- Le derby du week-end – Bosnie-Herzégovine – Željezničar/FK Sarajevo
Le bruit et la fureur du derby de Sarajevo
D'un côté, le FK Željezničar Sarajevo, club historique du petit peuple de la capitale de Bosnie-Herzégovine, aux nombreux succès ces dernières saisons malgré des moyens limités. De l'autre, le FK Sarajevo, formation créée par le pouvoir communiste d'après-guerre et qui se met à rêver de lendemains qui chantent depuis qu'il a été repris par un richissime homme d'affaires asiatique. Le 103e derby entre ces deux grands rivaux se dispute dimanche. L'occasion d'aller faire un tour aux Balkans.
Les débuts : une rivalité sociale et politique
Le club de Željezničar naît en 1921, dans une ville de Sarajevo constituée d’un chapelet de communautés qui n’ont que rarement l’occasion de se mélanger. Cette nouvelle entité en est l’occasion : elle a été fondée non pas par un groupe ethnique, mais par une corporation, celle des cheminots. D’emblée, elle se pose donc comme un étendard du petit peuple de Sarajevo, quelle que soit sa communauté d’origine. Les années passent, la Seconde Guerre mondiale se passe – douloureusement – et s’achève avec la reconstitution d’une grande Yougoslavie fédérale et communiste dirigée par Tito. Comme dans tout le bloc de l’Est, le régime politique s’immisce dans le sport et celui de Yougoslavie fonde à Sarajevo un nouveau club dès 1946, d’abord nommé SD Torpedo, qui deviendra FK Sarajevo trois ans plus tard. Protégé des élites sociales et politiques de la ville, il bénéficie d’un traitement de faveur en ayant droit de récupérer régulièrement les meilleurs joueurs des clubs voisins, dont celui de Željezničar. C’est ainsi que naît la rivalité, avec une première confrontation historique entre les deux qui a lieu en 1954, pour une victoire 6-1 du FK Sarajevo, ce qui reste à ce jour le plus gros carton enregistré dans ce derby.
L’âge d’or : Sušić, Hadžibezić, Baždarević, Osim…
Dans un championnat yougoslave globalement dominé par les deux équipes de Belgrade, l’Étoile rouge et le Partizan, ainsi que par Hajduk Split et le Dinamo Zagreb, les clubs de Sarajevo tentent tant bien que mal de tirer leur épingle du jeu. Le FK Sarajevo conquiert deux titres en 1967 et 1985, Željezničar un seul en 1972. Mais ce dernier réussit mieux sur la scène continentale que son rival, avec un quart de finale de Coupe UEFA en 1972 et une demi-finale de cette même Coupe UEFA lors de l’édition 1984-1985 (élimination face aux Hongrois de Videoton, oui c’était au siècle dernier). Deux individualités sont à retenir côté Željezničar : Ivica Osim, joueur de 1959 à 1970, puis entraîneur de 1978 à 1986, et Mecha Baždarević, qui a porté le maillot bleu des Cheminots de 1979 à 1987 avant d’émigrer en France. La tunique bordeaux du FK Sarajevo a quant à elle été portée héroïquement par deux autres futurs pensionnaires fameux de la D1 française : Safet Sušić (de 1973 à 1982, avant le transfert à Paris), et Faruk Hadžibezić (de 1975 à 1985, avant un détour par l’Espagne pour finalement atterrir à Sochaux). Si la distinction club prolo/club du pouvoir tend à disparaître dès les années 60, la rivalité entre les deux continue et chaque derby est disputé devant une foule dense, un coup au stade Kosevo quand le FK Sarajevo joue à domicile, puis au stade Grbavica quand c’est au tour de Željezničar de recevoir.
La guerre et ses conséquences : un football en désuétude
Avril 1992 : Sarajevo, qui était devenu le centre du pouvoir yougoslave depuis deux ans, est encerclé par les forces indépendantes serbes. Le siège de la ville va durer jusqu’en octobre 1995 et faire 10 000 morts. Chaque jour, des centaines d’obus sont tirés, pas un quartier ni un édifice n’est épargné. Les deux stades de football subissent de lourds dommages et bien sûr les deux clubs de la ville cessent leurs activités. Après la fin du siège, des semblants de championnats communautaires sont organisés, de manière à éviter tout risque de confrontation. Cette situation provisoire va durer jusqu’en 2000 et la création d’une « Premijer liga Bosne i Hercegovine » , qui perdure jusqu’à aujourd’hui. Problème : la guerre a laissé le pays et sa capitale en ruine. Difficile de former des jeunes et de les retenir dans un champ de gravats. Quand sa sélection fait la fierté de cette nouvelle nation en se qualifiant pour la première fois de son histoire en Coupe du monde avec des joueurs tous expatriés – et qui pour certains n’ont même jamais vécu au pays – le championnat local tire la tronche : petit niveau, petites affluences et couverture médiatique quasi nulle. Par manque d’infrastructure, tous les jeunes talents émigrent pour constituer une très large diaspora de footballeurs éparpillée sur toute l’Eurasie, des grands championnats occidentaux jusqu’en Corée du sud en passant par la Russie et la Chine. Un joueur comme Edin Džeko est par exemple parti de son club formateur, Željezničar, dès l’âge de 19 ans, direction la République tchèque dans un premier temps, avant l’Allemagne, puis l’Angleterre.
L’avenir : vers un jumelage Cardiff/Sarajevo ?
Dans un tel contexte, le principal intérêt actuel du derby de Sarajevo se trouve en tribunes avec la rivalité coriace que se livrent les deux principaux groupes ultras, les Maniacs pour Željezničar, la Horde Zla côté FK Sarajevo. Leurs membres confortent la réputation des supporters dans les Balkans, avec des animations impressionnantes. Pour ce qui est du football par contre, c’est moins la fête. Željezničar peut néanmoins se targuer d’avoir le plus beau palmarès de Bosnie-Herzégovine, en ayant notamment glané trois des quatre derniers championnats mis en jeu. Celui de cette année pourrait être néanmoins remporté par le HSK Zrinjski Mostar, déjà vainqueur en 2005 et 2009 et qui occupe actuellement seul la tête du classement, à deux journées de la fin de saison. Željezničar est troisième, le FK Sarajevo quatrième. Les deux peuvent encore rêver du titre en cas de victoire lors du derby de dimanche. Mais le FK Sarajevo peut voir déjà plus loin que cette saison, depuis qu’il a été officiellement repris en décembre dernier par Vincent Tan, un excentrique homme d’affaires malais, par ailleurs propriétaire du club de Cardiff en Premier League. Il est un peu fou, n’a pas l’air de s’y connaître tellement en football, mais il a beaucoup d’argent et a déjà permis au FK Sarajevo de renflouer ses dettes. La construction de nouvelles infrastructures – dont un centre de formation – a été promis et un parrainage entre les deux clubs paraît envisageable, avec échange de joueurs. De quoi espérer des lendemains qui chantent.
Par Régis Delanöe