- Commémorations de l'armistice de 1918
Le Bleuet sur le maillot, passé-présent connexion
Ce week-end, tous les clubs de Ligue 1 et 2 arboreront le Bleuet de France en hommage aux combattants et victimes de conflits. Un symbole du devoir de mémoire dont le retour au premier plan est autant une bonne qu'une triste nouvelle.
Comme partout, il y a deux écoles. Certains tiennent pour la fleur qui, à l’instar du coquelicot, était la seule à pousser vaille que vaille dans l’enfer du front. D’autres avancent le bleu horizon, couleur des uniformes des Poilus à partir de 1915 en remplacement du trop voyant rouge garance. Mais peu importe, finalement, la raison exacte du choix du bleuet comme symbole commémoratif des anciens combattants, victimes de guerre, veuves et orphelins. Au contraire, ce flou est une raison d’en discuter, donc de se souvenir. Une certitude cependant : l’initiative vient de deux infirmières particulièrement sensibles à la réinsertion des gueules cassées dont elles avaient la charge. C’était en 1916. Progressivement, ventes et collectes sont organisées pour venir en aide aux bénéficiaires du Bleuet de France, avec un succès fluctuant au gré des époques. Là où le Poppy anglais est une institution nationale, le Bleuet se fait discret dans la société et, jusqu’en 2011, est complètement absent dans le football. Et puis il y a cette année, où on le verra sur 21 terrains différents en une dizaine de jours. Pour cause de Centenaire de l’armistice, mais pas seulement. Histoire d’un come-back, à prononcer avec l’accent anglais.
Le Bleuet sur le drapeau
Novembre 2011. Du haut de l’Assemblée nationale, le député Patrick Beaudoin, rapporteur de la commission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » , annonce son intention d’écrire une lettre à la FFF. Objectif : voir le Bleuet pour la première fois sur le maillot tricolore, quelques jours plus tard face aux États-Unis. « J’y voyais plusieurs symboles, se rappelle-t-il aujourd’hui. On jouait au Stade de France, contre un allié historique, où la tradition du ruban jaune pour les proches tombés au combat est forte. C’était une manière de lier la mémoire et les valeurs du sport, de l’engagement et du respect. » Surtout, le contexte est favorable : l’Angleterre vient de forcer la main à la FIFA grâce aux interventions de joueurs, de Fabio Capello, de David Cameron et même du prince William : les Three Lions arboreront leur coquelicot face à l’Espagne.
Car à l’origine, la FIFA interdit sur les maillots nationaux tout signe distinctif autre que l’écusson national (les deux étoiles) et l’équipementier. La maison-mère condamnera d’ailleurs les pays britanniques pour le port du Poppy en 2016. Une nouvelle passe d’armes sur laquelle va cette fois surfer la députée Patricia Adam pour réclamer le port du Bleuet par les Bleus, face à la Suède. Issus de la même commission, les deux représentants ne sont pas du même bord, puisque Beaudoin tient pour Les Républicains, tandis qu’Adam est team Parti socialiste. Une divergence qui a le mérite de montrer que le devoir de mémoire va au-delà du politique. « Je peux comprendre que la FIFA ait des règles, concède Patricia Adam,mais là, on est sur autre chose, un sujet important qui fait le lien entre les Français. » Un an plus tard, le 10 novembre 2017, la France portera pour la première fois de son histoire le Bleuet en match contre le pays de Galles. Et renouvellera l’hommage cette année face à l’Uruguay.
Terrorisme et modernité
Plusieurs facteurs concourent à cette apparition d’une fleur bleue dans le football français. En premier lieu les attentats de 2015 : depuis 1991, la mission du Bleuet de France et de son organisme de tutelle, l’Office nationale des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG), couvre également les victimes d’actes terroristes. Forcément, à partir de 2015 en France, le symbole va revenir au premier plan. Un symbole parfait pour lier passé et présent, parfait pour contribuer à la construction d’une « unité nationale » chère aux deux députés. D’ailleurs, en 2017, c’est l’hommage aux victimes des attentats qui sera mis en avant, suivies par les anciens combattants. Face à l’émotion, la FIFA ne peut que baisser la garde. Reste à savoir si cela rend le Bleuet, comme le Poppy, plus ou moins politique. Outre-Manche par exemple, Nemanja Matić a sa petite idée.
Le second facteur ayant permis au Bleuet de germer n’est autre que l’ONACVG lui-même. Lorsqu’il arrive dans l’organisation, en 2011, Benoît Luc a 26 ans et la tête bien dans son époque. Pour lui, associer mémoire et sport, football en particulier, coule de source. Mais il est un peu seul. « On fait une première action avec Rennes en 2012, puis une expérimentation à six clubs en 2013, remet le Breton. En 2014, la LFP nous suit pour faire participer tout le monde. Avec le secrétaire d’État aux anciens combattants et des dirigeants de l’ONACVG, on va assister à un match à Reims. Et là, certains s’étonnent de voir des journalistes suivre le match. C’était de la Ligue 1 ! Mais c’étaient aussi deux mondes qui s’ignoraient totalement. » Et si, en 2016, l’initiative est interrompue pour cause de grand chambardement à la LFP, elle va repartir de l’avant en 2017 avant d’être à nouveau généralisée cette année. Sans oublier le travail avec la FFF : « Quand Mme Adam fait son appel en 2016, en fait, tout est déjà calé depuis des mois avec la Fédé. Qui a d’ailleurs poussé au maximum en faisant porter le Bleuet pendant les hymnes. Mais elle ne pouvait pas attaquer de front la FIFA comme les Anglais, parce que le Bleuet n’a pas le même soutien populaire en France. »
Staff technique et itinérance mémorielle
Dans le cas de l’équipe nationale, entravée par les règlements internationaux, Benoît Luc n’oublie pas de mentionner le rôle du staff technique actuel : « J’ai appris que Didier Deschamps avait lu des textes de Poilus lors de l’inauguration d’un monument célébrant les fraternisations de Noël 1914 à Ploegsteert, avec Michel Platini. Et à Rennes, j’ai un jour pris le témoignage d’une ancienne résistante déportée qui s’avère être la belle-mère de Guy Stephan. Donc ce sont des gens concernés par les questions de mémoire qui font tout pour appuyer nos demandes. » Sans oublier Jérôme Valcke, Français connu pour des histoires moins reluisantes, mais courroie de transmission utile avant de sauter à la suite du FIFAgate.
Le Bleuet permet donc de se rappeler, c’est un fait. Mais encore ? « Des collectes sont effectuées dans les stades, même si cela reste anecdotique, relève Benoît Luc. Certains clubs vont plus loin, comme Nancy qui avait reversé une partie du prix des billets, Sochaux qui a vendu aux enchères les maillots floqués du billet et nous a reversé les bénéfices, ou Montpellier qui a participé à la collecte populaire pour gonfler la cagnotte. » Le MHSC était d’ailleurs le seul club professionnel à afficher le Bleuet sur le maillot en novembre 2016, la famille Nicollin prenant le sujet à cœur. Reste que sur l’ensemble de l’année 2017, la somme totale récoltée par le Bleuet est de 1 292 642,87€. En Angleterre ? 50 millions d’euros environ sont ramassés chaque année par la Royal British Legion. Mais ça, « c’est une question de culture, de rapport à l’armée » , propose Benoît Luc, tout en espérant que le football contribuera à combler le retard. Si vous ne saisissiez pas la coquetterie bleue d’Emmanuel Macron lors de son itinérance mémorielle, voilà déjà un début.
Par Eric Carpentier
Pour en savoir plus sur la LFP et les actions autour du Bleuet de France, voir les chroniques de Benoît Luc sur le site de la LFP.