- Rétro Mondial 86
- Maradona
Le cauchemar du siècle
À propos du deuxième but de Maradona contre l'Angleterre en quart du Mondial 86, plus connu sous l'appellation “but du siècle”, on a tout vu, tout dit, tout écrit, tout entendu. Sauf la version des “victimes”. Peter Beardsley, Peter Reid, Terry Butcher, Terry Fenwick et Peter Shilton, ont accepté de se remémorer dans le moindre détail leur pire cauchemar...
PETER BEARDSLEY
« D’après ce qu’on avait vu, l’Argentine n’était pas vraiment brillante. C’était surtout une équipe solide, disciplinée, avec Diego Maradona pour faire la différence. Franchement, avant la rencontre, on était sûrs d’avoir globalement une meilleure équipe. Et jusqu’à ce quart de finale, dans l’histoire du foot, ça avait toujours suffi contre un seul joueur, non ? Au départ de l’action du second but, on est encore un peu sous le coup du premier. C’était moins de cinq minutes avant. En ce qui me concerne, j’avais envie que l’on revienne très vite au score, peut-être trop vite. Après coup, je me dis que nous n’avions peut-être pas tout à fait la lucidité nécessaire pour faire face à son exploit du second. Je ne suis pas loin de penser qu’il le savait, il avait l’air de tout maîtriser sur cette partie. Même l’arbitre (rires). Maradona reçoit ce ballon dans une zone vraiment peu dangereuse et dans des conditions difficiles : dos au but avec deux joueurs qui arrivent sur lui. Théoriquement, il doit faire une remise à une touche ou un travail dos au but en attendant de se dégager un peu ou de trouver un partenaire libre. Et là, je n’ai toujours pas compris ce qui s’est passé. Sur le contrôle, il se dégage de mon marquage et me repasse sous le nez d’une volte sur un pied et il démarre. Je suis resté cloué sur place. D’ailleurs très vite, j’arrête ma course. D’une part, je suis encore sous le coup de ce qu’il vient de faire mais en plus, il est encore tellement loin que je suis certain qu’il va s’arrêter pour faire une passe ou se faire contrer s’il tente de poursuivre seul. Notez que je ne dis pas ‘aller au bout’. À aucun moment, je n’ai envisagé que ça puisse arriver. Est-ce que ça aurait changé quelque chose de continuer ma course ? Je ne crois pas. Il avait pris une sacrée avance sur son démarrage. On était presque à l’heure de jeu, sous une chaleur terrible, on commençait tous à souffrir. Et quand je repense à sa vitesse d’exécution à ce moment du match, je me dis que tout était irréel. Ensuite, derrière moi, il y en a cinq autres qui prennent le même courant d’air. Avec le temps, ça aide à déculpabiliser… »
PETER REID
« Pfff… J’ai souvent essayé de rejouer l’action, voir ce qui avait cloché. Je n’ai jamais rien trouvé. Notre plan était pas mal au milieu avec des gars comme moi, Glenn Hoddle et même Beardsley, qui décrochait beaucoup. L’idée était de confisquer le ballon, ne pas subir. Ça n’avait pas trop mal marché d’ailleurs mais le problème est que notre meilleur récupérateur, Trevor Steven, était décalé à droite dans ce dispositif. Ça a peut-être compté au moment d’arrêter Maradona. En même temps, Maradona est allé si vite, je ne sais pas si Steven aurait changé quoi que ce soit… Au moment où les Argentins récupèrent le ballon, je suis un peu éloigné de l’action et je vois bien la situation. Le mec sur le côté droit, je sens qu’il cherche à tout prix un moyen de filer la balle à Maradona alors qu’il n’est pas démarqué. C’est pour ça que j’accélère ma course. Beardsley lui ferme le côté gauche, il va donc revenir dans l’axe. Vers moi. Sur son contrôle, je suis sûr d’avoir le ballon. Et là, il fait un truc de dingue que je n’avais jamais vu, ni avant, ni après. Ce dribble en pivot sur un seul pied, à cette vitesse et face à deux adversaires, c’était quoi putain ?!!?? Peut-être aussi que je ne disposais pas de toute ma lucidité sur cette action, j’avais encore en travers de la gorge le but de la main. J’avais été l’un des plus furieux sur ce coup-là. Avais-je suffisamment décoléré ? En même temps, j’ai l’impression d’avoir gardé un certain sang-froid puisque j’avais bien anticipé son contrôle. Sauf que lui a répondu avec une feinte paranormale. Il repasse derrière Beardsley, qui doit encore se demander ce qui s’est passé. Moi, je continue ma course pour l’arrêter. Mais Dieu qu’il allait vite ! On ne parle pas assez des qualités physiques de Maradona. Ce démarrage, cette vitesse, cet équilibre alors que le match est bien avancé, qu’il fait une chaleur à crever, c’est fou. Vous pouvez demander aux autres, je n’étais pas réputé pour être l’un des moins résistants. Mais là, je n’arrivais pas à suivre. Sans ballon, j’avais l’impression de peser plusieurs tonnes alors que lui, avec la balle, donnait l’impression d’accélérer encore et encore. J’étais vraiment bien placé, j’étais derrière lui. Mais quand bien même aurais-je voulu le descendre que je n’aurais pas pu, il était déjà hors d’atteinte. Maradona était génial techniquement, costaud mentalement mais aussi très fort physiquement. On l’oublie souvent. »
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TERRY BUTCHER
« Ah ce but ! Je considère que c’est un peu la continuité du premier. Il était clair que ce match n’était pas ordinaire, que ça dépassait le cadre du terrain. Les Argentins étaient très motivés et Maradona plus encore. S’il avait voulu nous envoyer un message, il n’aurait pas pu mieux faire. Sur le premier, je pense que c’était une manière pour lui de nous faire ressentir l’injustice dont il estimait son pays victime. Sur le second, il balaie tout doute sur sa supériorité en nous empêchant de justifier notre défaite par une quelconque injustice. Sur ce fameux second but, je me souviens l’avoir vu débouler comme une bombe vers moi. Je le voyais bien, il ne cherchait pas du tout à m’éviter, à trouver une autre issue, un autre moyen. Il a dit plus tard avoir voulu faire la passe à Valdano tout au long de l’action, mais je n’y crois pas, je vous assure qu’il avait l’air d’avoir la tête dans le guidon. Déjà ce premier dribble, j’étais aux premières loges, juste derrière Beardsley et Reid. Je n’ai jamais vu une telle rapidité, ni même un tel mouvement. À croire qu’il l’avait inventé sur ce coup. Pas comme le truc de Zidane (la roulette, ndlr) dont on sent que c’est travaillé, réfléchi, même si j’aime bien ce mouvement. Il arrive très vite sur moi et j’hésite entre deux options : reculer ou intervenir. Je crois qu’il a senti que j’étais un peu sur les talons. Surtout que Kenny Samson, notre arrière gauche, était monté, je devais donc un peu compenser dans son couloir. Et il m’a battu sur son crochet extérieur en revenant dans l’axe. Sur le coup, j’ai pensé que c’était une bonne chose, que ça aurait été plus dangereux qu’il déborde sur l’aile, car théoriquement quand on revient dans l’axe, à moins de frapper au but, on ne peut plus faire la différence. Je me suis légèrement trompé, non ? (Rires) Est-ce que j’aurais dû faire faute ? Je ne pense pas. Vraiment, je pensais que c’était une bonne option de le rabattre dans l’axe. Et puis, il me semble qu’il fait son crochet extérieur à bonne distance. Il avait conscience qu’à sa vitesse, le moindre changement de direction m’éliminait. J’ai bien essayé de le reprendre après qu’il a effacé Fenwick et Shilton mais il a résisté à ma charge. Je peux bien le dire aujourd’hui, je lui ai mis une sacrée cartouche. Plus désespérée qu’autre chose d’ailleurs car la différence était faite. »
TERRY FENWICK
« Ce but est vraiment à part pour que vous me poursuiviez jusqu’en Jamaïque plus de vingt ans après pour m’en reparler… Je n’ai plus qu’à trouver un autre pays (Rires). Plus sérieusement, tout le monde retient les deux buts mais en fait Maradona avait bâti tout ça en première période. Peu de gens s’en souviennent mais il avait fait une démonstration de football durant les 45 premières minutes. Il avait multiplié les dribbles, les talonnades, les remises acrobatiques et surtout les raids solitaires. Comme s’il avait voulu baliser le truc en nous testant, en nous épuisant aussi. C’est d’autant plus incroyable qu’il s’était fait sécher dès ses premières prises de balle. Moi-même, je lui avais mis plusieurs gros tampons. Ça m’avait valu un jaune direct d’ailleurs. En fait, je vais vous dire mais je ne devrais pas. Durant ce match, on lui en a mis dans le buffet comme rarement un joueur en a reçu dans un match de ce niveau. Et ce type est constamment revenu à l’abordage, à chaque fois plus fort, plus rapide. Il était vraiment costaud, une vraie boule de muscles. Sur l’action, il a démarré très vite mais il a encore accéléré ensuite ce qui est étonnant car généralement on ralentit, même un peu, pour garder le contrôle du ballon, comprendre la situation. Mais Maradona ne devait pas avoir ce genre de problèmes (rires). Quand il efface Terry Butcher, Maradona profite à plein des trois options qui s’offrent à lui : faire la passe à Valdano qui a suivi l’action dans l’axe, refaire un dribble extérieur pour s’ouvrir un espace de frappe avec son pied gauche ou revenir à l’intérieur. Ce qu’il a fait. Mais si on veut aller dans le détail, on peut aussi dire que ce dribble intérieur était parfait car il le maintient dans la trajectoire vers le but, il ne se désaxe pas. C’est aussi pour ça qu’il conserve une vitesse de folie. Sur ce coup, j’hésite à le descendre. Mais j’ai bien fait de ne pas le faire. Ça aurait été un second jaune. À dix, ça aurait été compliqué, surtout sous cette chaleur. D’ailleurs, on revient à (1-2) et on manque l’égalisation d’un petit rien. Bon, j’essaie bien de le freiner un peu avec mes bras mais en passant, Maradona tape dessus violemment comme pour me dire ‘N’y pense même pas’. Sur ce coup, j’ai senti qu’il était habité. C’était son match. »
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PETER SHILTON
« Pendant longtemps, je n’ai pas digéré cette action, à cause du premier but de voleur. Mais après, le temps passant, je me suis dit que j’avais vu un truc unique. Irréel. Ce qui m’a frappé, c’est qu’il avait l’air léger, le ballon aussi alors que tout le monde, nous comme les autres Argentins, avions l’air lourds. C’est vrai aussi que j’étais d’autant plus impressionné que sur le premier but, il va vraiment haut pour me battre de la main. Au-delà de la tricherie, j’ai aussi réalisé qu’il avait des dispositions physiques exceptionnelles. Au début de l’action du second but, je n’étais pas trop inquiet mais quand je l’ai vu éliminer Terry Butcher, qui était un sacré défenseur en duel croyez-moi, j’ai compris qu’on avait de sérieux problèmes. Il allait toujours aussi vite mais il ne perdait pas sa trajectoire. Plus tard, j’ai revu une émission où le chemin de ce but était dessiné. C’était exactement ce que j’avais ressenti : il avait réussi à effacer tout le monde tout en restant dans la bonne trajectoire. Et quand je repense à la façon dont il m’a éliminé, pff… Je n’ai jamais vu ça. Aujourd’hui on compare ce but avec celui de Messi alors que ça n’a vraiment rien à voir ! Pour effacer le gardien, Messi se déporte, se désaxe et il doit rattraper le coup du pied droit d’ailleurs si je me souviens bien. C’est très fort, je ne dis pas le contraire mais ça reste quelque chose que je comprends, que je conçois. Maradona, lui, fait une feinte de frappe d’un léger mouvement de hanche pour me faire plonger, et d’une petite touche de balle, me dribble sans se désaxer. S’il repart trop vers l’intérieur, il se fait couper par Butcher qui revenait fort sur lui. Il réussit tout ça à la vitesse de l’éclair sans même décélérer un peu. C’est tout bête mais c’est un truc hyper dur à réaliser, unique, on ne s’en rend pas toujours compte. D’habitude, il y a une rupture, soit dans la direction comme pour Messi, soit dans la feinte de frappe. En fait, à la vitesse où il allait, l’option la plus normale aurait été d’enrouler un petit intérieur vers mon poteau droit comme Thierry Henry le fait si bien. C’est pour ça que je pense avoir bien joué le coup. S’il frappait, j’avais bien bouché mon angle, et s’il dribblait, il aurait dû se déporter et se serait désaxé comme Lionel Messi. Mais il faut croire que Maradona est bien plus fort qu’Henry et Messi. »
Tous propos recueillis par Dave Appadoo, dans le SoFoot numéro 50 consacré à Diego Maradona
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