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Le chemin de la liberdade des Brésiliens du Shakhtar Donetsk

Par Raphaël Brosse
Le chemin de la liberdade des Brésiliens du Shakhtar Donetsk

Il y a douze jours, l’armée russe lançait ses chars à travers l’Ukraine. Piégés, comme de nombreux autres ressortissants étrangers désirant à tout prix fuir le conflit, les joueurs brésiliens du Shakhtar Donetsk ont d’abord vécu dans une pénible expectative. Terrés avec femmes et enfants au sous-sol d’un palace de Kiev, les Auriverdes sont parvenus, la peur au ventre, à rallier la gare et, au bout d’un très long voyage, ont atterri sur leur sol natal. Récit d’un long et éprouvant périple.

Ce souci de santé, Alan Patrick ne le regrettera sans doute jamais. Après que les médecins du club lui ont diagnostiqué une hernie inguinale, le milieu du Shakhtar Donetsk est parti en Allemagne le 20 février, afin de s’y faire opérer. Il était donc encore au pays de Goethe et de la Kartoffelsalat lorsque Vladimir Poutine a ordonné, jeudi 24 février au petit matin, le lancement d’une « opération militaire spéciale » sur le sol ukrainien. Dès le lendemain, le joueur de 30 ans a pu filer au Brésil. Ses compatriotes, nombreux dans les rangs des Mineurs, ne l’y ont rejoint que plusieurs jours plus tard. Au terme d’une attente angoissante et d’un voyage interminable.

Outre Alan Patrick, ils sont douze Auriverdes à composer la traditionnelle et réputée colonie brésilienne du Shakhtar cette saison (Marlon, Vitão, Ismaily, Dodô, Vinicius Tobías, Marcos Antônio, Maycon, David Neres, Pedrinho, Tetê, Fernando et Júnior Moraes, ce dernier disposant aussi de la nationalité ukrainienne). À l’évidence, aucun d’eux n’était dupe quant au contexte géopolitique tendu entre l’Ukraine et la Russie. Depuis 2014 et le déclenchement de la guerre du Donbass, ils n’ont d’ailleurs plus mis les pieds à Donetsk et jouent tous leurs matchs « à domicile » sur d’autres terrains, tantôt à Lviv, tantôt à Kharkiv. Souvent à Kiev, où ils vivent au quotidien. Et où ils ont été réveillés dans la peur, quand l’invasion russe a commencé. « Aussitôt, ils ont quitté leur logement pour se regrouper à l’hôtel Opéra, qui sert de siège au club, relate Franck Henouda, agent français ayant mis en place la filière brésilienne du Shakhtar au début des années 2000. Au moins, tout le monde était sur place et il n’y avait pas besoin de courir d’un appartement à l’autre en cas de problème. »

Angoissante attente

Avec leurs femmes, leurs enfants et même, dans certains cas, leurs parents, les joueurs s’installent au sous-sol de ce palace kiévien. Roberto De Zerbi et son staff sont également là, ainsi que les Brésiliens Emerson Santana et Vitinho et l’Uruguayen Carlos de Peña, qui évoluent au Dynamo. L’ambiance est pesante, et pour cause : tout ce petit monde comprend bien vite qu’il sera très difficile de quitter le pays. « Tout a été bloqué le jour même,rappelle Franck Henouda. Les routes étaient bondées, l’espace aérien était fermé. Pendant ce temps, les joueurs continuaient à suivre les infos à la télévision. Ils sentaient que les Russes approchaient, ils entendaient les explosions. Ils ont commencé à paniquer. » C’est aussi à ce moment que Júnior Moraes, ses coéquipiers et leurs proches décident de se filmer. Ce court message vidéo ressemble à une bouteille jetée à la mer, un appel à l’aide lancé à l’intention des autorités brésiliennes. Celles-ci sont cependant dans l’incapacité de faire quoi que ce soit. Pour partir, il faudra se débrouiller autrement.

Les heures s’écoulent, l’angoisse reste prégnante. Les provisions s’amenuisent dangereusement. « On entendait des explosions sans arrêt. La nourriture a commencé à manquer. C’était dur de garder son calme », a témoigné Marlon. Une porte de sortie retient néanmoins l’attention : à défaut de prendre la route ou les airs, pourquoi ne pas emprunter le rail ? Après tout, il y a encore des trains au départ de la gare de Kiev. Il paraît toutefois beaucoup trop dangereux de s’y rendre, du moins par ses propres moyens. Heureusement pour eux, les Mineurs brésiliens ne sont pas laissés pour compte. Leur club se démène, tout comme la fédération ukrainienne et, plus haut, l’UEFA et la FIFPro. Le samedi, les joueurs et leur entourage (une cinquantaine de personnes au total) peuvent quitter l’hôtel sous escorte. Aux fenêtres de leur véhicule, ils accrochent des drapeaux de leur pays, afin de témoigner de leur neutralité et de ne pas être pris pour cible. « Les instances ont fait le nécessaire pour les acheminer vers la gare et mettre tout le monde dans le train », raconte l’agent français, qui a suivi de très près le périple de ses protégés.

16 heures de train

C’est donc dans des wagons exigus que Dodô, Ismaily et consorts entament leur long périple. Prochaine étape : Chernivtsi, au sud-ouest de l’Ukraine. Durée du trajet : seize heures. « À notre départ, il faisait très sombre, on ne savait pas ce qu’on pourrait croiser en chemin, a révélé Maycon.On a voyagé de nuit, quand les combats étaient les plus intenses. » « J’avais dans mes bras ma fille de quatre mois et je voulais juste qu’elle aille bien. C’était une horreur, des images terribles, des villes détruites », a soufflé Pedrinho. S’ensuit un voyage en bus jusqu’en Moldavie, puis un autre en direction de la Roumanie. Et c’est à partir de l’aéroport de Bucarest qu’ils peuvent, enfin, s’envoler pour le Brésil. Où ils ont atterri mardi 1er mars. « Tout ce que je veux, à présent, c’est passer du temps avec ma famille, a ajouté Pedrinho lors de son arrivée à l’aéroport de Guarulhos, à côté de São Paulo. À chaque fois que je leur parlais, je leur disais adieu, parce que je me disais que c’était peut-être la dernière fois que j’entendais leur voix. »

Les joueurs sont un peu choqués quand je leur dis ça, mais la meilleure façon d’aider le club, c’est de jouer.

Les Auriverdes du Shakhtar sont donc désormais auprès des leurs, loin du vacarme des bombardements et de la menace russe. Leur famille est en sécurité, et c’était bien sûr la priorité. Reste à savoir, maintenant, quelle suite donner à leurs carrières, alors qu’un retour à court ou moyen terme en Ukraine paraît totalement inenvisageable. « On va essayer de trouver des prêts au Brésil, où le mercato est encore ouvert jusqu’au 12 avril, glisse Franck Henouda, qui a du pain sur la planche pour recaser ses poulains. Il faut qu’ils continuent à jouer, même à un salaire plus bas. Et l’été prochain, ceux qui étaient déjà dans le viseur de clubs européens pourront être vendus. » Une perspective qui, pour l’instant, n’emballe pas forcément les joueurs concernés. « Ils sont un peu choqués quand je leur dis ça, mais la meilleure façon d’aider le club, c’est de jouer, martèle l’agent. Grâce à leur vente, le Shakhtar récupérera des crédits qui lui permettront de se reconstruire plus tard. On ne peut pas prendre les armes pour aider nos amis, mais on peut le faire d’une autre manière. » Une autre manière, aussi, de perpétuer l’histoire d’amour entre le Shakhtar Donetsk et sa colonie brésilienne.

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Par Raphaël Brosse

Propos de Franck Henouda recueillis par RB, ceux de Marlon et Pedrinho tirés de l'AFP.

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