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Le bitcoin est dans le pré
James Rodríguez a fait cette semaine son entrée dans le monde merveilleux de la cryptomonnaie, en créant une devise virtuelle à destination de ses fans, le JR10 Token. Une initiative qui ressemble à celle du London Football Exchange (LFE), une firme qui discute avec des clubs professionnels pour développer une cryptomonnaie permettant d'acheter en ligne des produits dérivés, d'accéder à des services exclusifs, voire d'acquérir des actions du club de leur choix. De quoi se demander si les monnaies virtuelles pourraient faire bouger les lignes de l'économie du football professionnel, dans un futur pas si lointain.
Le discours est lisse et le ton optimiste. James Rodríguez n’a pas pu être physiquement présent au lancement officiel du JR10 Token, sa cryptomonnaie mise au point par la start-up SelfSell, mais il a tenu à faire les choses dans les règles, en enregistrant un message vidéo : « Me voilà sur un terrain nouveau pour apporter à chacun une marque personnelle toute neuve. » Une marque sous la forme d’une monnaie virtuelle, dont les utilisateurs pourront acheter des billets pour les matchs du joueur ou encore acquérir des produits dérivés inédits.
Insert a Bitcoin
Le Colombien n’est pas le seul sportif à avoir développé sa propre cryptomonnaie. Mi-mars, le boxeur Manny Pacquiao annonçait qu’il allait lancer sa propre devise virtuelle, le PAC Coin, dont les utilisateurs bénéficieront de marchandises exclusives ou encore de rencontres interactives avec la star en streaming live. Michael Owen ne tardait pas à lui emboîter le pas, en déclarant quelques jours plus tard qu’il allait émettre d’ici le trimestre prochain sa monnaie virtuelle, baptisée OWN. Autant d’initiatives qui visent une communauté restreinte de fans, là où le projet du London Football Exchange (LFE) vise beaucoup plus large.
Cette firme créée en 2017 voit potentiellement dans les cryptomonnaies le prochain tournant du financement du football professionnel. Son but ? Créer une devise virtuelle, le LFE Token, qui permettrait à n’importe quel fan de football dans le monde d’acheter facilement des articles de son équipe favorite, des tickets pour un match, d’accéder à des services et forfaits exclusifs, voire même d’acheter des actions du club de son choix. Un projet sacrément ambitieux, alors que la direction du LFE négocierait actuellement des partenariats avec une cinquantaine d’équipes, dont plusieurs formations de Premier League.
Le Juste Prix
Reste encore à comprendre pourquoi les cryptomonnaies se mettent soudainement à gagner du terrain dans l’économie du football. Pour Yann Abdourazakou, professeur de marketing et de management à la California State University, le foot ne fait que suivre la tendance sociétale actuelle, alors que la popularité des monnaies virtuelles a explosé ces dernières années : « La cryptomonnaie permettra aux clubs de lever des fonds dans une logique de crowdfunding, sans faire appel à une tierce partie, comme une banque ou un investisseur privé. Ce type de financement populaire induit également entre les clubs et les gens qui y investissent une forme de relation émotionnelle plus forte, plus directe. »
Surtout, la cryptomonnaie peut miser sur un avantage que les devises traditionnelles n’auront jamais : sa transparence quasi infaillible. Les cryptomonnaies utilisent en effet une technologie révolutionnaire, la blockchain. Grâce à cette dernière, toutes les transactions réalisées entre les différents utilisateurs de cryptomonnaies sont répertoriées et enregistrées dans un grand registre informatique commun. Elles figurent alors simultanément sur l’ensemble des ordinateurs participant au réseau. Elles sont donc publiques et transparentes, puisque l’information est consultable à n’importe quel moment, par n’importe qui. De quoi potentiellement secouer quelques cages, y compris dans l’industrie du foot. « Prenez la billetterie. Grâce aux cryptomonnaies et à la technologie blockchain, on pourrait tracer chaque billet, pose Yann Abdourazakou. Les utilisateurs pourraient tout visionner : ce qui a été vendu ou échangé, et à quel prix. Les ventes de billets ne pourraient alors être établies que sur la base d’un prix défini comme juste. »
« Le mot clé derrière la cryptomonnaie, c’est la transparence »
Un exemple parmi tant d’autres. La cryptomonnaie et la blockchain pourraient aussi changer en profondeur la gestion de la carrière des footballeurs : « Via certaines plateformes en ligne, des fans de foot pourraient investir de la cryptomonnaie sur un joueur méconnu, qu’ils jugent prometteur, afin de l’aider à atteindre certains objectifs, poursuit Yann Abdourazakou. Le cas échant, la blockchain pourrait donner à l’ensemble des investisseurs des données extrêmement précises et transparentes sur les performances du joueur. Car, là encore, l’information ne serait pas réservée à une audience restreinte et privilégiée, mais serait publique à tous ceux qui utilisent cette technologie.
Une technologie qui pourrait aussi permettre de révolutionner la lutte anti-dopage. S’ils intégraient le processus blockchain, les résultats des tests anti-dopage ne seraient en effet plus connus et analysés par seulement quelques intermédiaires potentiellement défaillants et malhonnêtes, comme les laboratoires d’analyse ou les fédérations, mais seraient visibles par tous. Un ultime signe que la cryptomonnaie et la blockchain ont peut-être le potentiel de transformer en profondeur l’économie du sport et du football. « Personnellement, je pense qu’une révolution est possible, oui, poursuit Yann Abdourazakou. Mais certains acteurs du football, je pense aux agents de joueurs par exemple, ont intérêt à ce que les choses restent telles qu’elles sont. Le mot clé derrière la cryptomonnaie, c’est la transparence. Mais dans le sport professionnel, beaucoup de personnes ont intérêt à ce que pas mal de choses restent opaques. »
Par Adrien Candau
Propos de Yann Abdourazakou recueillis par AC