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Le bordel argentin
La Fédération argentine a concocté un système de relégation tellement compliqué que ce week-end, Tigre peut être à la fois sacré champion et relégué en deuxième division. Du beau n’importe quoi.
« Je signe tout de suite pour que l’on reste en première division et qu’Arsenal soit champion. » Rodolfo Arruabarrena, entraîneur de Tigre, est comme tout le reste du club : concentré sur le maintien. Pourtant, la Venise de Buenos Aires (ville située en partie sur le delta du Rio Paraná, au nord de la capitale) est bel et bien co-leader du championnat à deux jours de son dénouement. Grâce à sa belle victoire sur Boca Juniors le week-end dernier (3-0), la réception d’Independiente samedi dans son José Dellagiovanna pourrait permettre à Tigre d’être sacré champion d’Argentine pour la première fois de son histoire. Mais en Argentine, les choses ne sont pas aussi simples. Les trois premiers qui montent, les trois derniers qui descendent, tout ça, c’est trop classique.
Non, déjà, pour plus de spectacle, les clubs de l’élite argentine jouent deux championnats par an, comme plusieurs autres championnats sud-américains. L’Apertura, du mois d’août au mois de décembre, et la Clausura, de février à juin. Ça fait plus de champions, plus de supporters heureux et plus de nouveaux maillots et produits dérivés à consommer. Ensuite, il y a 30 ans, l’AFA a mis en place un système de relégation original, pensé pour protéger les « gros » en cas de saison pourrie. Bon, à l’heure actuelle, des clubs comme River Plate (bien parti pour remonter) et Huracán sont en deuxième division, et San Lorenzo, un autre historique de Buenos Aires, devrait s’y retrouver dès ce week-end. Éfficacité limitée, donc.
Une sale histoire de calculette
La descente dans la division inférieure se calcule donc désormais sur trois années. Une moyenne du nombre de points pris par match est faite à partir des résultats des trois dernières saisons, donc des six derniers championnats. À la fin de chaque tournoi de Clausura, les clubs obtenant les deux plus mauvaises moyennes sont directement relégués, et les 18e et 17e vont à la Promoción, ce qui signifie qu’ils jouent leur maintien sur un barrage contre les 3e et 4e de seconde division. Après deux saisons très moyennes, Tigre et Arsenal (de Sarandi) faisaient partie des menacés l’été dernier.
Ayant mis les bouchées doubles, ce qui semble suffire dans ce championnat de plus en plus faible, ils se retrouvent tous les deux leaders de la Clausura à une journée de la fin. Mais si Arsenal s’est mis à l’abri, Tigre reste sérieusement sous la menace de la Promoción. Une victoire de l’Atlético Rafaela contre Godoy Cruz, et le Matador devra disputer un barrage. Dans tous les cas, il faudra sortir la calculette, car ça risque de se jouer au centième près. Mais alors, qu’est-ce qu’il se passe si Tigre termine champion ? Pas d’inquiétude, la suite est encore plus compliquée.
Promoción, desempate et entourloupe
Un peu dépassée par le ridicule de la situation, l’AFA avait d’abord déclaré qu’il était impossible d’être champion en cas de relégation. En fait, elle n’en savait rien, puisqu’elle ne l’avait pas prévu. Les dirigeants de la Fédération se sont donc réunis mardi et ils ont tranché : Tigre conservera son titre de champion même s’il est relégué en deuxième division, en revanche il ne disputera pas la Copa Libertadores (promise entre autres aux deux champions de l’année). Mais l’affaire ne s’arrête pas là. En Argentine, en cas d’égalité de points en tête du classement, les co-leaders disputent un desempate, un match sur terrain neutre, pour désigner le champion. L’AFA a donc décidé que si Tigre se retrouve à jouer à la fois la Promoción et un desempate, il commencera par régler l’histoire du titre, ce qui entraîne un bon bordel de calendrier.
Un bordel d’autant plus grand qu’ils peuvent encore être trois à terminer en tête, puisque Boca n’est qu’à deux points derrière Arsenal et Tigre. Le Matador pourrait alors disputer deux matchs de desempate (probablement en faisant tourner, puisque le maintien reste logiquement la priorité), puis un barrage aller-retour. La conclusion est pour German Lerche, le président de Colón : « Le mode de définition des tournois rend le championnat argentin aussi beau. C’est pour ça que l’on souhaite maintenir le système de moyenne, pour que tout le monde, à la fin, ait quelque chose à jouer. » Et pour détourner les gens du problème principal de ce championnat, son faible niveau de jeu.
Par Léo Ruiz