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Le bosquet des absents

Par Thibaud Leplat, à Madrid
Le bosquet des absents

C'est la fin dès le deuxième match. Au moment même où l'Espagne disait adieu à Juan Carlos et couronnait son fils, elle se retirait sans bruit d'un Mondial qui n'en revient toujours pas de son audace. Les Espagnols ont quitté la compétition comme ils le devaient, en princes.

Ce matin les rues de Madrid étaient tapissées de rouge et de jaune. Sur les balcons de la Gran Via, tout en haut des immeubles, on avait hissé les couleurs bien haut, bien fièrement. Le long de la Castellana, la grande avenue centrale de la ville, le rouge et le jaune avaient pris possession de chaque centimètre carré de hampe, chaque espace vide était coloré de sang et d’or. Au bas de ces drapeaux, ils étaient des milliers à s’être installés, bocadillo de jamón encore sous alu dans la main droite et mouchoir blanc à portée de sanglots dans la main gauche, attendant que quelque chose se passât enfin ou seulement peut-être pour le seul plaisir de se retrouver comme ça, ensemble, au milieu de la rue.

En Espagne, on partage les larmes comme on partagerait des secrets. Ce n’est qu’une fois réunis, serrés les uns contre les autres, qu’on est prêt à se laisser aller à la mélancolie comme si le corps moite et tremblotant d’un frère, d’un père ou d’un ancêtre ne faisait plus qu’un avec le reste de sa descendance. Ce matin, Madrid appartenait à la mémoire de ses habitants et ressemblait à juin 2010, quand ils furent alors des millions à quitter le bureau plus tôt, à s’entasser sur les trottoirs et les abris-bus, à se mettre à crier comme des gosses « ¡Gracias, Gracias! » à ces joueurs qui ne les connaissaient pas, mais qui venaient de ramener une couronne mondiale à un pays au bord de l’abîme économique. Merci de nous avoir rendus fiers et heureux le temps d’un match. Merci de nous avoir fait gagner au moins une fois. Être champion ne changerait pas le monde, certes. Mais, enfin, tous les enfants aiment bien jouer au roi et à la reine. Alors jouons encore un peu.

Juan Carlos, Felipe et Luis Aragonés

Ce matin de 2014, Madrid n’attendait pas le retour des champions du monde, mais dans ce curieux retournement nostalgique, cette fois-ci, c’est elle qui disait au revoir à un roi (Juan Carlos), souhaitait longue vie à un autre (Felipe VI) et se donnait une nouvelle raison d’être nostalgique. Tandis que la Rolls Royce du nouveau monarque s’enfonçait dans la ville recueillie, l’élimination d’hier soir venait s’installer dans les souvenirs d’une génération qui n’oubliera jamais ce 18 juin 2014. C’est drôle comme parfois la vie semble avoir un sens, comme tous les évènements semblent appartenir au même flux. À minuit, exactement à l’instant où l’Espagne perdait son titre mondial dans le plus grand stade du monde, un nouveau roi s’installait sur le trône après quarante années de règne de Juan Carlos.

Antonio Muelas, le célèbre commentateur de la Radio Nationale, au bord de l’effondrement émotionnel, éclata en sanglots quand un à un, comme à des funérailles de soldats tombés au combat, il reprit le nom des 23 héros espagnols qui quittaient la pelouse de Rio après cette glorieuse défaite « !Gracias Iker Casillas, Gracias Javi Martínez, Gracias Andrés Iniesta, Gracias Pedro, Gracias Xabi Alonso, Gracias Sergio Ramos, Gracias Sergio Busquets…! » Les larmes se mélangèrent aux syllabes prononcées jusqu’à les étouffer complètement. Le temps d’une pause pour reprendre son souffle, il regarda ensuite le ciel et ce fut dans un râle déchirant que le narrateur émotionnel de l’Espagne d’en-bas prononça les derniers mots de cette prière « et puis je regarde le ciel et à toi aussi Luis Aragonés, je veux te dire merci… » Le direct reprit le dessus. Le football, c’est la vie qui exagère, mais c’est la vie quand même.

Dans le même train

Il est impossible de ne pas ressentir quelque chose ou de ne pas admirer l’art qu’ont les Espagnols pour dire adieu à leurs héros. En mars 2004, au lendemain des attentats d’Atocha, les Madrilènes s’étaient jetés spontanément dans les rues malgré une pluie battante, s’étaient serrés ensuite sous des parapluies et installés derrière celui qui aujourd’hui est devenu leur roi, Philippe. Ils ne défilèrent pas pour réclamer la tête de Ben Laden ou en vouloir à l’injustice du terrorisme. Non, s’ils se jetèrent dans la rue, c’était pour hurler comme ils étaient tristes, combien en frappant 192 personnes, quarante millions d’autres avaient été touchées et bouleversées par cet évènement : « Nous étions tous dans ce train ! » criaient-ils. Et les larmes coulaient, coulaient. Mais plus ils pleuraient, plus ils se serraient encore.

Un an plus tard, dans une clairière du Parc du Retiro, ils dressèrent 192 arbres qu’ils baptisèrent poétiquement « le bosquet des absents » pour que le souvenir de ce 11 mars 2004 soit bien enraciné dans la terre à laquelle, tous, ils étaient destinés. Alors hier soir, quand le match fut terminé, personne n’eut l’idée de demander la tête de Del Bosque ou de Xabi Alonso. On n’engueule pas des morts, on les veille. Après six ans de gloire et de fierté, l’Espagne montrait au monde comment on tombait avec les honneurs, sans excuse, sans grève, sans colère. Savoir perdre, c’est une certaine façon d’être nostalgique et puis, sans dire un mot, de se retirer au milieu d’une haie d’honneur silencieuse. Les cyniques pourront toujours dire que tout cela était grotesque et que le football ne méritait pas de se mettre dans ces états. Mais ce que ne pourront jamais dire les sceptiques, c’est que tout cela n’était jamais arrivé.

Par Thibaud Leplat, à Madrid

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