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Le bilan tactique de l’Euro 2020

Par Maxime Brigand
11 minutes
Le bilan tactique de l’Euro 2020

Après un Euro qui s'est terminé dans le sens du jeu, l’heure est aux premiers bilans et aux enseignements tactiques d’une compétition marquée par plusieurs tendances, dont l’émergence de pistons de différents profils, mais aussi plusieurs promesses, de la grâce de Pedri à un Danemark qui a envoyé un message brillant.

L’équipe : l’Italie

Le jeu a toujours été au centre du projet, du pied du col à son sommet. Avant de défier l’Angleterre à Wembley en finale de cet Euro 2020, Roberto Mancini insistait ainsi sur son vœu le plus cher : « Demain, j’espère que l’équipe pourra à nouveau divertir les gens pendant 90 minutes… » Verdict ? Sur la dernière marche, et pour la première fois de la compétition, les Three Lions ont cédé sur un point jusqu’ici fil directeur de leur parcours : la mise sous silence de leurs adversaires. Dimanche, la Nazionale a su rapidement inverser le rapport d’une rencontre mal embarquée face à une Angleterre qui avait décidé de modifier sa structure – passage à un 5-2-3 qui permettait structurellement de prendre l’avantage sur la largeur face au 4-3-3 en phase défensive de l’Italie, ce qui a été récompensé par l’ouverture du score précoce de Luke Shaw (2e) -, mais qui n’a jamais pu en profiter sur la longueur de cette finale, faute de pouvoir conserver durablement le ballon (65% de taux de possession pour les hommes de Mancini sur la première période, 70% sur la seconde). Ainsi, l’Italie a rapidement pris le contrôle de la quatrième finale d’Euro de son histoire, n’a jamais laissé l’Angleterre avoir de réels temps forts et, après un premier acte où elle a avant tout vu son animation offensive reposer sur les exploits de Chiesa, a pu revenir au score grâce en partie à un changement décisif : la sortie d’Immobile, inadapté à jouer dans les petits espaces pour réaxer Insigne et ajouter ainsi de l’imprévisibilité à ses vagues. Au bout, peu de débat sur l’équilibre de ce sommet : 19 tirs à 6 pour l’Italie (6 tirs cadrés à 2) et 2,3xG(*) à 0,4 en faveur de la Nazionale.

Gênée par le rôle de Kane en première période (27 ballons touchés lors des 45 premières minutes, 19 sur les 75 suivantes), qui a pu rappeler – même si le rôle de l’attaquant de Kane a été bien différent – les galères connues face à Dani Olmo en demi-finales contre l’Espagne, la bande à Mancini a ensuite su sortir un cocktail de contre-pressing et de fautes tactiques au meilleur des moments, le génie de Gianluigi Donnarumma lors de la séance de tirs au but a fait le reste. Au bout, ce championnat d’Europe vient surtout récompenser une approche positive du jeu, une équipe à la fois agressive à la perte de balle (le but inscrit par Barella face à la Belgique en est le plus beau symbole) et qui sait faire évoluer sa structure en fonction des phases de jeu (4-3-3 en phase défensive, 3-2-5 en phase offensive) avec un Spinazzola symbole jusqu’à sa blessure lors des quarts de finale de tout ce que peut apporter un piston faux pied (ce qu’ont également démontré Joakim Maehle et Steven Zuber). Il vient surtout mettre des lauriers sur la tête d’une sélection qui joue aujourd’hui comme un club, et là est le principal succès de Roberto Mancini après ce championnat d’Europe, lui qui n’a, en plus, jamais vu son Italie perdre sa culture défensive malgré de grosses secousses connues face à l’Espagne dans le dernier carré. Co-meilleure attaque du tournoi (13 buts, à égalité avec l’Espagne), deuxième nation qui a le plus tenté sa chance (15,75 tirs/match) et propriétaire du roi des passe-clés (Marco Verratti, 14, qui fait également partie des meilleurs tacleurs), la Nazionale, tenue de bout en bout par un Jorginho qui, dans un monde idéal, pourrait entrer dans un débat pour le Ballon d’or, a remporté le deuxième Euro de son histoire en envoyant le meilleur des messages : cette fois, loin des éditions 2016 et 2018, le vainqueur d’un tournoi majeur de sélections pourrait laisser un héritage.


Le coup tactique : Dani Olmo en faux 9, le flair de Luis Enrique

Au moment de retenir un sommet tactique de cet Euro, le cas de la demi-finale entre l’Italie et l’Espagne ressort presque sans débat. Dramatique par son scénario, brillante techniquement, riche au niveau des plans de jeu, cette rencontre se rangera en haut du panier du championnat d’Europe et cela s’explique par une idée de Luis Enrique, qui a posé de brillantes bases sur le banc de la Roja en vue du Mondial 2022 : l’installation de Dani Olmo, régulièrement posé en pointe avec Leipzig, dans un rôle de faux 9 afin de priver Chiellini d’un adversaire direct (le roc italien venait de faire de Lukaku son goûter au tour précédent) et d’offrir des maux de tête à Jorginho. Alors qu’on se questionnait avant le match sur la bataille pour la possession, ce qui était vital pour une Espagne fragile sur de nombreuses séquences défensives, le match a rapidement tourné dans le sens voulu par le sélectionneur espagnol : la Roja a passé sa nuit avec le ballon (70% du temps) et Olmo a permis à son gang de créer une supériorité numérique face au trio Jorginho-Barella-Verratti, plaçant ainsi à de nombreuses reprises l’Italie sur un fil dangereux et le duo Laporte-Garcia en permanence face à des coéquipiers cibles (Laporte a trouvé Olmo 6 fois, Garcia 5 fois).

Avec le positionnement d’Olmo, Jorginho a souvent été entouré de deux menaces espagnoles – Pedri à sa droite, Olmo à sa gauche – et le milieu italien a été submergé à de nombreuses reprises.

Problème, si l’Italie a été noyée une bonne partie de la rencontre face aux prises orientées des créateurs espagnols et à la lecture de jeu impériale de Busquets, l’Espagne, également portée par un pressing millimétré, a vu la pièce tomber du mauvais côté (1-1, défaite aux tirs au but) par un manque de réalisme dans les deux surfaces qui aura été un fil rouge d’une compétition malgré tout venue confirmer deux choses : Luis Enrique vit dans la sphère haute des entraîneurs de son époque, et cette Espagne, tombée les armes à la main au terme de son meilleur match du tournoi, va être à suivre de très près.


Le sélectionneur : Kasper Hjulmand

Impossible de quitter cet Euro sans évoquer le Danemark, vrai soleil surprise de ce championnat d’Europe et qui laisse derrière lui un projet de jeu très riche, marqué par une grande polymorphie. Trois matchs doivent ici être rangés précieusement au fond des mémoires : le Danemark-Belgique (1-2), le Danemark-Russie (4-1) et le Danemark-Pays de Galles (4-0), trois rencontres qui ont vu les hommes de Kasper Hjulmand imposer leurs idées et jouer avec leur structure pour répondre aux différentes problématiques posées. Si l’Italie a ainsi constamment fait basculer son animation d’un 4-3-3 à un 3-2-5, le Danemark, de son côté, est sur plusieurs séquences passé d’un 3-4-2-1 à un 4-3-3 grâce à l’incursion au milieu d’Andreas Christensen, récent vainqueur de la Ligue des champions avec Chelsea, qui aura alterné entre les masques tout au long de la compétition, faisant ainsi parler sa capacité d’adaptation et de grandes qualités techniques. En variant les visages, Hjulmand a également pu permettre l’expression totale de plusieurs de ses couteaux : Joakim Maehle dans un rôle de piston faux pied souvent incontrôlable (4e plus gros dribbleur de l’Euro et 5e joueur qui a le plus touché de ballons dans un dernier tiers adverse, entre autres) ; Pierre-Emile Højbjerg dans celui du patron inébranlable, au passage auteur de 3 passes décisives, et qui aurait pu sans conteste entrer dans un débat pour être nommé joueur de la compétition si le Danemark était allé jusqu’en finale ; Mikkel Damsgaard, dans celui du créateur-déstabilisateur insouciant ; Jannik Vestergaad, qui a montré de belles qualités de relanceur et dont l’étiquette a probablement évolué avec cette compétition ; Martin Braithwaite, dont l’Euro a été plus qu’honorable malgré un faible réalisme… Cette équipe, visage du travail poussé depuis de nombreuses années par la fédération (il suffisait de voir les Espoirs danois lors du dernier championnat d’Europe de la catégorie), restera dans les mémoires pour tout ce qu’elle a traversé en début de compétition et toutes les émotions procurées. Là aussi, il faudra suivre son évolution lors des fenêtres internationales ainsi que celle de ses joueurs.

Symbole de la polymorphie du Danemark : face au pays de Galles, après avoir débuté en défenseur central excentré (à droite de Kjær)…

… Christensen va se retrouver à la base d’un milieu à trois au cours de la rencontre avec Delaney et Højberg. Ainsi, Damsgaard va se glisser dans le dos du milieu d’un pays de Galles organisé en 4-2-3-1, et la supériorité numérique va être rendue possible.


Cinq joueurs à retenir

Leonardo BonucciIl est tentant, ici, de rendre hommage à Giorgi Chiellini, qui aura su au cours de cet Euro faire parler sa science du placement pour mettre entre autres dans sa poche Romelu Lukaku, être le visage héroïque d’une sélection qui avait plus que jamais besoin de repères en matière d’expérience et dépasser sa fonction lorsque le jeu le demandait, notamment en finale. Mais il est peut-être aussi bon de saluer les performances de Leonardo Bonucci, qui aura souvent laissé les duels à son vieil ami pour se concentrer davantage sur son rôle de meneur de jeu reculé, ce qu’il aura parfaitement fait tout au long de la compétition. Arme redoutable pour casser le moindre pressing adverse, Bonucci, devenu dimanche à 34 ans le plus vieux buteur d’une finale d’Euro au terme d’une saison compliquée en club, a été un appui précieux pour faire respirer son équipe (il a tenté 154 passes longues sur la compétition – un record pour un joueur de champ – pour 109 réussies, dont une clinique pour Berardi à la 73e minute de la finale qui aurait pu être décisive) et sort de ce tournoi en référence du cassage de lignes en compagnie d’Aymeric Laporte, prince du domaine.

Exemple en finale : non pressé, Bonucci peut tirer sa flèche et trouver Chiesa, même pas à l’écran, pour rapidement faire basculer l’Italie dans le dernier tiers adverse.

Pedri Il se murmure que les performances de ce gamin n’ont pas de sens. C’est aussi ce qu’en dit son sélectionneur, Luis Enrique, venu souffler ceci après la défaite en demi-finales face à l’Italie : « Est-ce que quelqu’un a remarqué l’Euro réalisé par un garçon de 18 ans nommé Pedri ? Je n’ai jamais vu personne jouer ainsi à cet âge à l’Euro, la Coupe du monde ou aux JO. Pas même Andrés Iniesta. C’est quelque chose qui dépasse toute logique. » Difficile de ne pas aller dans le sens du boss de la Roja. À peine majeur, Pedri a marché sur cet Euro et a renversé la majorité des rayons statistiques en étant l’un des joueurs les plus influents dans les derniers tiers adverses, les plus impliqués dans la création d’occasions, les plus ciblés par les adversaires (13 fautes subies). Le prodige du Barça est en plus monté en puissance dans les grandes ascensions, sortant au passage sa plus belle copie lors de sa demi-finale (une passe ratée en 120 minutes) et livrant un modèle de lecture de jeu, mais aussi de personnalité. Pour admirer Pedri, il faut décrocher du ballon et le regarder faire parler sa fréquence d’observation, son orientation du corps, puis, une fois qu’il l’a dans les pieds, le voir enclencher le tempo tout en conduisant en permanence son meilleur ami de l’extérieur du pied. Sa force est de ne jamais se déconnecter du jeu, de presser, puis de toujours lâcher le ballon au bon moment. Cadeau, ses qualités ont été magnifiées au cours du tournoi par des joueurs capables de faire fructifier chaque bon déplacement (Laporte et Busquets en tête). La décennie qui arrive sera la sienne, c’était une supposition, c’est désormais une certitude.

Federico Chiesa Il a commencé la compétition sur le banc, Mancini lui préférant dans un premier temps un Domenico Berardi dont la palette est pourtant plus lisible. Puis, Federico Chiesa a pointé le bout de son nez, et l’Italie a progressivement pu profiter d’un joueur au talent simple : ce type fait peur. Joueur imprévisible à la qualité de course remarquable, Chiesa a su être décisif face à l’Autriche et à l’Espagne, en étant une menace constante dans la profondeur et en appuyant pour de bon son nouveau statut : celui d’un gosse qui fait le lien entre les différentes générations du football italien et qui aura sans doute été le meilleur élément offensif de la Nazionale sur cet Euro. Declan RiceL’histoire de l’Euro anglais a été celle d’un bouclier solide, qui a progressivement accepté de se fissurer – un peu, pas trop quand même – une fois la phase de poules passée et dont on ne retient probablement finalement pas grand-chose, si ce n’est les quelques fulgurances d’un Raheem Sterling meilleur dribbleur de la compétition. Le problème de l’approche de Gareth Southgate pour ce tournoi réside ici : à chercher la maîtrise constante en souhaitant minimiser ses pertes plutôt que maximiser ses gains, la victoire est impérative au risque de ne pas laisser grand-chose dans les mémoires. À ce petit jeu, un homme a malgré tout assemblé quelques promesses en étant le Moussa Sissoko 2016 de cette finale de l’Euro 2020 : Declan Rice (West Ham, 22 ans) et homme de base de Southgate tout au long du mois de juin, a longtemps été impérial au cours de la finale et a largement contribué à la domination physique anglaise du premier acte. À revoir, en 2022, avec encore plus d’expérience à la ceinture, lui qui comme Kalvin Phillips n’est qu’au début de son voyage professionnel. Mikkel DamsgaardPour cet éclair face à la Russie, ce bijou contre l’Angleterre et pour tous les bonbons qu’il a distribués sur son parcours. Mais aussi, parce que Mikkel Damsgaard est rassurant : oui, on peut être un héros avec une calvitie lorsqu’on a 21 ans.

Le XI type (3-5-2) :Donnarumma – Walker, Bonucci, Chiellini – Chiesa, Højbjerg, Jorginho, Pedri, Spinazzola – Sterling, Schick.


(*) expected goals.

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