- Coupe du monde 2014
- 1re journée
- Bilan
Le bilan tactique des débuts des grandes nations
Après à peine cinq jours de compétition, tous les « gros » sont entrés dans leur Coupe du monde : Brésil, Espagne, Pays-Bas, Uruguay, Angleterre, Italie, France, Argentine, Allemagne et Portugal. L'occasion de revenir sur les choix des uns et des autres, des succès du 5-3-2 de Van Gaal et du milieu à trois de Prandelli, aux échecs de Tabárez et Del Bosque.
L’intensité du 5-3-2 de Van Gaal fait voler les Pays-Bas
Louis van Gaal est un amant fidèle du 4-3-3, mais il est aussi amoureux de la victoire. Ainsi, face à l’Espagne, il arrange sa formation en 5-3-2, et nous offre un Arjen Robben axial. D’après De Jong, Van Gaal aurait répété à ses joueurs que la clé allait être leur « intensité » . En clair, cela se fait en deux étapes : d’une part, conserver un bloc compact et respirer à l’aide d’une circulation de balle impliquant tout le monde (neuf joueurs auront touché entre 40 et 66 ballons, ce qui est le fruit de consignes données aux défenseurs afin de relancer au sol) ; et d’autre part, attaquer la ligne défensive adverse avec vitesse, violence, agressivité et conviction. Après quarante-quatre minutes passées à voir Sneijder et Robben se sacrifier pour l’équipe, et Nigel de Jong régner en maître au milieu, les oranges blanches voient des brèches s’ouvrir. En tout, neuf occasions claires. Les neuf fois, soit la ligne défensive est défaite pour mauvais alignement ou piégée en plein replacement, soit l’effort individuel de Robben, Sneijder et Van Persie est tel que rien ne semble pouvoir les arrêter. Parce que les consignes de Van Gaal n’ont pas gagné le match toutes seules. À noter, les superbes ouvertures de Daley Blind et Wesley Sneijder qui, associées à la vitesse supersonique de Robben, semblent capables de piéger n’importe quelle défense.
Les erreurs individuelles font sombrer le collectif espagnol
Côté espagnol, cette défaite n’est ni celle d’un style ni celle de Del Bosque. Mis à part la frayeur Sneijder (combien de fois Casillas a-t-il sauvé les siens depuis six ans ?) et l’exploit tardif de Van Persie, la première mi-temps aura même vu les Espagnols dicter leur jeu comme à leur habitude, Diego Costa en plus (quatre positions de hors-jeu pour lui et Torres). Comme prévu, le Brésilien est bien moins en vue qu’à l’Atlético, mais qu’importe, il joue son rôle de 9 : appels, bataille, pressing. En deuxième mi-temps, difficile d’expliquer les « défaites individuelles » de l’Espagne. Le positionnement catastrophique de la dernière ligne, le cauchemar de Casillas, les duels systématiquement perdus par Piqué et Ramos. Devant eux, Busquets est dépassé (au sens propre, on passe au-dessus) par le jeu direct des Hollandais, et au milieu de tout ça, Xavi se retrouve complètement inexistant, incapable de relancer le tempo de la Roja. Jusqu’au 4-1, on croit que l’Espagne va se mettre en marche et accélérer, mais la machine est sans cesse enrayée, se faisant piéger toutes les huit minutes en moyenne en deuxième mi-temps. Si le caractère de Puyol est irremplaçable, il est probable de voir Del Bosque procéder à quelques changements contre le Chili : Pedro sera de la partie, mais osera-t-il se séparer de Xavi ? Comme l’a dit le Catalan : « Ce serait une erreur de changer de style, il faut mourir comme ça. » Avec ou sans lui ?
Le milieu à trois de Prandelli fait chavirer les cœurs
Si l’Angleterre a présenté une équipe toute neuve samedi dernier à Manaus, la version prandellienne de l’Italie a déjà quatre ans. Quatre années de changements et d’essais de tous les schémas possibles, pour aboutir à une équipe à l’aise avec le ballon, qui prend l’initiative. Autour d’un milieu à trois toujours aussi efficace qu’esthétique, dont la version De Rossi-Pirlo-Verratti a séduit tout le Brésil, Prandelli avait fait le choix de Balotelli, une ligne défensive de 4, et deux ailiers aux rôles différents. À gauche, Marchisio était censé donner de la densité et de la rigueur défensive, tandis qu’à droite, Candreva devait écarter au maximum le terrain, centrer, frapper : une arme de football direct dans un football tout en contrôle, comme un Jesús Navas lors du Mondial 2010 pour la Roja. Mais alors qu’on avait l’impression que l’Italie s’enlisait dans de longues phases de possession stériles, déséquilibrant difficilement le bloc anglais, Prandelli n’aura finalement même pas eu besoin de la folie de Cassano et Insigne. Le tout grâce à la copie parfaite de son milieu autour de la surface anglaise, une jolie combinaison Pirlo-Marchisio sur le premier but, et la maturité de Balotelli aux avant-postes. Alors que Prandelli avait déclaré qu’il avait demandé à ses milieux de ne pas donner le ballon à Supermario s’il lui prenait l’envie de décrocher jusqu’au milieu de terrain, le Bresciano a parfaitement rempli sa mission de numéro 9, ne décrochant que pour tenter une frappe lointaine bien sentie. Oui, même s’il ne touche que trois ballons dans le match, dans certains schémas, un 9 doit rester en position. Avec la superbe copie de Matteo Darmian à droite, l’Italie a passé son premier test sans même avoir recours à un plan B. En deuxième mi-temps, l’entrée de Motta aura permis d’évaluer la densité exceptionnelle de ce milieu de terrain.
« La meilleure Angleterre depuis des années en Coupe du monde »
Et pourtant, « cela faisait des années que je n’avais pas vu une équipe d’Angleterre aussi forte en Coupe du monde » , dit José Mourinho. Oui, malgré l’opposition, la formation de Hodgson s’est montrée particulièrement séduisante et dangereuse samedi dernier. Alignant un 4-2-3-1 de jeu vidéo – du muscle derrière, des flèches devant – Hodgson a donné l’impression que les Anglais jouaient enfin de façon cohérente en compétition internationale. Merci Liverpool ? Les clés : une relance soignée, des appels tranchants, et des joueurs qui savent faire la différence dans les trente derniers mètres. Sterling est omniprésent (58 ballons touchés, soit 15 de plus que Rooney) et Sturridge semble capable de faire mal à chaque prise de balle. Les seules interrogations sont les positions de Rooney et Wellbeck. Alors qu’on aimerait voir le premier plus proche du but, le second a paru un ton en dessous des autres. Hodgson a deux options : Ross Barkley et Jack Wilshere, en fonction de ce qu’il veut contre l’Uruguay. Malgré la protection de balle du milieu italien, les Anglais auront tiré 18 fois et obtenu 9 corners.
Le 4-4-2 de l’Uruguay, lourd et sans idées
C’est le drame de cette première journée pour les amoureux du football sud-américain. Le jeu du dernier vainqueur de la Copa América s’est fait complètement annuler par un Costa Rica aux dents longues, à la défense compacte, aux attaques rapides et aux coups de pied arrêtés meurtriers. La pire version de l’Amérique du Sud était au rendez-vous : 4-4-2 à plat contre 5-4-1 prudent. Pour résumer : un Costa Rica qui vient jouer le contre face à une équipe d’Uruguay qui ne sait pas produire du jeu en prenant l’initiative. Du côté de la belle Celeste, les manœuvres sont lentes, le milieu de terrain Gargano-Arévalo Ríos est peut-être le moins créateur et flexible de tout le tournoi, et ni Stuani ni Cristian Rodríguez ne font la différence sur les côtés, malgré toutes les tentatives de décrochages de Cavani et Forlán. Une vraie souffrance : l’Uruguay se retrouve en infériorité numérique devant et en infériorité technique derrière. Nicolás Lodeiro et Álvaro González n’y changeront rien. Seul Luis Suárez pourrait tout changer, comme Forlán en 2010. Et si Tabárez donnait une chance à Gastón Ramírez ? À moins qu’une équipe qui va en demi-finale de Coupe du monde avec Diego Pérez au milieu pense qu’elle n’a pas besoin de créateurs…
Le Portugal doit se réinventer
Difficile de tirer des enseignements tactiques de l’entrée en matière du Portugal de Paulo Bento après une telle catastrophe. Alors que le Portugal arrivait avec le même onze (un seul changement : Almeyda-Postiga) qui avait donné de vraies garanties de solidité à l’Euro 2012, on s’attendait à de l’organisation et des automatismes. Mais une défense allemande basse aura suffi pour contrecarrer l’envie d’espaces de Cristiano et Nani. À remettre en cause en première mi-temps, le milieu à trois portugais se rue vers la muraille allemande sans se rendre compte qu’il court après sa mort. À la perte du ballon, les Portugais se noient dans la relance allemande et enchaînent les erreurs. Si le Ghana et les USA reproduisent le même schéma défensif que l’Allemagne, Bento va devoir rapidement réinventer les idées de son 4-3-3, au-delà des suspensions et des blessés. Pourquoi ne pas avoir changé rapidement d’approche après avoir remarqué le chaos des siens à la perte de balle ?
Le cocktail explosif des Allemands : défense basse et leçons de relance
L’Allemagne joue bas, mais chaque action finit dans la surface portugaise. L’Allemagne joue sans numéro 9, mais trouve toujours un point d’appui axial sur ses contre-attaques. Si le Portugal aura proposé une opposition encore plus fébrile que celle du Honduras dimanche soir, les Allemands ont eu le mérite de donner l’impression de jouer chaque offensive les yeux fermés et dans le bon tempo. Sous le maillot de la Mannschaft, la relation Özil-Khedira est plus belle que jamais, déchargée du travail de possession assuré par le duo Lahm-Kroos (95 et 91 ballons touchés, comparé aux 61 et 46 de Khedira et Özil) et offrant entre les lignes un mélange singulier de finesse, puissance et verticalité. Les remises sont bien senties, le surnombre est toujours trouvé, et surtout, ces contres ne nécessitent même pas la participation des latéraux, Boateng et Höwedes pour l’occasion, qui ne se découvrent donc jamais. À gauche, Götze est hyperactif et s’associe avec tout le monde, tandis que les mouvements de Thomas Müller dans l’axe semblent illisibles pour Veloso. Peut-être enfin débarrassée de cette ambition de séduire le monde entier – c’est-à-dire de faire tout comme l’Espagne – l’Allemagne a gagné sa première bataille tactique par KO.
Brésil – Croatie : cf. l’article Analyse tactique du Brésil de Scolari
France – Honduras : cf. l’article Qui es-tu, l’animation offensive des Bleus ?
Argentine – Bosnie : cf. l’article On ne va pas pleurer pour l’Argentine
Par Markus Kaufmann
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