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ACTU MERCATO

Le cas Moura

Par Alexandre Doskov
Le cas Moura

Affaire classée, Lucas Moura n'est plus un joueur du PSG. Est-ce qu'il s'en sort bien en s'échappant à Tottenham ? Évidemment. Est-ce qu'il aurait mérité mieux à Paris ? Peut-être. Mais au moment d'autopsier son échec, force est de constater que le premier responsable de la déchéance de Lucas Moura n'est autre que Lucas Moura lui-même. Triste, pour le type le plus sympa du vestiaire parisien.

La planète avait eu chaud. Salauds de Mayas, quelle idée de prévoir la fin du monde pour le 21 décembre 2012 ? Avec leurs calendriers obscurs, leurs comptes d’apothicaires et leurs prédictions flippantes, ils auront réussi à mettre une belle pagaille. Pire, en plus d’avoir pourri la vie des habitants de Bugarach, les Mayas ont offert à Roland Emmerich la possibilité de pondre l’horrible 2012. Alors en cette fin d’année 2012, après avoir vécu tant d’aventures, la plèbe avait besoin de retrouver des sujets de conversation normaux. La politique, par exemple ? Tiens tiens, Mediapart vient de révéler que Jérôme Cahuzac aurait planqué quelques billes au pays de Roger Federer. Compliqué, ce début de quinquennat Hollande.

Mais on espérait que la suite lui sourirait un peu plus. Au même moment, le vendredi 28 décembre 2012, alors que les organismes châtiaient les excès de Noël en attendant ceux du 31, un visage s’affichait dans tous les kiosques à journaux de l’Hexagone, celui de Lucas Moura en une de L’Équipe. Un jeune de vingt ans lui aussi parti pour un quinquennat compliqué avec en prime ce titre tapageur : « Paris attend son messie » , jeu de mots moyennement subtil histoire de bien faire comprendre que le PSG plaçait pas mal d’espoirs dans son nouveau joujou. Une époque où Paris voulait nous faire croire que sa cellule recrutement avait fait le coup du siècle. Une époque où Lucas valait 40 millions. Une époque où il avait des cheveux, aussi. Cinq ans plus tard, la crédibilité, la valeur marchande et la tignasse se sont envolées.

Cases cochées

Toujours sur la une de L’Équipe, juste en dessous de la titraille ambitieuse, le quotidien se permettait de marteler le message : « Les propriétaires qatariens du club comptent bien avoir déniché leur Lionel Messi. » Grandiloquent, certes, mais l’idylle avait alors tout pour fonctionner. Le PSG et le São Paulo FC s’étaient serré la pince dès l’été en topant pour une arrivée de Lucas l’hiver suivant, juste le temps de terminer le championnat brésilien et d’acheter quelques habits chauds. Dans un monde où les défenseurs remplaçants ne valaient pas encore 50 millions, le deal posait quelques questions, mais on avait envie d’y croire, car même si personne ne connaissait le Lucas en question, il avait l’avantage de rentrer dans les bonnes cases. Brésilien ? Cochée. Youtubo-compatible ? Cochée. Formé au futsal ? Quelques compétitions disputées avec les équipes de jeunes du Brésil ? Un palmarès avec des titres venus de la CONMEBOL qu’on ne connaît ni d’Adam ni d’Ève, mais qui sonnent bien à l’oreille ? Bim, bim, bim, tout était coché. Seule l’enfance dans une favela manquait à l’appel pour que le storytelling soit vraiment parfait. À peine descendu de l’avion, Lucas lançait l’opération séduction et se montrait impeccable au moment des micros tendus. « Le PSG a une longue histoire avec les joueurs brésiliens et j’espère que je pourrai écrire une nouvelle page de cette histoire » , largue-t-il d’un coup d’un seul, cinq ans avant qu’un cerveau malade du service marketing du club n’inonde la capitale de maillots jaunes pour rendre hommage à cette fameuse tradition. Assurément, ce Lucas était touchant.

« Lucas, c’est ça »

Sympathique, attachant, bon esprit, aimable, convivial, Lucas n’a jamais cessé de l’être. Dans les bons, dans les mauvais moments, quand il jouait, quand il ne jouait pas, le Brésilien est toujours resté un chic type sans avoir à faire semblant de l’être. De Lucas à Paris, on se souviendra des pitreries, des vannes avec Marquinhos, des « Champions mon frère » scandés jusqu’à l’overdose. On peut également applaudir le bon élève qui a appris le français rapidement. Ou le jeune papa qui, il y a deux mois et alors qu’il savait que ses heures dans le 7-5 étaient comptées, a voulu que son gamin naisse à Paris. Mais le football n’est pas un centre aéré, et à Paris, Lucas n’a jamais réussi à se débarrasser de l’étiquette « pétard mouillé » qu’on lui a vite flanqué dans le dos.

Et pourtant, des matchs, Lucas en a joué. Mine de rien, c’est aujourd’hui lui le Brésilien le plus capé de l’histoire du PSG, et encore la saison dernière, il était le joueur le plus utilisé par Emery. Statistiquement parlant, rien de dégueulasse non plus et depuis son arrivée, chaque saison, il a marqué plus de buts que celle d’avant. Le souci, c’est que Lucas a trop souvent rendu fous les supporters. Incarnation parfaite du poulet sans tête qui joue en regardant ses pieds, allergique à l’efficacité, Moura fait pousser des soupirs dépités aux plus calmes et met franchement en colère les autres. Et si demain, un type sorti d’un coma de vingt ans demande : « C’est qui Lucas Moura ? » , il n’y aura qu’à l’installer devant la vidéo de son rush contre Marseille en 2014 en lui disant : « Regarde. Lucas Moura, c’est ça. »

La dernière passe décisive

Du coup, alors qu’en décembre 2012, on se demandait quels Parisiens allaient le plus souffrir de son arrivée, Lucas a basculé dans l’autre camp, celui des pauvres cloches qui perdent des minutes de jeu à chaque nouvelle recrue offensive de Paris. Le tout sans avoir l’excuse des blessures comme Pastore. Mais comme Lucas est tout sauf un mauvais bougre, personne ne lui souhaitait de mal et une signature à Tottenham est ce qui pouvait lui arriver de mieux. Vu son manque de temps de jeu et sa réputation, il s’en tire même carrément bien, surtout quand certains juraient qu’il n’y avait plus que la Chine pour vouloir encore de lui. Avant de claquer la porte direction Londres, Lucas aura fait les choses bien. Pas une déclaration plus haute que l’autre, une abnégation admirable, et un attachement jamais feint au PSG.

Mieux, certains lui prêtent un rôle réel dans l’arrivée de son ami Neymar à Paris. Que son influence dans le choix de Junior soit réelle ou fantasmée, laissons à Lucas le bénéfice du doute et accordons-lui cette dernière passe décisive. Ce qui est sûr, c’est que les larmes de Marquinhos n’étaient pas fantasmées quand il s’est mis à pleurer face caméra sur Canal+ en parlant de son Lucas adoré. Moura laisse derrière lui des amis, des vrais. Il part en laissant surtout pas mal de regrets. Paris attendait son messie, d’après L’Équipe. Tant pis pour la clairvoyance. N’oublions pas que sur cette même une, à droite de la grande photo de Lucas, un petit encart annonçait une interview de Túlio de Melo avec cette déclaration : « Je veux aider le LOSC. » La suite, c’est une saison à un but en championnat. Décidément, le mois de décembre 2012 était peu propice aux prédictions.

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