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- Real Madrid-Manchester City (1-1)
Le carnet tactique de Real Madrid – Manchester City
Mené par un Real Madrid patient et létal, le Manchester City de Pep Guardiola a finalement su passer par la fenêtre pour arracher un nul précieux avant le retour à l'Etihad (1-1). Récit d'une première bataille tactique qui a vu Carlo Ancelotti utiliser plusieurs outils.
La veille d’une autre « opportunité », en avril 2021, Pep Guardiola s’était assis en haut d’une tribune de presse et avait choisi de dézoomer : « En travaillant avec Johan Cruyff, j’ai appris que quand tu arrives à ce stade de la compétition, la seule chose à faire est d’apprécier le match, la responsabilité et la pression, d’apprécier le fait que tu ne revivras peut-être jamais plus une situation similaire. C’est quelque chose qui est réservé à l’élite, et les grands joueurs apprécient ces moments-là parce qu’ils assument leurs responsabilités. C’est aussi pour ça que les grands joueurs et les grands clubs gagnent une compétition comme la Ligue des champions : ils jouent ces matchs-là comme des matchs amicaux et c’est aussi ce que je veux voir de mon équipe. Je n’oublierai d’ailleurs jamais ce que Cruyff nous a dit une minute avant d’entrer sur la pelouse de Wembley, en 1992, pour affronter la Sampdoria en finale de la C1 : “Allez-y et profitez.” Je sais que je ne dirai pas ça parce que je ne suis pas Johan Cruyff, mais je vais dire à mes joueurs de profiter du voyage, du café à l’aéroport, de la nuit à l’hôtel, du dîner tous ensemble, de la promenade, de l’entraînement, du processus. Aujourd’hui, nous avons le privilège de faire partie des quatre meilleures équipes de la saison et nous devons en profiter. »
Le lendemain, son Manchester City, en route vers un septième titre de champion d’Angleterre, était allé s’imposer à Paris (1-2) et s’était ouvert les portes de la première finale de C1 de son histoire. Pep Guardiola y avait alors vu ses gars se faire punir par la science du Chelsea de Thomas Tuchel avant de lâcher, blême : « On va apprendre, on reviendra. » C’est à cet instant que le Real Madrid de Carlo Ancelotti est revenu dans sa vie. Il est passé une première fois la saison dernière et a laissé les Citizens dominer 90% de la conversation avant de les faire exploser en mille morceaux au bout du bout d’une demi-finale stupéfiante (3-4, 3-1, AP). Puis, l’actuel troisième de Liga a de nouveau pointé le bout de son nez mardi soir alors que le manège de Guardiola était, selon la très grande majorité des témoins, plus prêt que jamais à affronter les sortilèges madrilènes. Alors, verdict ? Alors, le premier dîner édition 2023 entre les Madrilènes et les Mancuniens a débouché sur un nul (1-1), mais aussi sur un paquet d’éléments.
Le filet blanc
Durant un peu plus de 30 minutes, on a donc d’abord regardé le leader de Premier League, coincé à un tout petit succès à l’extérieur en C1 cette saison (à Séville, 0-4, début septembre), prendre le contrôle des échanges, confisquer le ballon (73% du temps), être plutôt en réussite dans son contre-pressing (Rodri a notamment été très bon dans ce registre), jouer avec sa structure (City a une nouvelle fois alterné entre des phases de relance en 4+2 et d’autres en 3+2 avec Stones venant se hisser aux côtés de Rodri), mais aussi avancer avec la peur au ventre de concéder une transition assassine ou d’ouvrir un match de ping-pong. Pep Guardiola n’est pas fou et a parfaitement conscience qu’une demi-finale se joue sur 180 minutes, d’autant plus lorsqu’elle s’ouvre à l’extérieur, où il a souvent été assez conservateur lors des matchs allers. De son côté, le Real, qui n’est dans un premier temps sorti que grâce à un superbe enchaînement côté gauche bouclé par une ouverture foirée de Vinícius Juníor vers Benzema, a eu besoin d’un temps d’adaptation pour se caler sans ballon et a avant tout cherché à ce que le rythme de la rencontre n’explose pas. Plus fonctionnelle que positionnelle, la troupe d’Ancelotti peut parfois offrir pas mal de trous à exploiter entre les mailles de son animation défensive, mais elle a cette fois assez rapidement trouvé ses repères malgré un bloc parfois trop étiré qui a laissé City profiter de quelques seconds ballons.
Quand Manchester City est ressorti en 4+2, Modrić et Valverde sont alors venus se coller à Rodri et Gündoğan, laissant Toni Kroos contrôler les mouvements de Kevin de Bruyne dans un 4-1-4-1. Quand, au contraire, City a progressé en 3+2, le Real a répondu par un 4-2-3-1 (ou 4-5-1 selon la hauteur). Constante de ces deux organisations : Erling Haaland a toujours été chaperonné par deux surveillants, Rüdiger gérant les décrochages du colosse norvégien et Alba assurant la couverture, alors que Camavinga et Carvajal ont eu la responsabilité de tenir Bernardo Silva et Jack Grealish, ce qui a été facilité par les retours fréquents de Rodrygo et Vinícius, mais aussi par le fait que Walker et Akanji, apeurés par la vitesse des deux mobylettes brésiliennes, n’ont pratiquement jamais attaqué la profondeur ou fait douter la ligne défensive adverse en proposant de venir monter un deux contre un. De Bruyne, lui, ne l’a fait qu’à de rares occasions (notamment à la 52e, même s’il a été signalé hors jeu et a fait briller Thibaut Courtois) et Gündoğan qu’une seule petite fois (42e). Cela a logiquement aidé le Real à maintenir sa compacité en défense placée sans trop forcer.
Première situation face à un City en 3+2 : le Real se replie dans son camp en 4-5-1, ce qui permet de fermer l’intérieur et pousse De Bruyne à basculer à l’extérieur…
… touché le long de la ligne, Bernardo Silva va alors alerter Stones dans le dos de Camavinga, mais Modrić va assurer la couverture.
Autre situation un cran plus haut : alors que City patiente pour sortir en 4+2, le Real s’organise en 4-1-4-1…
… le positionnement de Benzema incite Ederson à sortir avec Rúben Dias, qui va finalement ressortir avec son gardien, alors que le Real a orienté son pressing et a surtout dangereusement ouvert son bloc…
… sur le long ballon d’Ederson, Rüdiger va alors devancer Halland dans les airs, mais De Bruyne va se retrouver en position idéale pour attaquer le tiers de terrain adverse…
… il va alors pouvoir sortir la première frappe cadrée du match grâce, en partie, à une rare montée de Walker.
Un peu plus tôt dans la rencontre, Walker a pourtant montré une piste intéressante après une course fausse piste de Stones, que Gündoğan, ici laissé trop libre, a bien exploitée…
… mais cette séquence n’a été que trop rare.
On aussi vu celle-ci en première période, trop rare, elle aussi.
Une situation a résumé pas mal du rapport de force à la 27e minute : on y voit City construire en 4+2 et le Real contrôler les échanges en 4-1-4-1…
… puis City passe en 3-2-4-1 avec la montée de Stones. Le Real s’ajuste, Valverde recule, mais il est intéressant de noter la réaction de Guardiola, qui aimerait qu’Akanji et Walker s’écartent davantage pour bousculer le cadre madrilène et mieux fixer l’axe avant de libérer le ballon.
… vingt secondes plus tard, une porte va quand même s’ouvrir avec ce ballon de Rúben Dias pour enfin faire naître le quatre contre trois dans le cœur du jeu, mais Rüdiger va ici sortir sur Gündoğan et le mettre KO.
Sept minutes plus tôt, Pep Guardiola s’était déjà énervé contre Akanji, coupable d’avoir trop rapidement cherché Grealish, ce qui va alors faire avancer le Real et reculer City.
Face au manque d’appels dans la profondeur des Citizens, le Real n’a souvent eu qu’à coulisser ainsi lors des phases de défense placée.
Erling Haaland, lui, n’a souvent pas pu respirer face à Rüdiger.
Carlo Ancelotti a misé mardi soir sur une approche relativement patiente et prudente – 90 passes tentées à 225 après 25 minutes de jeu – pour ne pas voir son Real Madrid, qui a connu des secousses ces derniers temps, s’ouvrir à tous les vents et il a longtemps été payé, même si Erling Haaland a eu une transition idéale à jouer avec De Bruyne au quart d’heure de jeu et si Manchester City a pu dégainer plusieurs cartouches à l’entrée des seize mètres. Une première étape, où Eduardo Camavinga a gratté des premiers points et qui a permis au champion d’Europe en titre de créer les conditions de réussite de la seconde.
Camavinga, soir de gala
Référence de la vie sans ballon du plateau, City, leader de toutes les catégories statistiques dans le domaine (buts encaissés, tirs concédés par match, tirs cadrés concédés par match, ballons touchés par l’adversaire dans le dernier tiers et ballons touchés par l’adversaire dans la surface), a traversé vingt-cinq minutes sans accroc avant que Rodri – oui, il peut se tacher – n’abandonne un ballon dans les pieds de Vinícius Juníor qui a ensuite vu Rúben Dias se coucher devant Benzema. Quelque chose a cependant tourné cinq minutes plus tard à la suite d’une sale faute de Rüdiger sur Gündoğan qui a fait sortir les soldats de Guardiola de leur premier acte : Vinícius est alors venu envoyer un tacle rageur dans les pieds de Rúben Dias (33e), Modrić a commencé à sortir des passes aveugles de ses poches pour envoyer Camavinga dans les espaces ouverts, Valverde n’est pas passé loin de déposer une cerise parfaite sur Benzema (35e) et le Santiago Bernabéu s’est peu à peu allumé. City sait mieux que personne qu’il ne faut en aucun cas ouvrir une porte au Real Madrid, mais son 4-4-2 a sauté en un claquement de doigts, sur un décalage généré par Eduardo Camavinga et un Modrić né pour s’associer, sur la première frappe madrilène de cette demi-finale aller et sur l’intelligence de l’international français. Après la rencontre, Ancelotti a souri : « Oui, City a d’abord eu le ballon, mais ça ne nous a pas inquiétés. On était en place et nous attendions simplement le bon moment pour jouer une transition. »
Au début de la situation, City vient poser son pressing dans son 4-4-2. De Bruyne a coulissé sur Alaba, Bernardo Silva sur Camavinga, Rodri suit Modrić…
… dos au milieu espagnol, le Croate va réussir à maximiser son petit temps d’avance pour lancer le Français dans un grand espace…
… six secondes plus tard, le Real est en quatre contre quatre, mais Walker et Stones sont déjà battus de par leur orientation…
… Camavinga va même attendre le moment où Walker est le plus proche de la rupture d’équilibre pour trouver Vinícius…
… personne ne peut intervenir et le talent de l’ailier brésilien va faire le reste.
Trouvé à plusieurs reprises en décrochage, Karim Benzema a, dans cette phase du match, été très précieux pour faire souffler le Real et l’aider à maintenir son bloc haut. Capable de piquer sans dominer, le gang blanc a ensuite abordé le post-entracte avec une autre envie : celle d’imposer son football qui ne se range pas dans un système rigide, où les interprètes dézonent, viennent s’aimanter autour du ballon et se rient des codes traditionnels du jeu de position en plongeant leurs adversaires dans le brouillard.
En première période, on a eu sur de rares séquences les prémices avec toujours ce football qui n’avance pas au système, où les joueurs viennent s’associer les uns avec les autres plutôt que s’emboîter dans des zones précises. Ici, Rodrygo est venu se caler aux côtés de Vinícius, Modric est également dans le même couloir de jeu, et alors ? C’est ainsi que vit le Real.
Pendant vingt minutes, le match s’est alors un poil débridé. Le Real a gardé sa discipline, mais, emmené par un Modrić jamais aussi à l’aise que quand on lui propose ce type de rôle, il a aussi attrapé le ballon pendant qu’Eduardo Camavinga s’est baladé aux quatre coins du pré (Rodrygo l’a aussi beaucoup fait) pour s’associer avec ses potes afin de permettre à Vinícius, bien muselé par Walker, de mieux décoller. D’un coup, on a retrouvé quelques éléments récoltés dans le jeu madrilène lors des tours précédents, et une séquence aurait mérité de faire exploser le Bernabéu une seconde fois.
Dès le début de la seconde période, Eduardo Camavinga est davantage venu se situer à l’intérieur lors des phases de possession, laissant Modrić enclencher les mouvements…
… ainsi, Vinícius a pu se retrouver avec un peu plus d’espace devant lui et les repères de Walker ont été davantage brouillés…
… dans la continuité de l’action, Carvajal est, à son tour, venu s’insérer entre un milieu excentré et un milieu central…
… le Real a alors pu jouer avec le 4-4-2 de City. Ici, tout a été très vite : Modrić va d’abord toucher Kroos dans le dos de De Bruyne, pendant que Camavinga attire Rodri…
… Benzema décroche pendant que Camavinga attaque l’espace dans le dos de Walker…
… Vinícius est placé dans sa position préférentielle par Benzema…
… il va donc pouvoir s’associer alors que les rotations s’enchaînent…
… Benzema le retrouve en pleine course et Vinícius va s’appuyer sur Carvajal…
… et au bout, Benzema voit sa tentative être éteinte par un tacle de Stones.
Planter dans un temps fort adverse, City sait aussi faire
Et Manchester City, dans tout ça ? Eh bien, entre les vagues et les idées d’un Camavinga déchaîné, le champion d’Angleterre s’est débattu pour sortir la tête de l’eau, Kevin De Bruyne trouvant progressivement un peu d’air autour de ses zones préférentielles – les deux demi-espaces, d’où le Belge a d’ailleurs envoyé tous ses centres (4) en seconde période et d’où il a tenté d’alerter Bernardo Silva avant que Camavinga ne sorte son compas gauche (57e) -, mais on a longtemps cru qu’il ne pourrait pas se sortir de ce piège. Erreur : en Ligue des champions, il y a toujours un moment pour le faire. Il faut juste savoir le saisir. Le Real en a fait sa spécialité, et cette fois, City a aussi pu le faire en plein temps fort madrilène dans la foulée d’une séquence défensive symbole de son approche et d’un ballon mal renvoyé par Eduardo Camavinga, volé par Rodri (pas un hasard, il a passé sa soirée à en chaparder) et exploité ensuite par De Bruyne, seul devant la surface (là aussi, pas un hasard, comme on l’a vu plus haut, City ayant été assez libre d’allumer à l’entrée de la surface madrilène).
Alors que Rodri est à la frappe, Walker est en marquage préventif sur Vinícius…
… dès le ballon récupéré par le Real, le ballet se met en route, Dias sort sur Benzema, Stones se replace pour compenser et Walker s’ajuste sur Vinícius…
… et derrière, Bernardo Silva vient récupérer le ballon dans les pieds de Camavinga.
Vingt secondes plus tard, nouveau ballon volé par Rodri…
… et exploité par De Bruyne.
Derrière, Guardiola a vu ses gars tenir le choc, Ederson sortir la parade qu’il fallait devant Benzema, puis serrer les gants devant Tchouaméni, mais le Catalan sait : « On sait très bien ce dont le Real est capable. Peut-être qu’ils feront des ajustements, peut-être pas, mais nous, on devra essayer d’attaquer mieux, d’être plus fluide, de jouer avec un peu plus de rythme. Ce mardi soir, le Real a très bien défendu, a parfaitement couvert les espaces et ça n’a notamment pas été facile pour qu’Erling trouve des espaces. Au retour, on jouera chez nous et on sait qu’on est plus à l’aise devant notre public. » Il sait aussi qu’il y a quelques années, son groupe n’aurait peut-être pas réussi à tenir ce résultat, et Pep Guardiola, qui n’a pas effectué le moindre changement pour ne pas prendre le risque de bousculer le scénario, peut s’en satisfaire, surtout face à un tel Real. Ce dernier pourrait tout de même, à Manchester, opter pour une approche un peu plus défensive en utilisant Valverde dans le rôle de Rodrygo et Tchouaméni à sa place au milieu. Tout reste dans tous les cas à jouer à l’Etihad et, bon point, le Catalan, qui devra réussir la gymnastique de se découvrir sans trop s’exposer, a même vu Akanji, qui a changé de côté mardi soir et cela a une incidence, car il avait encore été très bon à droite contre Leeds le week-end dernier, se régler petit à petit avec ballon en seconde période. Le bilan est pour le moment clair : le Real Madrid, tenu par un Carlo Ancelotti au plan finement dessiné, a sans surprise – il faut cesser d’être surpris par le Real – retrouvé ses forces à l’heure d’attaquer le seul col qui compte dans une saison, Manchester City a encore prouvé qu’il avait appris à se courber sans tomber. Rendez-vous au prochain virage.
Bon point de la seconde période de City : sur cette situation, alors que Rúben Dias est venu fixer à l’intérieur, Akanji a enfin pris l’espace demandé par Guardiola en première période…
… sa passe pour Grealish a ensuite été mal ajustée, mais c’est une bonne piste à exploiter pour le match retour.
Par Maxime BRIGAND