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- 10e journée
- FC Barcelone/Real Madrid
Le Clásico, Benzema et le spectre de Raùl
Un Barça-Madrid, c’est le moment de regarder dans le rétroviseur et d’y deviner quelques fantômes. Parmi les spectres du Camp Nou, il en reste un qui ne partira jamais. Il fait partie de la légende de ce match et de ce stade. Il s’appelait Raúl. Il avait 22 ans.
Il y a des ombres qui rôdent et qui n’en finissent pas de disparaître. Parfois elles apparaissent au coin d’un hommage, d’une rétrospective ou d’un jubilé de légendes ventripotentes. Alors le spectateur ose à peine les affronter de peur de s’y brûler la rétine. Ne pas les regarder en face. Éviter de regretter les temps d’avant. Oublier. Raúl ne joue plus au Real Madrid depuis 2010, c’est-à-dire une éternité. Trois ans sans Raúl, c’est trois ans à se demander si Van Nistelrooy, si Huntelaar, si Benzema, si Higuaín, si Ronaldo, si un homme pouvait un jour succéder à un mythe. Pourrait-il jamais faire oublier cette façon d’être plus que le match, d’en dominer totalement le déroulement, d’être toujours au bon endroit, de célébrer le moindre but par une course folle vers les tribunes ? Dos courbé, jambe gauche arquée, baiser à l’alliance en regardant le public, maillot trop grand, saut et pouces qui pointent un numéro 7 qui claque dans le dos : voilà ce qui manque à ce Real. Ce soir, les Madrilènes tenteront d’être à la hauteur d’un match qui sent la mythologie, mais dont il manque l’argument principal : son héros.
Le retour du Roi
Pourtant il ne faut jamais que les disparus reviennent. Le 22 août dernier, pour le retour de Raúl à Bernabéu (Trophée Santiago-Bernabéu, Real Madrid-Al Saad, 5-0) tout était trop dur. Voir un revenant de 36 ans presser, s’entêter, haranguer et puis ensuite déflorer une lucarne sans douter (1-0), c’était une autre façon d’en vouloir aux vivants. Ce jour-là, Raúl passait une dernière fois le maillot blanc numéro 7 pour un hommage. Ils avaient l’air tout petit Ronaldo, Marcelo, Di María, Isco, Benzema. En seconde mi-temps, le spectre avalait même un vivant sans le vouloir. Tandis que l’ex-capitaine retrouvait son équipe de Al-Saad pour terminer le match, le malheureux attaquant qui l’avait remplacé en première ligne d’attaque du Real s’effondra sous le poids de la nostalgie. Personne ne remplace Dieu et on ne devrait jamais parler des morts. Ce jour-là, Karim Benzema a succédé à Raúl dans le même match, dans le même stade, devant les mêmes gens. C’était beaucoup trop. Avec un autre maillot sur le dos et 80 minutes dans les jambes, Raúl était encore partout, pressait, guettait toujours le mauvais contrôle, surveillait les erreurs de transmission, n’était jamais hors-jeu. Son spectre posait une seule question à 80 000 personnes : « Et si… Et si Raúl était resté un peu plus longtemps au Real ? » Ce soir-là, Raúl est parti une deuxième fois et Benzema a disparu.
L’homme-Clásico
Le match de Raúl, c’était le Clásico de Barcelone. C’était le match dont tout le monde savait qu’il rêvait la nuit. C’était un Barça-Madrid qui avait entamé sa légende et qui avait fait de lui une icône. Le 13 octobre 1999, un de ses doublés arrachait un nul en Catalogne dans les dernières minutes (2-2). Le plus beau, bien sûr, c’était le second. C’est vrai, il n’avait rien de spectaculaire, « l’action a démarré par Redondo. Ensuite Savio a contrôlé. J’ai même cru qu’il était hors-jeu. Ensuite, j’ai contrôlé le ballon et j’ai fait un petit lob. J’aurais pu faire autre chose » , raconte-t-il à la fin du match. Il aurait pu faire autre chose. Oui. Mais il a fait ça : marquer, les regarder tous dans les yeux, et puis, très calmement et sans hystérie, poser sa main sur ses lèvres pour demander le silence : « Le public hurlait des choses contre moi. C’était ma manière de leur dédier ce but. » 120 000 personnes obéissent et se taisent en même temps. Un morveux devient roi. 323 buts en 741 matchs au Real (dont 15 au Barça) : il en a marqué des buts inoubliables. Mais c’est celui-ci qui restera toujours. Récemment élu « meilleur but de la carrière de Raúl » par Marca, l’ombre de son auteur rôde toujours dans les travées du Camp Nou. Tant pis pour Barcelone. Tant pis pour Benzema.
Par Thibaud Leplat, à Madrid