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Le bonheur est dans le pain
Footballeur professionnel au Stade Malherbe Caen durant quatre saisons, Guillaume Quellier a troqué le ballon rond contre les baguettes tradition. Il est titulaire, depuis quatre ans, de sa propre boulangerie. Rencontre petit pont... au chocolat.
Parmi ses souvenirs les plus prégnants, un déplacement au Vélodrome. C’était le 26 janvier 2008, et Guillaume Quellier, vingt et un ans, porte alors les couleurs du Stade Malherbe Caen, entraîné par Franck Dumas. Du banc, il assiste impuissant au récital marseillais, au doublé de « Petit Vélo » Valbuena et au triplé d’un Djibril Cissé des grands soirs. À la 66e minute, le score est déjà de 5-1 pour l’OM quand Éric Gerets décide de faire souffler son capitaine, Lorik Cana. Moment frisson. « Là, le public se lève, l’ovationne, raconte, enthousiaste, Guillaume Quellier. On se serait cru dans une arène à l’époque des Romains ! » À quinze minute du terme de la rencontre, GQ18 fait son apparition sur l’aile gauche malherbiste, histoire de participer à la (dé)fête. L’une de ses seize apparitions en quatre saisons, pour un bilan mitigé : zéro but, un prêt infructueux à Reims – sous Luis Fernandez – et quelques pépins physiques.
« C’est un peu la sélection naturelle »
À l’heure où les pare-brise givrés reflètent les rayons de lune et la lumière éparse des lampadaires, seul le passage d’un livreur de journaux, radio grésillante, vient troubler le sommeil de l’avenue de Garbsen, à Hérouville-Saint-Clair (14). L’homme dépose une pile sur le palier de la boulangerie du coin et file, après un coup d’œil furtif en direction de la lueur blanche qui s’échappe du fond du commerce.
Derrière les fourneaux, Guillaume Quellier s’active. C’est l’instant décisif : la cuisson de ses précieux pains et de ses généreuses pâtisseries. Celles qui orneront sa vitrine quand les premiers gourmands pointeront le bout de leur nez gelé. Le jeune trentenaire est rompu à l’exercice et se met à l’œuvre instinctivement. Il singe ou lustre la pâte fermentée, c’est selon, et enfourne, encouragé par l’odeur lancinante de pains déjà chauds, mêlée à celle, plus alléchante encore, du chocolat. Quatre ans, déjà, qu’il tient sa boulange et hume ces parfums quotidiennement. Six qu’il a entamé sa reconversion.
« J’avais vingt-quatre ans, se remémore-t-il. J’étais en fin de contrat avec le Stade Malherbe et, malgré quelques bons matchs avec l’équipe UNFP des chômeurs, je n’avais vraiment aucune touche. Pourtant, je n’ai pas lâché, j’étais prêt à bouger, à faire des essais. J’ai du mal avec le fait de ne pas savoir de quoi sera fait l’avenir, et forcément, dans ces moments-là, tu doutes un peu. »
Le Caennais, pas du genre à s’enfoncer dans le pétrin sans réagir, décide d’assurer ses arrières. « J’ai commencé ma formation d’artisan-boulanger. J’avais déjà à l’idée de monter mon entreprise avec ma compagne. J’aimais le pain et les pâtisseries, je n’avais aucun problème à vivre à horaires décalés. C’était le bon filon. En parallèle, j’ai signé en amateur à Mondeville et on avait un deal : si un club pro m’appelait, j’étais libre. » Le téléphone reste muet, et le gaucher se fait une raison. « J’ai eu quelques regrets, mais entre la répartition du temps de jeu, les blessures et les contrats courts, ce milieu c’est un peu la sélection naturelle. » Après deux années de formation, il ouvre la boulangerie Quellier.
Bien cuit, doré ou blanc ?
Il s’essuie les mains dans un torchon légèrement enfariné, met la main à la pâte. « Là, c’est une tradition, souffle le chef en désignant un pâton. La pâte est pétrie la veille, on la laisse reposer au frigo toute une journée. Je la divise ensuite en pâtons égaux et la laisse reposer encore une heure. Je la façonne, en forme de baguette, et la laisse encore une heure et demie avant de la mettre au four. » Quid de la cuisson ? « C’est la grande question ! Doré ou bien cuit, c’est toujours mieux : la conservation est meilleure. Malheureusement, les gens préfèrent le pain blanc. Moins dur, moins croustillant. Ça va un peu au détriment de la qualité, mais faut s’adapter à la clientèle et on fait les trois : bien cuit, doré et blanc. » L’essentiel, c’est qu’il n’en reste pas une miette.
Il reste seul dans son fournil jusqu’à l’ouverture, à six heures. Ses salariés viennent alors lui prêter main-forte. « Le football m’a aidé à ce niveau-là. À appréhender le caractère des salariés, à savoir quand il faut gueuler, quand il faut relâcher la pression. On emploie une quinzaine de personnes. Pour le recrutement, on fonctionne un peu comme un centre de formation : l’apprenti que tu formes, tu l’embauches ensuite. C’est gratifiant, je trouve ça bien de pouvoir créer des emplois. » Déjà, quatre clients matinaux se pressent au comptoir et sont rapidement servis. Un pépito lustré trouve vite preneur, suivi d’une tradition, d’une baguette et d’un croissant encore tièdes. C’est le moment pour Guillaume de s’éclipser et d’entamer sa tournée : collèges, maison de retraite… Avec son affaire, l’ancien Malherbiste n’a plus aucun problème de temps de jeu.
Par Alexandre-Reza Kokabi