Le chant des partisans
Ami entends-tu le vol noir des euros sur nos têtes ? Le lecteur du magazine Footpro est un homme heureux. Ainsi, le numéro du mois d'octobre 2007 vante la profession de foi la plus singulière des derniers mois pour justifier de la valeur du championnat de Ligue 1.
A quelques semaines de la renégociation des droits audiovisuels du championnat de France élite, et dans le prolongement des récentes déclarations des dirigeants de Canal Plus qui seraient prêts à abandonner l’exclusivité du championnat de France, Jean-Michel Aulas, Pape Diouf et Gervais Martel ont décidé de dire son fait à leur bienfaiteur Canal Plus, et rappeler à l’actuel diffuseur pourquoi il lui faudrait casser sa tirelire (voir : www.lfp.fr ou www.lfp.fr). Une version capitaliste de la valise ou le cercueil ?
Rappelons à ceux qui l’ignorent que le magazine Footpro, sorte de Pravda des temps modernes, est la publication officielle de la LFP. Edité par la direction de la communication de la LFP, le magazine Footpro se signale généralement par une couverture montrant un ou plusieurs joueurs de Ligue 1 pris par l’euphorie de la victoire, mis en valeur par une accroche humoristico-cinématographique : “Coupe de la Ligue : Destination finale” (n°16, avril 2006) ; “Gazon béni” (n°23, décembre 2006-janvier 2007) ou une alliance non éthylo compatible : “Bordeaux, Champagne” (n°26, avril 2007).
Mais que l’on ne s’y trompe pas. Footpro est un vrai magazine avec son ours (encart dans lequel sont répertoriés le nom du journal, son adresse, le nom du directeur de la publication – Jean-Pierre Hugues par ailleurs directeur général de la LFP, celui des responsables de rubriques et enfin celui de l’imprimeur – l’imprimerie RIVATON).
Footpro a tout d’un magazine que l’on qualifierait de corporate et qu’une mise en ligne renforce. Rien de tel que ce magazine pour faire rêver le supporter, qui est au football ce que la ménagère de moins de cinquante ans est à la télévision : le cœur de cible.
Mais revenons à l’exercice d’auto-promotion de la Ligue 1 rendu possible grâce aux bons soins de MM. Jean-Michel Aulas, Pape Diouf et Gervais Martel, réquisitionnés pour la bonne cause, et tous trois interviouvés par la grande et généreuse Vanessa Caffin (responsable de la communication avec la presse à la LFP, responsable de la communication du magazine Footpro, ex journaliste Journal Du Dimanche, ex intervenante dans l’émission On refait le match , co-auteur de l’ouvrage “Les 11 clubs les plus riches du monde”, Solar, avril 2007).
Attardons-nous tout d’abord sur l’iconographie retenue par le responsable du graphisme de la revue pour constater, en guise d’illustration, un Jean-Michel Aulas suspendu à son téléphone portable (à écouter les variations du cours de bourse de l’OL ?), un Pape Diouf de profil, le regard sombre, tourné vers le lointain (le banc de l’entraîneur ?), un Gervais Martel signant des autographes (afin de démontrer que Lens n’est plus un club populaire mais un club où même les dirigeants sont des stars ?).
« Les présidents font bloc. La Ligue 1 est un produit rare et plébiscité. Et elle vaut cher » . Dès l’accroche, le ton est donné. La Ligue 1 vaut cher et les présidents le clament haut et fort. Tous les présidents de clubs ne le disent pas mais lorsque Jean-Michel Aulas (patron du club qui dispose du plus gros budget de la Ligue 1), Gervais Martel (président de l’Union des Clubs Professionnels de Football) ou Pape Diouf (à la tête du club le plus médiatique de France) le disent, il convient de se ranger derrière eux.
Ce qui suit ne dépare pas. Au gré de questions faussement provocatrices comme par exemple le manque de stars en Ligue 1, de mises en accusation de Canal Plus qui dénigrerait la Ligue 1, les trois présidents de la première ligne du pack de la LFP répondent que le championnat de France fabrique des stars (réponse de Gervais Martel) mais aussi que le championnat reste la compétition préférée des Français.
Au milieu de l’article, la formule glissée en guise d’avertissement destiné à Canal Plus résume tout : « Canal Plus a besoin du football. Sans la Ligue 1, Canal Plus c’est Canal moins » . (Pape Diouf).
Bien que dans le droit fil de la rhétorique du discours du Président de la LFP, cette phrase a le mérite de nier plusieurs données et quelques évidences.
D’une part, nul n’ignore que la direction de VIVENDI a fixé comme objectif à sa filiale Canal Plus d’être plus rentable. Jusqu’à preuve du contraire, le groupe Vivendi n’est pas à proprement parler une entreprise qui verse dans le sentimental. Si le plaidoyer pro domo des présidents est une réponse élaborée par des conseillers en communication de crise, il n’en demeure pas moins que le sport devient dans leur bouche une portion négligeable puisqu’on lit que la négociation des droits audiovisuels est surtout une question de savoir « où est l’intérêt de cet ensemble économique » pour les dirigeants de Canal Plus, et le risque de voir « le cours de l’action Canal Plus] s’écrouler » (Jean-Michel Aulas).
Sauf que dans ce choc d’entrepreneurs, la force est du côté de Canal Plus. L’ignorer serait faire la preuve d’une certaine légèreté. Entre défense corporatiste et amour du sport, il faudrait aussi choisir. Le toujours plus d’argent n’étant pas la preuve éclatante de plus de vertu.
D’autre part, hormis les bonnes audiences de la Champion’s League (qu’elle soit diffusée par TF1 ou Canal Plus), il n’est pas certain que les abonnés de Canal Plus soient si nombreux et si satisfaits des rencontres de la Ligue 1. Ici encore, la stratégie de la bande des trois consiste à répondre par des généralités sans entrer dans le détail. Mais c’est de bonne guerre…économique.
Enfin, le triumvirat ignore la donnée selon laquelle il est plus facile pour Canal Plus de moins payer la LFP, perdre des lots audiovisuels exclusifs pour réduire le coût de sa grille, quitte à perdre quelques abonnés, que d’investir pour acquérir au prix fort pour conquérir une part marginale de nouveaux abonnés. Mais de cela les dirigeants du football n’en n’ont cure. Ils n’hésitent pas à deviser de la valeur du championnat, du besoin pour Canal Plus de proposer ce fameux championnat en exclusivité, en glissant ça et là des estimations financières entre deux slogans sur le championnat qui vaudrait au moins 600 millions d’euros par saison, voire 750 millions d’Euros (Jean-Michel Aulas).
Pour la majorité, dont nous sommes, qui ne peut imaginer ce que représente la somme de 600 millions d’euros, nous dirons que cela reviendrait à offrir une Twingo neuve dans sa meilleure version à chaque spectateur qui sortirait d’un Parc des Princes rempli au maximum de sa capacité. Qui a prononcé le mot indécent ?
On souhaite aux Présidents Aulas, Diouf, Martel et consorts, tout le succès qu’ils méritent. La posture publicitaire du jeune mannequin Deanna Miller, qui officie pour un établissement bancaire néerlandais, sous-entend que : « Plus d’argent donc plus de poches » ([youtube.com).
On conseillera donc à Jean-Michel Aulas, Pape Diouf et Gervais Martel de se rendre directement chez cette jeune femme pour lui emprunter son manteau à poches multiples et y glisser leurs euros. Qu’ils lui prennent son imperméable et qu’on n’en parle plus. Quitte à dévêtir quelqu’un, autant que ce soit une jolie fille.
Jean-François BORNE
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