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Le Cameroun, une sixième étoile dans le viseur
Ce dimanche au stade Olembé de Yaoundé, le Cameroun, qui attendait de recevoir l'évènement depuis 1972, va lancer sa Coupe d’Afrique des nations face à l’outsider burkinabè. Après 50 ans d’attente, dont trois de tergiversation totale marqués par des retards de travaux et une délocalisation, le pays veut ainsi mettre les petits plats dans les grands. Sans fonds de jeu particulier, mais armés de leur traditionnel « hemlè » et poussés par Samuel Eto’o depuis la loge, les Lions aux cinq titres continentaux rêvent de dribbler le contexte pandémique. Histoire de rappeler que leur dignité est indomptable, et surtout que la victoire coule dans leurs veines ad vitam aeternam.
Il paraît que tout vient à point à qui sait attendre. En 2014, la Confédération africaine de football (CAF) désignait le Cameroun comme pays hôte de la CAN 2019. Après lui avoir retiré l’organisation au profit de l’Égypte, à cause de l’insécurité à l’ouest du pays liée à la crise anglophone et de retards de travaux à Douala ou Yaoundé, elle choisit de compenser et de lui octroyer l’édition 2021. Mais là encore, le sort s’en mêle : décalée dans un premier temps de juin à janvier en raison de la pandémie de Covid-19, la Coupe d’Afrique est finalement reportée d’un an, et fixée à la période janvier-février 2022. Le temps pour la patrie de Roger Milla et de Joseph-Antoine Bell de ne rien laisser au hasard, et même d’élire un nouveau président à la tête de sa Fédération de football, la Fecafoot.
Son nom ? Samuel Eto’o fils, qui sera plus attendu sur les questions internes et les problématiques quotidiennes (écoles de football et formation, restructuration du championnat, probité au sein des institutions, fin des querelles autour des primes), que sur sa gestion de la CAN 2021. Désormais quadragénaire, il ne devra pas tomber dans l’hubris du pouvoir, lui qui est déjà critiqué – en parallèle – pour son rôle d’ambassadeur du Mondial qatari. Mais comme Thomas Nkono en son temps auprès de Gianluigi Buffon, sa seule présence pourrait inspirer les Lions indomptables de Toni Conceição dans leur quête d’une sixième étoile. Des fauves encore épris de miaulements, qui manquent cruellement de charisme et de leadership. De quoi entamer (un peu), la légendaire confiance camerounaise, à l’approche du premier test grandeur nature ?
Des Lions boîteux
Naturellement qualifié d’office, le Cameroun a toutefois pris part aux qualifications, et terminé premier d’une poule comprenant le Rwanda, le Mozambique et le Cap-Vert, son dauphin à un point, qui lui a arraché quatre points sur six et qu’il retrouvera le 17 janvier en clôture du groupe A, pour prendre sa revanche. Également assuré de prendre part aux barrages pour la Coupe du monde 2022 après avoir écarté la Côte d’Ivoire et la hype Sébastien Haller dans un match couperet fin novembre (1-0), le « Camer » paraît même, de l’extérieur, sur la bonne voie, et pourrait faire office de favori naturel aux côtés de l’épouvantail algérien et de l’armada sénégalaise. Problème, malgré la présence d’un semblant d’ossature et de joueurs cadres plus ou moins à tous les postes, l’opération reconquête – après le titre acquis en 2017 au Gabon face aux Pharaons égyptiens – ne s’avère pas inéluctable.
« Défensivement, il y a beaucoup d’interrogations. Le retour d’André Onana après sa suspension pour dopage offre une assurance particulière entre les buts, mais dans l’axe, ni Moukoudi, ni Castelletto, ni Onguéné n’ont vraiment réussi à prendre place aux côtés du taulier Michael Ngadeu, le capitaine de La Gantoise, narre Paul Miyeme, journaliste freelance camerounais. Sur les côtés, entre le déficit d’expérience des joueurs de MLS Tolo et Mbaizo, Oyongo qui revient d’une grave blessure au genou, le vétéran Collins Fai et le binational Ebosse, qui est un peu le Pascal Chimbonda de la liste, le Cameroun n’est pas forcément verni. » Placés dans un groupe abordable (Cap-Vert donc, mais aussi Burkina Faso en ouverture et Éthiopie en amuse-gueule), les Lions indomptables tâtonnent avant le gong. « À partir du moment où André-Frank Zambo Anguissa est le leader technique de la sélection, c’est problématique. En Serie A, sa progression est constante, mais en équipe nationale, il n’est pas encore aussi performant », poursuit Paul Miyeme. Seul milieu camerounais de la liste finale ayant pris part à la dernière Coupe d’Afrique avec Pierre Kunde (Olympiakós), le Napolitain doit notamment profiter de cette CAN pour enfin réfléchir la lumière qui grandit autour de son indétrônable mètre 84.
Conceição et le hemlè
Pour que le mois de compétition se transforme en fête nationale au Cameroun, encore faut-il que le capitaine du vaisseau ait un plan. En poste depuis deux ans et demi, le Portugais Toni Conceição ne fait pas l’unanimité auprès des observateurs du football local. « Conceição a des gros problèmes de communication. Il ne parle ni français ni anglais et est constamment suivi par son traducteur. Forcément, pour passer des messages personnalisés à certains joueurs, ce n’est pas l’idéal », ajoute Paul Miyeme. Sans réel onze type et avec un schéma oscillant entre 4-2-3-1, 4-3-3 et même 3-4-1-2 avec Eric Maxim Choupo-Moting en numéro 10 (!), l’ancien coach du CFR Cluj apparaît comme crispant, illisible et peu accessible pour la presse. « Dès qu’il est questionné sur ses choix, il se braque et s’enferme dans sa tour d’ivoire, affirme Miyeme. Par exemple, Choupo-Moting a le statut de vice-capitaine, mais personne ne comprend son utilisation, puisqu’il est le plus souvent remplaçant. En septembre, Conceição l’avait appelé pile pour le match face à la Côte d’Ivoire. Sauf qu’il ne l’a pas utilisé une minute à cause de l’état de la pelouse, prétextant préserver son intégrité physique pour les beaux yeux du Bayern. Malgré la qualification pour les barrages du Mondial, il joue très gros durant cette Coupe d’Afrique : en cas d’élimination prématurée, et vu le niveau de jeu proposé jusqu’ici, il est probable qu’il prenne la porte. »
Nonobstant le retour progressif des cadres en attaque, le Cameroun ne sait en effet pas vraiment sur quel pied danser. « Karl Toko-Ekambi ne pèse pas autant qu’à Lyon malgré son dernier but primordial pour terrasser la Côte d’Ivoire. Christian Bassogog, le MVP de la CAN 2017, n’a jamais vraiment progressé depuis, et Moumi Ngamaleu est un soldat plus qu’un facteur X. Quant à Vincent Aboubakar, le capitaine, il a nettement régressé sur le plan athlétique depuis son transfert en Arabie saoudite, et ça se ressent en sélection », pointe le journaliste basé à Yaoundé. Mais alors, où trouver ce supplément d’âme qui fera revenir les Lions indomptables à Olembé, le jour de la finale le 6 février prochain ? La réponse tient en cinq lettres et un accent grave : le hemlè. Dans l’imaginaire collectif camerounais, cette notion de témérité très « Kamer touch » détient une place prépondérante et déplace des montagnes depuis au moins 70 ans. « Le hemlè, c’est quelque chose que n’ont pas les Sénégalais, les Ivoiriens ou les Maliens. C’est cette capacité qu’a un Camerounais ou un Camerounais d’origine comme Kylian Mbappé, Earvin Ngapeth, Nicolas Batum ou Teddy Tamgho, à toujours trouver la force de se relever, à être sûr de soi dans n’importe quelle circonstance, entre romantisme et fighting spirit », ajoute Paul Miyeme, convaincu. Les frères André Kana-Biyik et François Omam-Biyik, Rigobert Song et Samuel Eto’o l’ont notamment incarné à tour de rôle, comme leurs ancêtres de l’ethnie Bassa lors de la guerre de décolonisation. De quoi maintenir en vie l’espoir que, même en cas de prestations hésitantes, la vraie force des Lions indomptables à domicile ne réside pas dans une jauge inéquitable, mais bout en eux au moindre battement de cœur.
Par Alexandre Lazar
Tous propos recueillis par AL.