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Le brassard de capitaine veut-il encore dire quelque chose ?
« Mexès ? C’est un défenseur peu sérieux et pas vraiment concentré. C’est triste de le voir capitaine du Milan AC. » L'attaque est signée Boban. S'il était également passé par Sassuolo, le Croate aurait aussi pu en mettre une à Paolo Cannavaro, à peine arrivé et déjà habillé du brassard. Vingt ans après que Diane Tell s'est rêvée capitaine, il était temps de se demander quel rôle joue encore réellement le capitaine.
« De mon temps, le capitaine, c’était le bon, la brute ou le truand. Le bon était capable de faire gagner l’équipe. La brute, c’était le mâle, celui qui était capable de motiver et de rassurer l’équipe par la parole et le truand était le plus malin. Celui qui était capable de s’adapter à toutes les situations, de discuter avec l’arbitre. » Une maxime signée Jean-Pierre Ellisalde. Entraîneur-joueur à 27 ans, l’ancien rugbyman sait de quoi il parle et est forcément nostalgique au moment d’évoquer cette époque révolue où le brassard pouvait transformer de simples fantassins en capitaine émérite. Et s’il reste aujourd’hui des individus de la trempe des Gerrard, Casillas ou Totti, le capitaine courage, capable de prendre des coups pour protéger son groupe, s’est, à n’en pas douter, singulièrement raréfié.
Plus lieutenant que capitaine
Exilé en Tunisie à la tête du Club Africain, Landry Chauvin confirme que les temps ont changé : « Aujourd’hui on est obligés de s’appuyer sur un noyau dur. Il y a le leader technique, le leader charismatique, etc. Mais ce n’est pas forcément la plus grande gueule. Le jour où le capitaine est absent, il faut que d’autres soient capables de prendre le relais. » Par choix, mais surtout par défaut, l’entraineur s’adapte à son époque. Hier, amoureux transi d’un maillot chevillé au corps, aujourd’hui éternel vagabond, le footballeur des temps modernes n’est jamais que de passage et donc forcément moins en phase avec les valeurs de son club. Mécha Baždarević, capitaine du Željezničar Sarajevo à 21 ans seulement constate : « Aujourd’hui, on voit des équipes qui changent de capitaine chaque année. On dirait que ce rôle a un peu perdu de sa valeur. Quand je jouais, être capitaine, ça voulait vraiment dire quelque chose, c’était une consécration. » Jean-Pierre Elissalde ne dit pas l’inverse sur la perte de signification du brassard dans l’ovalie. Et les sports co plus généralement : « Le rôle du capitaine a un peu faibli. On devrait se recentrer sur sa capacité à être meneur de jeu. Ce qui m’étonne aujourd’hui, c’est qu’on ne se retourne plus vers le capitaine pour faire le choix de la pénalité, de la mêlée, on se tourne vers le staff. Comme si plus personne sur le terrain n’était capable de prendre acte de la situation et de dire« On la tente »ou« On botte en touche ». Alors que c’est complètement le rôle du capitaine. Les types se tournent même vers le président, maintenant. Le leadership décisionnel a un peu changé, c’est une évidence. »
Capitaine courage versus Capitaine « taiseux »
Des capitaines en transit, aux épaules trop frêles et à la langue moins pendue, ce serait donc eux les successeurs des emblématiques Shilton, Hierro, Maldini ou Deschamps. Moins éloquent que ses prédécesseurs, le capitaine des années 10’s ne ferait peut-être plus chanter la belle Diane Tell. Jean-Pierre Elissalde constate : « Quand on voit Lloris ou Dusautoir, on peut parler de capitaine « taiseux ». Mais on doit aussi prendre en compte que ce sont des gars irréprochables. Par rapport à la communication dans l’équipe, on ne peut pas nommer un mec qui se fait prendre avec une prostituée mineure. Même si tu as beaucoup de talent. L’entraineur cherche soit un relais, soit un symbole, soit l’exemplarité. » Et s’il est un rêve pour tout entraîneur de pouvoir confier le gouvernail à un joueur combinant l’élégance balle au pied avec le franc-parler du leader instinctif, tous n’ont évidemment pas cette chance. Ainsi, quand en 2004 Claude Puel confie le brassard du LOSC à Grégory Tafforeau, il est conscient de l’importance de nommer un joueur qui pourra reconnaître à sa juste valeur le statut de meneur d’hommes qui en découle. Grégory s’en justifie : « Il faut une personne de caractère. Il faut être assez psychologue aussi, parce qu’il est parfois nécessaire de « rentrer dans le lard » de ses potes, ou au contraire, de prendre des pincettes. Le problème, c’est que dorénavant, il y a moins la notion de mérite. Avant, il fallait avoir prouvé quelque chose dans le temps, pour avoir le brassard. »
Fier d’avoir fait le « taf » avec brio, le Nordiste est aussi conscient que chaque entraîneur a ses préférences : « Bien souvent, le capitaine est à l’image de l’entraîneur. À la fois dans la mentalité, mais aussi dans le projet de jeu. Un entraîneur défensif choisira un défenseur, celui qui voudra développer un football flamboyant se tournera plus vers un joueur offensif. » Une analyse que ne partage manifestement pas Mécha Baždarević. Plus démocrate, ce dernier s’est toujours dit prêt à écouter la vox populi : « Moi, j’ai toujours laissé les joueurs choisir. S’il faut trancher, je tranche, c’est tout. Cela peut-être un joueur très très jeune. J’ai eu Benoît Pedretti en CFA, et déjà, à 18 ans, il gardait toujours son calme, même dans les matchs importants. Il savait presque réagir comme un entraîneur. J’ai aussi eu Batlles à Grenoble ou Gravelaine à Istres. » Des choix que l’ancien international yougoslave n’a manifestement jamais eu à regretter. Pour autant, ce dernier est amer au moment d’évoquer une fonction qu’il estime en perte de reconnaissance : « La notion de capitanat se perd un peu. Quand j’étais capitaine, je me rapprochais de l’arbitre, je disais à mes collègues « Calmez-vous ! »,ils me respectaient. Aujourd’hui, on a l’impression que quand le capitaine dit cela, il y en a trois qui écoutent et trois qui vont lui dire « Va te faire enculer! » .
Par Martin Grimberghs et Paul Piquard