- Cancer d'Ederson
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Le cancer des hommes
Ederson, Álvarez, Gutiérrez et bien d'autres encore : ils sont un paquet de footballeurs à avoir été atteints d'un cancer des testicules. Mais qu'est que c'est exactement, cette maladie des couilles ? Y a-t-il un lien avec la pratique du ballon ? Peut-on (re)jouer avec ? Et surtout, comment en guérit-on ?
Quel est le point commun entre Bobby Moore, Jonás Gutiérrez et Gaëtant Courtet ? Réponse : tous les trois ont eu les boules, un jour, en apprenant qu’un cancer frappait leurs testicules. Et tous les trois les ont portées pour finalement les reposer sur un terrain de football professionnel. Qu’il en manque une ou deux ne les a pas freinés. Qu’ils soient passés par la case chimio ou non, qu’ils aient ensuite gagnés une Coupe du Monde ou pas, qu’ils jouent désormais à Lorient, Independiente ou au Paradis FC (Bobby Moore est décédé d’un double cancer du colon et de l’intestin, à 51 ans), tout ça n’aura pas non plus une grande importance, aujourd’hui, aux yeux d’Ederson Honorato Campos : les trois joueurs représenteront surtout des inspirations pour venir à bout de son cancer des testicules, annoncé la semaine dernière par son club de Flamengo. Eux et bien d’autres. Car si ce cancer semble particulièrement frapper les sportifs de haut niveau, deux bonnes nouvelles accompagnent malgré tout ce diagnostic costaud à encaisser, physiquement et psychologiquement : un, c’est statistiquement courant ; deux, on en guérit relativement bien. Explications.
Sport et cancer
Les chiffres, donc. Aujourd’hui, sur les 385 000 cancers diagnostiqués chaque année en France, seuls 2 300 concernent les testicules. C’est peu mais rapporté à la population concernée (les hommes, a priori), la proportion augmente fortement. Et même vertigineusement lorsqu’on ne prend que la tranche d’âge des 20-35 ans : dans cette catégorie, environ un cancer sur trois touche les testicules. Ce qui explique que ces dernières soient souvent placées derrière le (gros) mot « cancer » dans les (mauvaises) nouvelles sportives : un homme dans la force de l’âge représente de loin la population la plus à risque. Et peu importe s’il pratique le sport à haut niveau.
D’un côté, l’activité sportive régulière est généralement considérée comme un facteur réduisant les risques de survenue d’un cancer. Thomas Ginsbourger en sait quelque chose, lui qui a réalisé sa thèse sur la thématique « sport et cancer » . Mais concernant le cas précis des testicules, le docteur ès-STAPS tient à nuancer l’approche : « Le lien avec la pratique sportive, à savoir 150 minutes par semaine au minimum, est moins étudié dans le cas des testicules que pour d’autres cancers comme le sein, le colon, la prostate ou les poumons. Pour ceux-là, on sait que l’activité physique diminue les risques de survenue et de récidive, améliore l’efficacité du traitement et la qualité de vie en général. On est en droit de penser que c’est le cas aussi pour le cancer de testicules, mais il n’y a pas de preuve scientifique formelle. » D’autres auraient même un avis sensiblement éloigné. C’est ce qu’exposait le Dr Patrick Laure, médecin de santé publique spécialisé dans les pratiques dopantes, à Libération en 2009 : « Des médecins pensent que, contrairement à d’autres cancers dont celui du sein et du colon, l’activité physique n’a pas d’effet protecteur sur les testicules, voire pourrait favoriser un cancer. La question n’est pas tranchée. » Et le doute s’installe lorsqu’il est question de sport à haut niveau et de sa face sombre, le dopage.
En effet, de l’autre côté, le spectre de la tricherie est agité à chaque nouvelle maladie annoncée. Les cas Lance Armstrong ou Ivan Basso, en cyclisme, sont cités. Touchés par un cancer des testicules avant (Armstrong) ou après (Basso) avoir été convaincus de dopage, la tentation est grande de faire le lien entre l’un et l’autre. Un pas que Thomas Ginsbourger garde de franchir : « Il existe des cas isolés, mais pas de données scientifiques probantes sur un lien de causalité, distingue le coordinateur national de la CAMI, structure référente de l’accompagnement de l’accompagnement physique et sportif en cancérologie. Il y a énormément de facteurs influant les cancers hormono-dépendants. On sait par exemple que la musculation intensive produit de l’insuline IGF-1, mauvaise pour ce type de cancer. Mais les différents perturbateurs endocriniens entrent aussi en compte. Au bout du compte, il est assez hasardeux d’établir un lien formel entre diagnostic d’un cancer des testicules et pratique dopante. » Hasardeux, et pas très malin pour les athlètes concernés, à l’heure où le mental est mis à rude épreuve.
« Ce n’est pas un putain de cancer qui va m’arrêter ! »
C’est un fait, le cancer des testicules touche une partie sensible de l’anatomie masculine. L’aspect psychologique, souvent mis en avant lorsqu’il s’agit de « vaincre » le cancer, est d’autant plus prégnant chez les sportifs de haut niveau. Le coordinateur de la CAMI explique : « De manière empirique, je constate que le sportif peut être mentalement plus apte au combat et à la victoire. Mais dans le cas des sportifs professionnels, mus par la compétition et dont le rapport au corps est particulier, ce type de cancer peut être aussi très perturbant. » En revanche, une fois dépassée, l’épreuve pourra être source de force supplémentaire. Touché lui au pancréas, Olivier Baudry résumait l’idée, simple et efficace comme un direct du droit : « Ce n’est pas un putain de cancer qui va m’arrêter ! »
Mieux, le cancer des testicules est parfois plus rapidement soigné qu’une mauvaise blessure. Gaëtant Courtet n’a ainsi eu besoin que de quelques semaines pour se débarrasser de la tumeur. Plus récemment, Yeray Álvarez a fait son retour à la compétition 39 jours après le diagnostic. En effet, s’il est révélé suffisamment tôt et qu’il n’a pas migré, une simple opération chirurgicale peut suffire. Et toute ablation testiculaire qu’elle soit, elle n’a rien de comparable à un traitement par chimio ou radio thérapie, qui ne peut toutefois pas toujours être évité. Reste que le taux de guérison flirte avec les 95%, un ratio énorme au regard des autres types de cancer. Une bonne nouvelle quand on sait qu’un simple ballon mal placé peut conduire chez l’oncologue.
Caressez-vous !
Car finalement, qu’est-ce qui cause le cancer des testicules ? Et comment le repérer ? Thomas Ginsbourger liste deux facteurs principaux : « Un, le testicule ectopique, c’est à dire pas ou mal descendu pendant l’enfance. Ça représente environ 60% des cas. Deux, l’atrophie testiculaire, qui peut intervenir après des oreillons mais aussi un coup. Dont un ballon dans les parties, oui. » De l’importance de se protéger dans le mur. De l’importance, aussi, de souvent y poser ses doigts : « La prévention est limitée : il faut faire des palpations régulières pour déceler toute masse inhabituelle et, le cas échéant, consulter immédiatement » souligne Thomas. Quant au mode d’emploi de ladite palpation, demander aux Canadiens, géniaux quant il s’agit de sortir leurs cuys.
Et si la campagne vise juste, c’est parce qu’elle tacle le silence pesant que peut induire l’association des termes « maladie » et « parties génitales » , tout en montrant que le cancer des testicules peut être décelé simplement et rapidement. Quant aux exemples donnés par Moore, Gutierrez, Courtet, Alvarez et, peut-être, bientôt, Ederson, ils rappellent une vérité simple : non, on n’est pas obligé d’avoir deux gros sacs entre les jambes pour être un bon footballeur. Et encore moins un véritable homme-garçon.
Par Eric Carpentier