » . À l’intérieur, des vitrines courent le long des murs, sous lesquels on découvre des dizaines de véritables médailles (dont une du tournoi de football de 1908) ainsi que les torches officielles de tous les JO. « Ils ont commencé à les manufacturer en 1936 et je les ai toutes, s’enorgueillit Gesta de Melo. C’est la seule collection complète dans le monde : jeux d’hiver et d’été. »

Une médaille pour 500 dollars

Comme pour la plupart de ses pièces, il a remporté la dernière torche manquante (celle de Grenoble 68) l’année dernière dans une vente aux enchères. « Il y a six ou sept gros commissaires priseurs pour ce genre d’objets, qui organisent trois ou quatre ventes par an, et autant vous dire que je suis un peu connu dans ce milieu. Donc je récupère les catalogues à l’avance et je prépare soigneusement mes offres. Il y a aussi des gens qui sont spécialisés dans les objets sportifs antiques. Dans pas longtemps à New York, seront mis en vente des vases qui ont 2600 ans. Je crois que je vais les acheter. » Pour les médailles, c’est un peu différent. Il y a peu, la sauteuse à la perche brésilienne Fabiana Dürer l’a invité au restaurant à São Paulo pour lui offrir toutes les siennes. « Mais c’est quand même très rare. Pour les médailles anciennes, les athlètes sont morts et leur famille veut parfois s’en débarrasser. Pendant les années 60, 70, 80, il y avait aussi les sportifs du bloc soviétique qui vendaient souvent leurs médailles pour se faire de l’argent. C’est encore le cas pour les Cubains. À l’époque, une médaille se négociait pour environ 500 dollars, aujourd’hui les prix sont exorbitants. Dans les ventes aux enchères, si deux personnes ou plus sont intéressées, ça peut monter très haut. Et après, on se dit : « Mon Dieu, pourquoi j’ai fait ça ? » » Dans un recoin, on déniche pourtant quelques pièces qui ne lui ont pas coûté bien cher : quatre verres en plastique de la Coupe du monde 2014 et une réplique du trophée mondial. « On m’a offert ça quand je suis allé voir un des matchs dans une loge de l’Arena da Amazonia, explique-t-il. Il fallait bien que je conserve quelques objets de la Copa. C’est peut-être le début d’une nouvelle collection. » Pour un Brésilien, Roberto ne semble pourtant pas très porté sur le foot, et émet quelques doutes sur l’avenir du stade flambant neuf de Manaus dans une ville où les équipes jouent à un bas niveau. « Quand j’ai repris la Fédération de volley locale, nous sommes arrivés dans le top 4 brésilien, mais si j’ai toujours eu autant de succès dans ce que j’ai fait, c’est parce que je n’ai jamais essayé d’être dirigeant dans le football, assure-t-il. Dieu doit m’empêcher de faire ça. Avec tout l’argent qu’il y a en jeu, c’est très difficile. » Il est 1h du matin et Roberto pourrait continuer à parler de sport toute la nuit. « Vous pouvez rester si vous voulez, moi je ne dors jamais » , rigole-t-il. Pour vaincre l’insomnie, Roberto Gesta de Melo n’aurait pourtant qu’à compter ses collections.

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