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Le championnat d’Irlande est-il le paradis pour les parieurs illégaux ?
Avec une moyenne d’à peine 1500 spectateurs par match, et seulement 28 rencontres télévisées diffusées en direct par saison, le championnat d’Irlande (SSE Aitricity League) de football est loin d’attirer les foules. Pourtant, l’an dernier, il s’est offert une publicité dont il se serait bien passé. Deux rencontres ont été touchées par des allégations de paris truqués. Si aucune de ces accusations ne s’est encore révélée véridique, la forme du championnat, combinée à certaines décisions prises par ses dirigeants, en ferait une cible facile pour les rois des paris illégaux à travers le monde. Tentative d’explication.
Le 3 mai dernier au matin, les dirigeants de la FAI (Football association of Ireland), ont reçu une bien mauvaise surprise. La plus haute instance du football européen, l’UEFA, leur adressait un courrier les alertant que « des évidences de paris irréguliers » avaient été constatées lors de la rencontre de première division opposant Athlone Town à Longford Town disputée le week-end précédent. Le match s’était terminé sur un score de 3-1 pour Longford. Un nombre anormalement élevé de parieurs aurait misé sur le fait qu’Athlone Town allait s’incliner avec deux buts d’écart, que deux buts seraient marqués en première mi-temps et que la rencontre allait se terminer avec un total de quatre buts. Le match aurait engendré plus de 340 000 dollars de paris en Asie. Après plusieurs semaines d’investigations, un comité de la FAI a décidé au mois de septembre dernier de suspendre deux joueurs d’Athlone Town de toute activité footballistique pour une durée d’un an. Défendus par leur club et par le PFAI (Professionals Footballers association of Ireland), les deux joueurs contestent cette décision et leurs cas seront examinés au mois de mars prochain par la haute cour de justice irlandaise.
Visite de la Garda
Quelques semaines plus tard, la FAI ouvrait une nouvelle investigation. Cette fois-ci pour une rencontre amicale, ayant opposé l’équipe de Bray à Waterford. Défaits cinq à zéro ce jour-là, les joueurs de Bray ont ensuite reçu la visite de le Garda (la police irlandaise), qui a fait annuler l’une de leur session d’entraînement afin de les interroger pendant plusieurs heures et d’inspecter leurs téléphones portables. La semaine passée, la FAI a finalement publié un communiqué de presse indiquant que l’enquête concernant cette rencontre était terminée, car les évidences trouvées étaient insuffisantes pour sanctionner qui que ce soit de manquement aux règles de la FAI. Tout en précisant qu’elle se laissait le droit de la ré-ouvrir en cas de découverte de nouveaux éléments. Cependant pour beaucoup d’experts, ces deux enquêtes, peu importent leurs résultats, sont révélatrices d’un mal plus profond : le championnat irlandais serait la proie la plus facile pour les parieurs souhaitant intervenir directement dans le résultat d’un match de football.
Un pacte avec le diable
L’un d’entre eux est Jack Anderson. Professeur de droit du sport à l’université de Melbourne, il s’est particulièrement intéressé aux paris truqués dans le football ces dernières années. « Je pense que si vous cherchez à savoir quel championnat européen peut être confronté à de tels problèmes dans le futur, et que vous regardez avec attention les critères qui vont avec, la Ligue irlandaise sera en tête de la liste. » Pour arriver à cette conclusion, il détaille un à un les éléments qui rendent le championnat irlandais susceptible d’être la cible des attaques des parieurs. « L’une des premières choses qu’ils vont regarder, c’est la couverture médiatique. De manière à ce que si un joueur fait une action litigieuse, ça ne fasse pas la une des journaux le lendemain. C’est le cas de la ligue irlandaise, qui est très peu suivie sur place et que personne ne connaît ailleurs en Europe. » Le calendrier de la compétition serait de plus particulièrement avantageux pour les organisations criminelles.
« Une grande partie des matchs se déroule entre le mois de juillet et août, moment où tous les autres championnats sont à l’arrêt et où le football est moins visible médiatiquement. » Reste que la Ligue irlandaise est à ce moment-là visible en vidéo sur quasiment tout le continent asiatique via les sites de paris sportifs. La faute à un contrat signé par la FAI en 2015 avec l’entreprise autrichienne Trackchamp, détenue à 50% par la célèbre compagnie de paris en ligne Bwin. Un contrat qui a dans un premier temps fait le bonheur de tout le monde. Les clubs reçoivent en début de saison 10 000 euros grâce à ce deal, la Ligue irlandaise se vante d’être plus visible à travers le monde, et l’entreprise autrichienne engendrerait selon plusieurs médias irlandais plus de 650 000 euros de paris par match. « On est ici dans le conflit d’intérêts. La FAI nous dit qu’elle a une politique de tolérance zéro vis-à-vis des paris truqués, mais dans le même temps elle signe un contrat avec une entreprise de paris en ligne. Plus que ça, elle rend visible les matchs du championnat en Asie, où se trouvent les principales organisations criminelles liées aux paris sportifs. »
Des lois archaïques
Pour appuyer son argumentation, l’universitaire cite également une enquête publiée par la Fifpro (l’organisation mondiale des footballeurs professionnels). Réalisée auprès de 14 000 footballeurs à travers le monde, elle établissait un lien entre les joueurs mal payés et leur probabilité à être approchés pour truquer un match. Une situation bien connue en Irlande, puisque toujours selon cette enquête, 1/5 des joueurs irlandais gagnerait moins de 280 euros par mois, et 3/5 seraient obligés de compléter leurs revenus gagnés avec le football par un deuxième travail. Jack Anderson donne également un dernier élément important : « On peut critiquer la FAI, mais la vérité, c’est qu’elle est seule. Les lois irlandaises sur les paris sportifs remontent aux années 1950. Dans quasiment tous les autres pays, vous avez des lois spécifiques pour ce genre de problème, plus l’existence d’une commission qui vient en aide à la Fédération lors d’une enquête. Ce n’est pas le cas en Irlande, ce qui rend le travail de la FAI très difficile. »
Pourtant, certains acteurs de la SSE Aitricity League tiennent à relativiser les choses. C’est le cas de Stuart Gilhooly, avocat associé à la PFAI. C’est lui qui défendra les deux joueurs d’Athlone Town devant la haute cour de justice au mois de mars prochain. « Je n’aime pas trop parler de problèmes de paris sportifs dans le championnat d’Irlande. Car pour le moment, nous n’avons été confrontés qu’à deux allégations, pose Anderson. Pour la première, la FAI vient de dire qu’elle n’avait pas les éléments suffisants pour prouver une faute des joueurs de Bray. Dans la seconde, on doit encore attendre la décision de la cour de justice. Donc rien n’est encore avéré. » Malgré tout, il est le premier à avouer que le deal passé par la FAI avec la compagnie autrichienne Trackchamp n’est pas la meilleure publicité pour le football irlandais : « Avant chaque saison, on fait des réunions avec les joueurs pour leur expliquer ce qu’ils doivent faire s’ils sont contactés pour influencer un match. On fait de la prévention et on a encore accentué cela cette année. Mais je ne vais pas mentir, le contrat avec Trackchamp n’aide pas les choses. »
Un contrat qui dure jusqu’en 2019 et dont personne ne sait encore s’il sera reconduit ou annulé. En revanche, le ministre de la Justice irlandaise, David Stanton, a récemment annoncé qu’une nouvelle loi sur les paris serait débattue au parlement dans le courant de l’année. Contactée, la FAI n’a pas souhaité réagir. En revanche, son directeur des compétitions, Fran Gavin, s’était exprimé devant les médias irlandais à l’annonce de la fin de l’enquête concernant la rencontre entre Bray et Waterford la semaine passée : « On va être très attentif cette année. Travailler très étroitement avec la police, pour être sûr que tous ceux qui participent à notre championnat sachent qu’ils ne pourront pas s’en sortir s’ils veulent truquer des matchs ou participer à des paris illégaux. Ils sont au mauvais endroit, car ils seront poursuivis. »
Par Charles Thiallier, à Dublin.