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Le chant des Mouettes
Trente-quatre ans après sa dernière saison dans l’élite, vingt après avoir frôlé la disparition, Brighton a enfin validé son débarquement en Premier League au bout d’une victoire décisive contre Wigan lundi dernier. Comme un vœu de renaissance sur des cendres de feu.
Il faut s’imaginer le tableau pour ouvrir pleinement le cœur de ce groupe. Leers, le Nord de la France, ses quelques milliers d’habitants et une pluie fine. C’est le mois de novembre, la fin de l’année 2016. Les cloches de l’église Saint-Vaast dansent entre elles, une foule s’est massée dans la grisaille. Quelques jours plus tôt, la plupart des silhouettes présentes étaient à l’Ashton Gate Stadium de Bristol pour une soirée marquée par une nouvelle victoire des Seagulls de Brighton & Hove Albion (2-0), mais aussi par ce qui a été élu depuis comme le plus beau but de la campagne de Championship. Une praline de plus de quarante-cinq mètres signée Steve Sidwell. Les tenues ont changé, le short est tombé, les costumes ont été enfilés. « Souvent, dans le foot, les gens te présentent leurs condoléances de façon assez anecdotique. Là, c’était plus fort que ça » , replace le latéral gauche camerounais Gaëtan Bong, débarqué à Brighton lors de l’été 2015. Le 3 novembre dernier, Anthony Knockaert, leader technique des Seagulls, voit son père, Patrick, s’éteindre dans ses bras. Sept ans plus tôt, l’ancien international espoirs français a déjà perdu son frère, Steve, d’une crise cardiaque.
They give me the power to be where this club has to be -> Road to the premier league … Let’s do it for my dad 💙💙 pic.twitter.com/NEhquAbF8l
— Anthony Knockaert (@AKnockaert) 8 novembre 2016
Quinze mois après un crash aérien au nord de l’aéroport de Shoreham, tuant onze personnes dont un membre du staff de Brighton – Matthew Grimstone –, le club est donc une nouvelle fois séché en pleine course par un drame humain. Cette fois, plusieurs séances d’entraînement sont annulées et l’ensemble des coéquipiers de Knockaert se rendent en France pour les obsèques du père de l’ailier français. « Dans aucun autre club du monde, je pense que mes coéquipiers n’auraient fait ça, pose celui qui a été élu il y a quelques jours meilleur joueur du championnat. C’est un geste que je n’oublierai jamais et je ne sais pas, encore aujourd’hui, comment remercier les gars. Ce n’est pas seulement des coéquipiers, c’est des amis pour la vie. C’est pour ça que je donne toujours tout sur le terrain aussi, car je sais que je suis dans un club unique. » Un club qui vient de valider la première promotion de son histoire en Premier League.
« On avait imaginé le pire »
Voilà comment l’histoire de Brighton & Hove Albion a définitivement basculé il y a quelques jours. Lundi dernier, en recevant Wigan à l’Amex, les Seagulls savaient qu’une victoire pouvait leur permettre de siffler la fin de l’angoisse. Sur les quatre saisons précédentes, le club s’est cassé trois fois la gueule en play-offs. « Le Championship n’est pas respecté par certains en France, mais je pense que pas mal d’équipes de Ligue 1 auraient du mal, reprend Gaëtan Bong. Toute la saison, on a avancé avec le souvenir de l’année dernière où on avait été premiers pendant la moitié du championnat avant de se retrouver troisièmes à courir derrière les deux concurrents. Cette fois, on ne voulait pas se retrouver dans cette situation. On voulait en finir avec tout ça et écrire une nouvelle page d’une histoire. Contre Wigan, c’était donc forcément particulier. Tout le monde attendait un résultat, on a joué avec une pression positive. Et on l’a fait. » Un succès au mental (2-1) grâce à un nouveau but de Glenn Murray, revenu l’été dernier à Brighton après une expérience moyenne à Bournemouth. La vingt-huitième victoire sur une route de quarante-six combats où « tous les trois jours, ça envoie, donc il faut être à 200% » . Le tout combiné au nul entre Derby County et Huddersfield Town (1-1) et voilà les Seagulls en Premier League. Assez pour se satisfaire ? « C’est une première étape, coupe Bong. L’objectif est maintenant de remporter le titre. »
L’histoire est belle et presque incroyable quand on lâche un regard sur les vingt dernières années. Cette promotion est le bout d’un tunnel, mais aussi l’occasion de mettre un point final sur une époque où chaque supporter du club a « imaginé le pire » , comme le raconte le journaliste de beIN Sport Darren Tulett, originaire du Sussex et dont le cœur s’est offert aux Seagulls dès le premier jour. Il reprend : « Comme tous les gamins anglais, après les cours, on jouait au foot et personne ne se posait la question, notre club, c’était Brighton. Pendant ma jeunesse, le club évoluait surtout en troisième division. En France, pour un match de National, tu aurais eu vingt-sept personnes et trois chiens. Là, on était 20 000 au stade. » Son premier match ? Un Brighton-Burnley, lorsqu’il avait huit ans et le souvenir d’un match « regardé debout sur une boîte » . Puis, le printemps 1979, celui de la première montée du club dans l’élite. Une époque où « le marketing n’existait pas encore. On devait prendre le train pour aller au stade. Avec mes potes, on avait des petits jobs, eux souvent au supermarché, moi à la livraison de journaux ou à l’usine. L’objectif était de pouvoir nous payer le train et l’entrée au stade. Lors de la saison 78-79, on a vu presque tous les matchs à domicile. Le dernier match du championnat, Brighton était allé gagner 3-1 à Newcastle. On avait écouté le match à la radio, dans un parc, et le lendemain, il y avait eu une parade énorme dans la ville. Quand t’as quatorze ans, tu n’oublies pas. »
Dr. Martens, Fatboy Slim et World Poker Tour
Au bout, Brighton restera quatre saisons en First Division. « Je me rappelle le premier match en première division, complète Tulett. C’était contre Arsenal, mon deuxième club. On avait nos polos Fred Perry, nos Dr. Martens. Le problème, c’est que l’Angleterre était à cette époque infectée par le hooliganisme donc les flics de Brighton avaient peur. Pour eux, un mec avec des Dr. Martens voulait forcément se bastonner. Ils avaient enlevé les lacets de tous ceux qui portaient des Dr. Martens, on était comme des cons et on avait perdu 4-0. » La chute sera pour l’année 1983. Là, c’est le propriétaire Tony Bloom qui prend la suite : « J’avais treize ans à l’époque et j’avais été incroyablement déçu par cette relégation. Je pensais qu’on allait revenir en première division l’année suivante ou encore celle d’après, mais ce n’est jamais arrivé. On a perdu en finale de play-offs en 1991, mais ensuite, ça n’a été qu’une spirale déclinante. » Jusqu’au 3 mai 1997. Année zéro. Brighton est alors en Third Division (D4), vient de vendre son mythique Goldstone Ground pour éponger ses dettes et ne sauvera sa tête que lors de la dernière journée grâce à un nul héroïque accroché à Hereford (1-1). « En cas de descente, le club aurait certainement disparu » , tranche Darren Tulett. Puis Dick Knight, magnat de la publicité, va débarquer comme « un chevalier » pour sauver les Seagulls à coups de gros chèques, aidé par certains fans célèbres comme Fatboy Slim – le maillot le plus mythique du club est un ensemble floqué du nom du label du DJ, Skint –, avant de refiler le club à Tony Bloom en 2009. Bloom, cette star du World Poker Tour, dont le père fut vice-président dans les années 70 et qui a décidé de tout donner pour son club de cœur.
Cette saison, l’homme a été aperçu à de nombreuses reprises dans les bras de supporters, regardant le plus souvent les matchs en tribunes plutôt que dans un carré VIP. « Je suis supporter du club depuis près de quarante ans, lâche-t-il aujourd’hui. Quand j’ai pris le contrôle du club il y a huit ans, je l’ai fait parce que j’aimais ce club et que j’étais dans une position assez confortable pour l’aider. J’avais fait la promesse à Dick d’aider à la construction du nouveau stade et d’un nouveau centre d’entraînement. Mais ce n’est pas suffisant, il faut ensuite diriger le club correctement, sans faire de folie. Depuis le début, de nombreux investisseurs locaux ont injecté de l’argent et cela n’a pas toujours bien marché pour eux. C’est important, au-delà du terrain, de prendre des décisions rationnelles et dénuées d’émotions. » Résultat, Brighton a avancé à son rythme, s’offrant des installations souvent présentées comme dignes des plus grands clubs de Premier League et s’est solidifié pour atteindre son rêve. Un rêve qui porte également la marque de la confiance. Celle offerte à Chris Hughton entre les vagues.
La patte Hughton
16 mai 2016. Brighton est accroché sur son terrain par Sheffield Wednesday (1-1), trois jours après une défaite à Hillsborough (0-2). La fin d’un cycle ? Non, Chris Hughton signe dans la foulée un nouveau bail de quatre ans. « Aujourd’hui, c’est l’un des entraîneurs les plus respectés du royaume, argumente Bloom. Quand il est arrivé ici, nous étions dans une situation compliquée. Son premier objectif a été de nous maintenir en Championship lors de la saison 2014-15. Il l’a fait et la suite lui a donné raison. On savait que c’était l’homme pour ce projet. » Après quelques difficultés connues dans l’élite par rapport au style de jeu qu’il proposait, Hughton s’est refait une belle santé sur le banc des Seagulls avec un mélange de solidité défensive et de folie offensive symbolisée par un Knockaert à qui toute liberté a été donnée dès le départ. Bong : « C’est quelqu’un de malin, toujours serein et qui sait où il veut aller. Il a conscience du chemin qu’on a traversé tous ensemble, en partant de la frustration de la saison dernière à la folie connue lundi soir. Contre Wigan, il a réussi à garder tout le groupe concentré en ne dévoilant la composition qu’à la dernière minute. C’est avant tout sa victoire. »
C’est aussi la victoire de la politique d’un club qui s’est renforcé l’été dernier pour avoir un effectif étoffé, indispensable pour réussir en Championship. « Tous les joueurs qui sont arrivés sont plus ou moins dans le même cas que moi, poursuit Bong. Le club a été chercher des mecs avec de la qualité, mais qui connaissaient des difficultés dans leur carrière. Le groupe a été construit comme ça et chacun a ensuite apporté sa pierre à l’édifice. » Parler de l’unité d’un club peut parfois être dénué de réalité, mais tous les exemples, sur et en dehors du terrain, ont prouvé qu’à Brighton, cela avait un sens. Il y a eu cette doublette défensive Duffy-Dunk, le retour de Murray, la confirmation de Knockaert, mais aussi la résistance des dirigeants pour conserver Dale Stephens face à l’insistance de Burnley l’été dernier. C’est la victoire d’un projet, d’une certaine idée de la gestion, rafraîchissante avant tout, et la revanche d’Anthony Knockaert contre la vie. Le voir jouer en Premier League était le rêve de son père. Cette montée lui a été dédiée. Reste maintenant à poser la dernière pierre pour une nouvelle fête. Ce n’est certainement que le début d’une belle histoire.
Par Maxime Brigand
Tous propos recueillis par MB.