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- Étoile Sahel/Espérance de Zarzis (2-3)
Le ciel est tombé sur l’Étoile
Dans l'ambiance un peu étrange d'un huis clos, l'Étoile du Sahel recevait dimanche, à Sousse, l'Espérance de Zarzis, le club surprise du championnat tunisien. Rapport détaillé.
25° C, une Méditerranée émeraude, un ciel étonnamment gris et des palanquées d’Allemands en short : c’est bien l’hiver en Tunisie. Dimanche, 14 heures, le match principal de la 11e journée du championnat autochtone, qui voit l’Étoile sportive du Sahel (2e) recevoir l’Espérance sportive de Zarzis (5e), se déroule à huis clos. Mondher (28 ans), un supporter local rencontré en ville, ne décolère pas : « On a hérité d’une rencontre sans spectateurs parce que certains des nôtres ont affiché des banderoles anti-Bizerte lors de l’avant-dernier match. C’est ridicule, la Fédération veut tout régenter. » Hussein Jenayah, la trentaine fringante, dirigeant de l’Étoile, nuance : « De nombreux clubs sont suspendus pour ce motif. Le Club africain, Zarzis, Métlaoui, le Stade gabésien et peut-être l’Espérance de Tunis ont connu ça et parfois pour plusieurs matchs. C’est la nouvelle politique de l’instance dirigeante. »
Interdit aux moins de 18
On rentre au stade olympique de Sousse – qui n’a rien d’olympique à part une mini-piste d’athlé quelque peu… défoncée – sous bonne escorte. Arène antique à ciel ouvert ; superbe ! Sur le chemin qui mène au terrain, un « Ici, c’est nous » sibyllin accueille les joueurs, prêts à en découdre. Accrochées aux tribunes, des banderoles qui dénotent un certain sens de la punchline : « 1925, naissance d’une légende » ; « Born in Sousse, made in Sahel » ; « Porter le maillot de l’Étoile est un honneur, le mouiller un devoir. » Avant la révolution de 2011, plus de 25 000 spectateurs se rendaient au stade pour les grandes affiches (Sfax, Club africain et Espérance de Tunis) ; aujourd’hui, la fédé n’en autorise que 7000. « En plus, ils interdisent l’accès aux gars de moins de 18 ans. Quand tu sais que c’est la majorité des spectateurs, c’est n’importe quoi » , grince Mokthar, un happy few, la vingtaine balbutiante, entré on ne sait comment.
D’entrée de jeu, les jeunes Étoilés gambergent et concèdent deux occasions à Jacques Besson, un attaquant béninois (6e, 17e). Le jeu s’équilibre, ça joue vraiment bien sans calcul d’épargnants. Les Zarzisiens reculent. Après un coup franc de Mehdi Sâada, généreusement accordé par l’arbitre, Saïf Ghezal, le central de l’ESS, chaudronne dans la zone des six mètres (1-0, 25e). Dans la tribune de presse, les flows des commentateurs radio rivalisent dans l’hyperbole. Ça sonne, ça pulse, ça groove ; l’arabe est un idiome parfait pour le hip-hop. Sur le pré, l’Étoile du Sahel passe la seconde. Mouibi rate le coche (27e) d’une frappe lourde, repoussée par Achraf Kerir, le portier visiteur, sur le poteau. Alkhali Bangoura – un surdoué guinéen de 18 ans, formé au club – et Mouibi manquent le break de peu à leur tour, Achraf Kerir oblige (27e, 30e). Arrive alors ce qui advient quand on bafoue trop d’occasions, Zarzis égalise au pire moment qui soit (43e) : coup franc somptueux de plus de trente mètres à mi-hauteur de Slim Bacha, le central des Sudistes. La tribune de presse, partisane en diable, grogne de dépit…
À la mi-temps, il faut négocier ferme pour aller aux toilettes, où un policier se lave les pieds dans le lavabo. Dans un coin, Boubaker Hannechi, le préparateur physique des locaux, s’en grille une après avoir fait profiter Faouzi Benarti, le coach principal, de ses impressions, rapport à sa position surélevée. Il n’a pas l’air rassuré. Nacer de Jawhara FM, MC fluide au micro, n’en démord pas : « On aurait dû faire le break. Zarzis ne perd presque jamais (une fois). On n’est pas dans un bon jour, ça va finir par se payer. Le Club africain, Sfax et l’Espérance vont gagner, faut faire quelque chose. » Pessimiste ou prophétique ?
« « L’enflamme », ça ne réussit jamais à personne »
Les deux apparemment. Quatre minutes après la reprise, sur une contre-attaque, Chaker Reguii se joue deux fois de Ghezal sur le côté droit de la surface et ajuste Balbouli, le rempart international des Étoilés, sous la barre (1-2). La tribune de stress : les journalistes braillent ou prennent des notes en cadence ; les officiels s’affairent et les flics s’ennuient. Un homme élégant d’une cinquantaine d’années en chemise pourpre flashy se lève et incendie l’arbitre. Ô rage, bla-bla… Les joueurs s’invectivent ou s’encouragent plus fort. La rencontre monte d’un cran. Décousue et intense. L’Espérance de Zarzis s’en tire en concédant des demi-occases jusqu’à une tête de Youssef Mouihbi sur un centre de Bangoura, tout seul aux six mètres, qui s’envole hors du cadre (70e). Comme en première mi-temps, les Étoilés vont prendre cher. Un nouveau contre d’école sur un jeu en triangle et Besson sert en retrait Zied Ounalli pour le but du K.O (80e, 1-3). Désolation. Mustapha, un policier haut gradé, tape violemment sur un des pupitres de la tribune de presse, avant de sourire en grand. « Les autres (Zarziz, Sfax et l’Espérance) vont revenir et le Club africain va s’envoler. Le titre se joue maintenant » , justifie-t-il. Malgré le coup de bambou, l’ESS veut y croire. Il reste dix minutes et l’arbitre semble généreux sur le temps additionnel (4 minutes en 1re mi-temps). Talel Sraïeb, le latéral droit de Zarzis, s’enhardit et tente des dribbles improbables. Ounalli manque de sonner l’hallali (84e) devant le but des Sahéliens. En guise de quoi, Rami Bedoui ramène les siens dans le match sur un coup franc plein fer aux vingt-cinq mètres (89e, 2-3). Commence alors le show Achraf Kerir. Le gardien de l’ESZ se démultiplie : sort à l’arraché sur un corner (90e), assure une horizontale parfaite sur une frappe du Camerounais Frank Kom et repousse l’instant d’après un tir d’Essoussi aux six mètres (92e) avant d’écœurer de nouveau Essoussi (97e) sur une nouvelle opportunité à bout portant. Fin.
Les Zazisiens peuvent s’en retourner vers le sud, fiers de leur performance. Sur le terrain, Mounir Rached, leur entraîneur intérimaire (Skander Kasri est convalescent) la joue profil bas : « Conserver la balle et nous projeter vite vers l’avant, c’était notre seule chance de prendre des points. On a pêché dans le harcèlement, mais on a eu de la chance. » De son côté, Mokthar est dépité. « Cette saison, on y croit vraiment, mais ça ne nous réussit pas. On vient de prendre trois points sur douze, pas terrible pour un prétendant au titre. « L’enflamme », ça ne réussit jamais à personne. » Les Étoilés quittent le terrain la tête basse. Le ciel leur est tombé sur la tête.
Par Dragan Kicanovic, à Sousse