- CDM 2018
- Gr. D
- Nigeria-Argentine (1-2)
Le cœur des hommes
Avant de se présenter mardi soir à Saint-Pétersbourg, l’Argentine avait prévenu : pas de place pour le fond, peu pour la forme, juste pour les tripes. Le message a été entendu, et l’Albiceleste a couché le Nigeria à la fougue. Pour le moment, c’est tout ce qu’il faut retenir. Mais demain ?
Expliquer. Expliquer encore, toujours. Gernot Rohr sort alors les instruments : « Parfois, quelques centimètres peuvent décider d’une victoire ou d’une défaite. » Aux côtés du sélectionneur des Super Eagles, John Obi Mikel, lui, n’a pas de double décimètre et a un autre message à faire passer, entre les compliments sur le « groupe le plus talentueux » qu’il ait connu en treize ans de vie internationale et sa « fierté d’avoir vu les gars faire tout ce qu’il était possible de faire » : « Ah, la VAR… Pour moi, il y avait bien penalty. Marcos Rojo touche le ballon de la main, l’arbitre a été vérifier à la vidéo et m’a dit qu’il y avait main. Pourquoi n’a-t-il pas sifflé ? Je ne sais pas. » L’incident a eu lieu à un quart d’heure de la fin de cet Argentine-Nigeria étouffant, joué dans un stade Krestovski débordant de supporters argentins prêts à faire sauter leur électrocardiogramme, et a sans aucun doute tout changé : demain, tout le monde aura oublié ? En aucun cas, car à ce moment-là, les Super Eagles, deuxièmes du groupe D au coup d’envoi et donc virtuellement qualifiés, avaient réussi à enfin entrer dans leur match, égalisant rapidement au retour des vestiaires sur un penalty de Victor Moses consécutif à un plaquage de Mascherano sur Leon Balogun et tenant leur qualification. À 2-1, l’Argentine rentrait chez elle, Lionel Messi faisait ses adieux à la Coupe du monde et le lavage du linge sale pouvait commencer : perdu.
Messi, vidi, vici
Car dix minutes après le penalty refusé au Nigeria, Rojo s’est retrouvé dans la surface nigériane. Un bordel : Mercado au centre, le défenseur de Manchester United à l’arrivée avec une volée libératrice et voilà l’Albiceleste en huitième de finale d’un Mondial qu’elle traverse en marchant sur des œufs. On connaît l’histoire : battue par la Croatie jeudi dernier (0-3), juste après avoir été accrochée par l’Islande en ouverture (1-1), l’Argentine n’avait aucune alternative mardi soir. La victoire ou la mort. Ainsi, cette rencontre a d’abord offert des réponses aux nombreuses questions : les joueurs de Sampaoli ont bien pris un morceau du volant depuis la défaite face aux Croates, ce que le onze de départ n’a pas caché et ce que le jeu proposé a renvoyé comme impression. Cette fois, il n’y avait pas de place pour le style, l’esthétisme, le projet : c’était le cœur, l’âme, la tête, les tripes. Une ignominie lorsqu’on connaît l’histoire du football argentin, mais la seule issue possible à une situation qui aura été angoissante jusqu’à la dernière seconde d’une soirée où Lionel Messi, brillant dans l’encadrement de ses partenaires, avait pourtant ouvert le score au bout d’un quart d’heure sur un service d’un excellent Banega. Non, l’Argentine n’a pas brillé, loin de là, mais elle s’est donné une chance de disputer un huitième de finale samedi face aux Bleus, à Kazan. « Nous, on n’avait pas la chance avec nous » , regrette Rohr. Et c’est tout ce que l’on retiendra.
« On s’en sortira par la cohérence de notre jeu »
C’est ce qu’a aussi avancé Sampaoli après la rencontre : « Le plus important ce soir, c’est le courage qu’ont montré les joueurs et c’est ce courage qui a rendu possible ce second but. » Pour le reste, l’Argentine n’a rassuré personne : Javier Mascherano a peut-être terminé la soirée avec une balafre sur la joue, mais il l’a aussi passée en tirant la langue ; Angel Dí Maria a, lui, raté presque tout ce qu’il a tenté, Jorge Sampaoli le remplaçant par Maximiliano Meza à vingt minutes de la fin ; et Gonzalo Higuaín, préféré à Agüero, aura croqué les deux occasions passées entre ses dents. Demain, l’Argentine aura rangé son instinct de survie et a un huitième contre l’équipe de France à préparer : une autre histoire, un autre col. Une mission impossible ? Loin de là. « Ce sera un match très exigeant. On s’en sortira par la cohérence de notre jeu » , a alors répondu le sélectionneur de l’Albiceleste. Sampaoli a annoncé d’ailleurs lundi soir que ce match contre le Nigeria était le premier d’une série de cinq rencontres jusqu’à une finale dont il préparait les causeries étant gamin. Mardi soir, il n’avait rien à expliquer, tout à savourer : une victoire peut parfois suffire à ajourner un procès. Et à rendre complètement dingue Maradona. Qui ? Le seul bouffon de la fête.
Par Maxime Brigand, au stade Krestovski