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Le bilan tactique de l’Euro des Bleus
Trois ans après un Mondial 2018 remporté grâce à une synthèse tactique et à des individualités au sommet, l'équipe de France a été éliminée, lundi, dès les huitièmes de finale de l'Euro au bout d'un tournoi traversé dans un flou continu. Et demain ?
Une photo souvenir, pour commencer. On y voit Didier Deschamps, assis dans une salle de la Puskás Arena de Budapest, prêt à affronter un mur virtuel où s’apprêtent à apparaître les aventuriers médiatiques de la caravane bleue. Pour la première fois de l’Euro des Bleus, champions du monde en titre alors fraîchement bousculés par une Hongrie au plan parfaitement ficelé (1-1), le premier entraîneur du pays laisse son assurance habituelle de côté et lâche, dans un souffle : « Je vais me faire défoncer… » Mais pourquoi, au juste ? Peu importe, sur le moment, car publiquement, Deschamps doit reprendre le contrôle et il faut voir ensuite le sélectionneur déminer une à une les bombes posées sous son nez, affirmant tour à tour qu’il savait que sa troupe « n’allait pas écraser tout le monde » et se félicitant de l’essentiel. À savoir : une qualification, qui sera finalement obtenue après un nul incomplet face au Portugal (2-2), mais grâce surtout à une première place arrachée au sein d’un groupe de la mort dont tous les membres ont aujourd’hui été sortis du plateau final de ce championnat d’Europe. À Budapest, ainsi parle Didier Deschamps : « On est capables de faire mieux, oui, mais il y a eu de très bons enchaînements, notamment en première période. On a eu le mérite de revenir au score. Je m’en satisfais. Je ne suis pas heureux, mais je m’en satisfais. » Reste qu’un drôle de flou entoure alors l’équipe de France. Un flou multiple et avant tout systémique : après le losange mort-né de la préparation, Deschamps va, dans la foulée de ce nul en terre hongroise concédé avec un 4-3-3, ressortir son 4-2-3-1 réconfortant du Mondial 2018, avec un Corentin Tolisso installé côté droit dans un rôle matuidesque (qui était lui à gauche), mais qui n’aura pas réconforté grand monde.
La raison ? Tolisso n’est pas Matuidi, et Jules Koundé, habitué à se projeter à partir d’une position de défenseur central et non de latéral, n’a pas forcément les qualités pour déborder ou animer durablement un couloir comme pouvait le faire Lucas Hernandez derrière Matuidi en Russie, ce qui a donc vu les Bleus avancer sans élément capable d’occuper convenablement la largeur. Puis, face à la Suisse, le sélectionneur a cherché à s’adapter plutôt qu’à soumettre son adversaire en alignant un 3-4-1-2 difficile à maîtriser en deux coups de cuillère à pot. L’équipe de France avait en effet déjà testé ce système (en Albanie, en Suède et face à la Croatie, pour trois succès inégaux), mais elle l’avait fait sans la majorité des joueurs alignés à Bucarest et souvent avec des joueurs adaptés à cette approche, ce que n’étaient pas, entre autres, Adrien Rabiot et Benjamin Pavard, habitué à jouer latéral – et non piston – dans un Bayern dominateur qui ne l’expose que rarement à des situations de un-contre-un, sans compter le fait que Clément Lenglet vient de vivre, de son propre aveu, « la pire saison » de sa carrière (il a, au passage, peut-être été le central français le plus intéressant avec le ballon de la compétition). L’échec des Bleus à l’Euro, qui ont été marqués par les blessures et ont fini leur huitième de finale dans un 4-4-2 à plat, ne peut être résumé à une affaire stratégique, mais reste un fait : ce tournoi semble vouloir récompenser les nations qui connaissent le chemin sur lequel elles souhaitent avancer (le Danemark, l’Italie, la Tchéquie…) et l’équipe de France, elle, n’a jamais choisi son costume.
Bloc transpercé et entre-deux
Une question, maintenant : cet échec était-il prévisible ? Il serait trop simple de le dire aujourd’hui, mais l’élimination de l’équipe de France de cet Euro vient sanctionner l’insuccès de plusieurs mois de recherches que Didier Deschamps aura vendues en expliquant à plusieurs reprises vouloir « élargir la palette » de son groupe. De Russie, le sélectionneur avait ramené, au-delà du titre, une synthèse de l’histoire du football français (une dose de magie saupoudrée par Antoine Griezmann, Paul Pogba, N’Golo Kanté et l’insouciance de Kylian Mbappé ; un bloc bas roi des vagues et des airs) et une histoire de réalisme froid dans les deux zones qui comptent le plus (les deux surfaces) sans que l’on puisse raconter le sacre via le prisme d’un système. Le titre du champion du monde était celui des joueurs – Didier Deschamps l’a souvent répété lui-même – et d’une obsession de l’équilibre. D’un football d’individualités qui a malgré tout une limite dans le temps et qu’il convenait de faire évoluer au même rythme que la progression de certains éléments, Mbappé en tête, l’attaquant du PSG n’était plus le joueur qu’il était en 2018 et souhaitant s’aventurer vers d’autres conquêtes. Partant, avec un autre Mbappé, un autre Griezmann, plus d’Umtiti, plus de Matuidi et avec un Olivier Giroud progressivement sorti du jeu, le chef du foot français devait trouver autre chose et il pensait l’avoir trouvé sous la forme d’une bouée de sauvetage royale : Karim Benzema, rappelé sur le gong et meilleur buteur tricolore de l’Euro, mais qui a entraîné derrière lui une attente concentrée quasi exclusivement sur l’hydre de Lerne de Deschamps (Mbappé, Griezmann, Benzema).
Avant de partir à l’aventure, le sélectionneur avait été invité à évoquer la bête dans un entretien donné à L’Équipe : « Il ne faut pas dissocier les trois offensifs du reste. L’animation offensive passe aussi par l’apport des milieux, des latéraux, l’utilisation de la largeur, la capacité à tenir le ballon et, quand on doit défendre, de bien défendre.(…)J’ai toujours accordé de la liberté aux joueurs offensifs. Je veux juste qu’ils sachent ce qu’ils ont à faire quand ils n’ont pas le ballon. » Et c’est peut-être avant tout ce point qu’il faut évoquer en premier : à plusieurs reprises durant la compétition (et même lors du début de match face au pays de Galles en préparation), le bloc français, parfois étiré sur 60-70 mètres, aura été transpercé en son cœur, sur ses flancs (souvent un 3 contre 4 à gérer sur la largeur), et aura peiné à contenir la relance adverse. En ce sens, le huitième de finale, où la Suisse aura eu un avantage structurel pendant la quasi-totalité de la première période en appuyant sur des mécanismes pourtant visibles lors du dernier match de poules de la Nati face à la Turquie (Ricardo Rodríguez aligné en central excentré gauche d’une défense à trois et s’incorporant sur l’aile en phase de possession pour faire naître un triangle menaçant en compagnie de Xhaka et Zuber) a été le pic de problèmes déjà visibles en Hongrie ou en Allemagne.
En refusant de chasser haut son adversaire, la France a souvent laissé l’initiative aux centraux adverses. Lors des 20 premières minutes en Allemagne, Rüdiger, Ginter et surtout Hummels ont ainsi pu sortir des passes casse-lignes pour rapidement atteindre le dernier tiers tricolore. Ici, alors que le milieu français doit couvrir à trois une ligne de 4 sur la largeur, Rabiot, orienté vers Kimmich, est pris à sa droite par la relance de Mats Hummels.
En un appui-remise, l’Allemagne est déjà dans le camp français avec Havertz.
La Hongrie, elle, n’a eu qu’à faire décrocher un joueur (Nagy) pour former une ligne de quatre à la relance et ainsi rapidement manger le milieu français sur la largeur, une nouvelle fois. Le but hongrois interviendra au terme d’une séquence similaire.
Face à la Suisse, la France avait décidé de s’adapter en défendant en 5-3-2. La Suisse a ainsi profité d’une supériorité numérique à la première ligne d’abord…
… laissant ainsi à Akanji un couloir intérieur pour progresser au sein d’un bloc français tout sauf compact. Ici, le central suisse peut toucher trois joueurs : Embolo, Xhaka et Freuler.
… trouvé, Xhaka, sur qui Pavard est sorti, se retrouve ensuite avec Zuber, entré à l’intérieur, et Rodríguez dans le couloir. Le 5-3-2 français a explosé en moins de dix secondes.
Tout au long de la compétition, l’équipe de France se sera, comme souvent, adaptée aux forces de ses adversaires. Même s’il avait affirmé dans une interview à France Football avant l’Euro qu’un bloc médian est souvent « merdique » à ses yeux, Didier Deschamps a abordé le match en Allemagne de cette manière, ce qui a découlé sur plusieurs décalages en début de rencontre lorsque Pavard, pris dans son dos face au pays de Galles en préparation, s’est refusé à sortir haut et a ainsi laissé Gosens trop libre, alors que Pogba et Griezmann peinaient à se situer autour de la gestion de Kroos et Rüdiger. Pour régler ce problème, les Bleus se sont, en cours de rencontre, ajustés, Pogba s’occupant progressivement de Kroos et le faisant reculer, Raphaël Varane n’hésitant pas à sortir pour combler les trous et l’ouverture du score (à la 19e minute) permettant aux Français d’installer un bloc bas pour réduire les espaces entre les lignes et contrôler alors la profondeur. Ce match en Allemagne n’aura pas été parfait et aura été sauvé, comme souvent, grâce à des performances individuelles exceptionnelles de la ligne défensive et aux compensations du duo Kanté-Rabiot. Il aura aussi été une bande-annonce pour la suite : plus que jamais sur cet Euro, défensivement, les Bleus ont été dépendants de la qualité des hommes plutôt que d’un système rigoureux (18 tacles réussis sur 19 tentés en Allemagne, 24 dégagements…) et de la tenue des compensations de leur milieu. Mais une fois que les mailles se sont distendues, faute de presser, les Bleus ont sombré.
La liberté à l’excès ?
Ce qui nous amène à l’autre versant de l’Euro français : le jeu avec ballon où Paul Pogba a pris durant la compétition, et même dès le dernier match de préparation face à la Bulgarie, un rôle central et solaire. Supérieur à Kroos dans l’impact lors de la première rencontre en Allemagne, celui qui rêve depuis le début de sa carrière de créer « le nouveau milieu de terrain » a été au-delà de sa fonction d’archer en chef pour Mbappé qui était la sienne en Russie (fonction qu’il n’a évidemment pas laissé de côté durant ce championnat d’Europe). Touché physiquement par la chaleur en Hongrie, Pogba, bien que fautif sur le but du 3-3 contre la Suisse, a brillé lors de ses trois autres sorties en jonglant entre les registres : jeu long, destruction de lignes par la conduite pour faire exploser les Bleus en transition, cible sur touche – ce qu’on a notamment retrouvé au départ du but contre son camp d’Hummels en Allemagne – ou cible offensive lorsque Antoine Griezmann se décalait côté droit… Souvent dans un costume, le milieu français a ici récupéré les clés éparpillées par un Griezmann qui a souvent peiné à trouver sa place exacte dans la version 2021 d’une équipe qui avait pourtant été dessinée pour lui depuis plusieurs années.
L’évolution d’Antoine Griezmann dans le paysage tactique des Bleus vient d’une conséquence : celle de la vision d’un sélectionneur qui a choisi depuis de nombreuses années de laisser de la « liberté » à ses joueurs en phase de possession, ce qu’il a répété tout au long de la préparation. L’idée de Deschamps est de ne pas brider la créativité de ses éléments par des circuits répétés comme peuvent le faire l’Italie, le Danemark, l’Espagne ou l’Allemagne, et cela peut s’entendre. Reste un fait : durant cet Euro, l’organisation avec ballon de l’équipe de France a souvent fait renaître de nombreux réflexes, qui ont notamment coûté une partie des deux points perdus face à la Hongrie. Le plus notable d’entre eux : la frilosité des centraux français (un mal national lorsqu’on se souvient des prestations récentes des Espoirs français), notamment Raphaël Varane, qui n’ont que trop rarement profité des espaces devant eux et ont souvent déclenché vers leurs latéraux, souvent placés très bas, attirant de fait plus rapidement la pression adverse et ralentissant la progression.
Pour régler ce problème, on aurait alors pu imaginer le décrochage d’un troisième joueur – Adrien Rabiot aurait pu être ce joueur-là, le milieu de la Juventus n’étant pas le plus à l’aise en comparaison de Kanté et Pogba, voire Pavard qui aurait pu être en troisième central en phase de possession – pour prendre le dessus sur une ligne de pression adverse à deux têtes, mais l’équipe de France n’en a pas pris l’habitude, ne possède pas de central capable de fendre un bloc à répétition (alors qu’Aymeric Laporte ne cesse de le faire avec l’Espagne) et a souvent surchargé sa relance en empilant les joueurs derrière le ballon, se privant alors de solutions plus haut sur le terrain. Conséquence logique : les offensifs de l’équipe de France se sont cherchés dans l’occupation des zones, ont souvent évolué éloignés les uns des autres pour exister aux extrémités d’une circulation en U et on peut le regretter lorsqu’on garde en mémoire les premiers buts inscrits face à la Suisse et quelques séquences – trop rares – vues en Hongrie lorsque Kimpembe a osé prendre des initiatives en première période. Des séquences où Karim Benzema, un joueur de combinaison qui a besoin de se connecter aux autres atomes du onze pour briller et les faire briller, et où les Bleus ont plongé où les matchs se décident : à l’intérieur du jeu.
Pour régler ces soucis, Didier Deschamps a eu recours à deux reprises au 4-4-2 à plat (en fin de deuxième période face au Portugal et en seconde période contre la Suisse) et c’est probablement sur ce format, plus proche de la version Euro 2016 des Bleus, que l’équipe de France a été la plus imprévisible, connectée et cohérente défensivement. C’est aussi sur cette forme qu’elle pourrait repartir, même si Deschamps a souvent avancé qu’aligner quatre offensifs d’entrée n’était pas forcément à son goût, ce qu’on peut discuter au regard de l’investissement défensif du duo Griezmann-Coman. L’objectif du moment est pourtant dans un choix : celui d’un chemin nécessaire et d’un cadre fort via des concepts qui vont au-delà (et permettent) des changements de systèmes, au risque de retomber comme face à la Suisse dans un entre-deux difficile à maîtriser, venu sanctionner une sélection qui a longtemps cru – possiblement à juste titre – s’en sortir à l’écart de talents au cours d’un huitième de finale qui définit souvent un tournoi de l’équipe de France. En 2016, c’est à ce stade de l’Euro que les Bleus, menés par l’Irlande, avaient trouvé leur formule pour aller jusqu’à la finale. En 2018, c’est également lors d’un huitième de finale que la troupe de Deschamps avait consolidé son esprit en sortant vainqueur d’un duel à l’épée avec l’Argentine (4-3). En 2021, c’est de cette marche que ce groupe, vainqueur d’une rencontre sur quatre et apparu marqué physiquement, est tombé dans une drôle d’impression d’improvisation et de consignes floues, mais d’où il aurait pu sortir après avoir joué 20 très bonnes minutes et inversé le scénario en menant 3-1 à dix minutes de la fin. Ce qu’en a dit Deschamps : « Ça fait mal, mais il faut l’accepter. C’est le football. On s’est souvent retrouvés du bon côté… » Tombée deux fois côté pile, la pièce est cette fois tombée du côté face.
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