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Le carnet tactique de la quatrième journée de Ligue 1
Cette saison, So Foot revient après chaque journée de Ligue 1 sur trois points tactiques. Cette semaine, retour sur Rennes-Monaco, puis focus sur le Stade brestois et sur le cas Mohamed Simakan.
➩ Pourquoi Rennes-Monaco était le match de ce début de saison
« À un moment donné, ça craque. » Stalactite de bave accrochée au coin des lèvres, Julien Stéphan a les poils au garde-à-vous. Après quatre journées, son Stade rennais est l’une des trois équipes encore invaincues en Ligue 1 (avec Lille et Saint-Étienne), pionce sur l’oreiller de leader du championnat et affiche la deuxième meilleure attaque du pays. Forcément, ça colle des sourires. « C’est grâce à l’état d’esprit des joueurs, à leur volonté de ne jamais lâcher, a souri le cuisinier breton samedi soir. Il y a aussi la bonne forme physique des joueurs, parce qu’on a terminé très fort. C’est un ensemble de choses qui nous permettent de rester dangereux jusqu’à la dernière seconde. Je pense aussi que le fait d’avoir passé une bonne trentaine de minutes dans les 35 derniers mètres adverses a usé l’adversaire… » À quelques minutes d’intervalle, Niko Kovač, chef opérateur d’une AS Monaco qui pousse à l’optimisme malgré sa première défaite de la saison, n’a pas dit autre chose : en seconde période, ses hommes ont « reculé » sous la pression rennaise et n’ont soudainement plus réussi à briller dans les détails qui avaient fait la différence dans le premier acte. Ainsi, le match a tourné et Rennes a gobé sa troisième victoire comme on s’enfile un Flanby à la cantine. Pour comprendre cette rencontre, qui a accouché de l’une des plus belles batailles tactiques de ce début de saison, il faut la déplier en deux.
Il y a d’abord eu cette première période, qui a vu l’AS Monaco se déployer comme depuis le début du mandat de Niko Kovač et qui a considérablement gêné des Rennais qui ont payé une coordination alternative dans leur pressing.
Organisés en 4-4-2 en phase défensive, les Bretons ont, en première période, peiné dans la compensation. Samedi soir, Julien Stéphan avait demandé à l’un de ses trois milieux de sortir sur Badiashile pour bloquer la sortie de balle monégasque.
Problème : alors que Camavinga contrôle Tchouaméni et que Nzonzi surveille Fàbregas, Fofana est libéré par la montée de Bourigeaud et n’est pas géré. Résultat, il va être facilement trouvé par son défenseur central. Derrière, il peut rapidement combiner avec Sidibé ou Volland.
C’est d’ailleurs ce qu’il va se passer à la 12e minute.
Puis, de nouveau trois minutes plus tard.
Autre arme : l’excellent jeu long de Badiashile.
Assez tranquille, Badiashile a ainsi bouclé le premier acte avec 97% de passes réussies et a aidé sa troupe à s’ouvrir des espaces. Heureusement pour le Stade rennais, Monaco n’a pas été hyper précis dans le dernier geste et n’a cadré que deux fois en 45 minutes : une tête de Disasi sur corner et le but de Ben Yedder, conséquence d’une énorme mésentente entre Da Silva et Nzonzi. Autre homme qui a longtemps évolué en pantoufles : Cesc Fàbregas, qui a été l’autre option monégasque pour fusiller entre les lignes.
Là aussi, le pressing rennais est mal coordonné et Fàbregas peut faire respirer son bloc.
Une fois la sortie de balle assurée, la progression monégasque a été assez classique : peu de touches de balle et l’installation de triangles dans des espaces réduits grâce à une grande qualité technique.
Au cours de la première période, ce type de séquences s’est répété à plusieurs endroits du terrain.
Défensivement, on a aussi retrouvé les principes vus lors des premières sorties de la saison de l’ASM avec un Ben Yedder chargé de la sentinelle adverse – Steven Nzonzi – et deux ailiers (Diop et Volland) pour presser les centraux bretons et couper l’alimentation des latéraux. Les relayeurs, eux, ont aussi un double rôle : tenir leurs homologues et venir couper une potentielle passe vers le latéral adverse.
L’organisation défensive monégasque est assez simple. Ici, les latéraux rennais sont « sacrifiés » . Fàbregas se prépare à compenser un déplacement défensif de Tchouaméni ou Fofana et il est difficile pour les Bretons de sortir proprement le ballon.
Lorsqu’une passe vers Maouassa est tenté, Tchouaméni est alors chargé de jaillir pour couper la transition adverse.
Et le Stade rennais dans tout ça ? En première période, Stéphan a peiné à voir ses joueurs se montrer dangereux, mais ils l’ont été, notamment Maoussa jusqu’à sa sortie sur blessure, dès que Tchouaméni a été en retard dans ses interventions ou qu’un appel intérieur d’un ailier (Raphina ou Terrier) a ouvert un espace aux latéraux.
Offensivement, le Stade rennais débarque en nombre et travaille sur la largeur. Terrier et Raphina viennent s’installer à l’intérieur avec Guirassy. Cette disposition a progressivement forcé l’ASM à reculer.
Puis, en seconde période, Monaco a soudainement reculé, Rennes a serré ses mailles et Stéphan a enfin vu ses hommes se trouver au cœur du jeu malgré des Monégasques qui ont surtout cherché à densifier l’axe.
En deuxième période, Rennes a forcé Monaco à se replier…
… mais le pressing monégasque a été davantage cassé qu’en première période grâce notamment à la qualité de passe d’Aguerd, qui a par exemple réussi ici à trouver Raphinha.
Autre situation : Bourigeaud réussit à déclencher un une-deux avec Terrier dans le dos du milieu monégasque et va cogner derrière le poteau de Lecomte.
Comme Kovač, qui a décidé à un quart d’heure de la fin de sortir Fàbregas pour faire entrer Geubells et faire reculer Diop (ce qui a bousculé son assise défensive), l’a expliqué après la rencontre, en seconde période, Monaco a perdu en verticalité – si ce n’est sur une bonne ouverture pour Fofana rattrapé par Aguerd – et a joué trop latéralement. L’ASM, qui aurait pu doubler la mise à un moment si Ben Yedder avait été plus tueur, a alors été punie à dix minutes de la fin après une récupération de Nzonzi en pleine transition, laissant Rennes débouler en nombre sur le but monégasque.
Dès le ballon récupéré par Nzonzi, Monaco est submergé et va craquer sur une tête de l’international français.
En fin de match, Rennes a réussi à faire la différence sur une frappe du puceau Truffert, mais surtout sur une faute de main de Lecomte. L’important est ailleurs : ces deux équipes ont fait un beau cadeau à la Ligue 1 au bout d’une journée de sport à faire exploser les cervelles et ont accroché des regards qui se détournaient par le passé. La bonne nouvelle est peut-être avant tout là.
➩ Brest, la prime à l’audace
Depuis quelques heures, il n’y en a que pour elle. Elle, c’est cette séquence à dix-sept passes – record de la saison – qui a débouché sur l’ouverture du score brestoise face à Lorient, dimanche, jour de deuxième succès consécutif pour la horde d’Olivier Dall’Oglio. Et, si on ne sait pas où ira le Stade brestois, on sait au moins que cette équipe peut être une raison valable d’allumer sa télé un dimanche après-midi. On touche ici au cœur du métier de Dall’Oglio qui expliquait il y a deux ans au Temps considérer le foot comme « un spectacle » et son job comme un outil pour « intéresser les gens ». À comprendre : pour divertir. En quelques années, le technicien est passé maître dans l’agitation du milieu de tableau : dans son crâne, ne pas pouvoir concurrencer le PSG pour le titre n’est pas synonyme de portes blindés et de défense regroupée. Merci à lui. Au contraire, son Brest vit, est ambitieux, sort vite et au sol, défend en avançant, récupère haut, force ses adversaires à revenir dans l’axe pour mieux le cogner et est un cocktail de mouvements lorsqu’il est en phase offensive. Plus globalement : en cherchant à faire grandir intellectuellement ses joueurs, Dall’Oglio souhaite leur filer du plaisir à moudre (bien jouer est plus plaisant, dégage la morosité du vestiaire et facilite une course au maintien) et amener des gens au stade, comme s’il invitait, comme d’autres entraîneurs cette saison (on pense à Arpinon ou à Haise), l’ambition là où il était souvent synonyme de frilosité.
Bien sûr, tout n’est pas parfait et il ne faut pas oublier que Brest s’est fait découper en ouverture à Nîmes (4-0). Mais dimanche, face à Lorient, les Finistériens ont déposé sur la table les mêmes ingrédients vus contre Marseille (2-3) et à Dijon (0-2) : des épices qui ont conduit à une victoire cruciale dans le derby face à Lorient (3-2), à la suite de laquelle Olivier Dall’Oglio a quand même noté que ses joueurs s’étaient mis « tout seuls sous pression » en ne réussissant pas à tuer la rencontre. « La victoire me fait plaisir, pour le public aussi, mais il y a encore des choses à corriger, a-t-il également détaillé. Notre jeu est très généreux, on a plusieurs options qui s’ouvrent aussi devant avec l’arrivée de Steve Mounié. Maintenant, on doit bosser la finition. » Car pour le reste, une base solide est là, avec une constante : la recherche de supériorités numériques via un jeu orienté sur les côtés.
Sans ballon :
En phase défensive, Brest s’articule dans un 4-4-2 classique, mais qui peut se faire percer à cause de sa faible densité.
Pour y remédier, Dall’Oglio demande souvent à ses joueurs d’imposer un pressing féroce à deux ou trois têtes, pour forcer ainsi l’adversaire à reculer.
À plusieurs reprises, dimanche, Lorient a été contré dans l’axe sur de telles séquences.
Avec ballon :
En phase de construction, le rôle des milieux axiaux est central : ici, Belkebla vient prendre la place de Faussurier, déjà grimpé un cran plus haut, alors que Diallo se glisse entre Duverne et Herelle.
Face à un Lorient reconstruit en 4-4-2 avec la sortie de Boisgard et l’entrée de Hamel, Dall’Oglio n’a eu ensuite besoin que de trois joueurs pour s’assurer une supériorité numérique : Diallo et Belkebla se sont alors relayés afin de former un losange à la relance.
C’est ce même losange que l’on a retrouvé au départ du but de Perraud.
Une fois la première ligne de pression effacée, l’objectif est de rapidement trouver un joueur derrière la seconde ligne de pression : ici, derrière la ligne de quatre milieux lorientais, on compte déjà sept Brestois !
Suite du mouvement : Diallo possède plusieurs options devant lui, dont cinq éléments offensifs déjà positionnés.
Puis, le mouvement se déclenche grâce à un décrochage de Charbonnier.
On retrouve, au bout, les cinq joueurs offensifs : Faussurier n’a plus qu’à trouver Perraud, seul au deuxième poteau.
Voilà le côté pile de cette approche ambitieuse, également symbolisée par le deuxième but, inscrit par Mounié après un super mouvement côté gauche entre Perraud et Charbonnier. Le côté face est le revers de cette animation qui n’autorise qu’une place minime à l’erreur. Brest aurait alors pu se faire chatouiller en première période et a encaissé un but par excès de gourmandise en fin de match.
Ici, personne ne couvre le départ de Wissa, qui ira tirer au-dessus.
En fin de match, sur une relance anodine, plutôt que de jouer long vers un joueur de côté, Larsonneur joue court et file le ballon à Lorient. Monconduit réduira le score sur cette action.
Également capable de piquer sur jeu long, comme l’a montré le troisième but signé Honorat, Brest, qui est la troisième équipe de Ligue 1 qui se procure le plus d’occasions (8 par match en moyenne), est une escouade à suivre, agréable, et qui file une droite dans cette époque qui déteste la nuance : on peut n’être ni tout blanc en haut, ni tout noir tout en bas, mais être au milieu et balancer des couleurs sur un terrain.
➩ Mais pourquoi tout le monde veut Simakan ?
Il y en a de partout : l’Atalanta, Leipzig, Dortmund, le Milan, Lyon, Rennes, Monaco… Mohamed Simakan est un type que les recruteurs surveillent avec un sniper. Sa prestation du week-end face à un faible Dijon (1-0) n’a rien fait pour freiner la hype. En résumé, cela a donné une tête sur la barre, plus de 90% de passes réussies, neuf ballons grattés, cinq interceptions, 80% de duels remportés (dont un 100% dans les airs) : du Simakan en barre. Aux côtés de Botman, José Fonte, Badiashile et Koscielny, le défenseur strasbourgeois fait sans aucun doute partie des centraux les plus impressionnants de ce début de saison de Ligue 1 et ne devrait pas rester longtemps en Alsace. Tout simplement parce que ce type a tout, qu’il est capable d’allumer des mèches à tous les étages, qu’il sait agir en ado espiègle (l’an passé, aucun défenseur n’avait récupéré plus de fautes que lui) et qu’il semble déjà gambader comme s’il avait quinze saisons professionnelles dans les pompes. La saison dernière, Thierry Laurey notait déjà son côté « vieux briscard » et la personnalité du bonhomme a de nouveau frappé les esprits dimanche pour ce qui était peut-être sa dernière sortie sous le maillot bleu et blanc.
Gâté techniquement, Simakan n’hésite pas à grimper pour s’impliquer dans les phases offensives. Ici, son ouverture va tomber sur la tête d’Ajorque et déboucher sur une belle opportunité pour le Racing.
Le défenseur strasbourgeois peut aussi déclencher de son camp. Là, son ouverture va offrir une occasion en or à Saadi, que le buteur va croquer dans les pieds d’Alfred Gomis.
Solide physiquement, comme il l’avait été à Saint-Étienne le week-end dernier, Simakan a aussi été impérial dans l’anticipation et les duels.
Sous contrat avec le Racing jusqu’en juin 2023, Simakan, passé quelques années par l’OM (2011-2015), est devenu en quelques mois un néo-patron et a cessé d’enchaîner les blessures. La Ligue 1 doit en profiter.
➩ On a aussi vu…
Christophe Galtier être à deux doigts de se cogner la tête sur la table après le nul du LOSC à Marseille (1-1) : « Je ne vais pas m’épancher sur Marseille, je préfère parler de notre match, de notre prestation. Quelqu’un m’a écrit après le match : « Dans le football, il ne faut pas blesser l’adversaire, il faut le tuer. » En face, on a eu un très bon Mandanda. On s’est créé beaucoup d’occasions franches, mais on n’a pas réussi à mettre ce deuxième but. C’est une grande frustration. Sur le match, nous méritions les trois points. »
Par Maxime Brigand