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Le Barça à la poursuite de l’Histoire
L’adoration pour un FC Barcelone incandescent est peut-être née ce jour de mai 2009 à Stamford Bridge où Iniesta avait arraché une qualification imméritée dans l’extra-time. Comment ce sentiment de haine qu’on sent monter depuis à l’égard des Catalans, à force de succès plus ou moins probants…
Bon, avant, il y avait déjà du passif : le clash de 2005 (en 8e) où José Mourinho avait ruiné la carrière d’Anders Frisk, l’arbitre de l’aller, d’une paire de phrases définitives (qualification de Chelsea) ; revanche l’année d’après pour les Blaugranas, au même stade de la compet’, avec Del Horno en guise de boucher sur un Messi à peine sorti de l’adolescence et le Spécial ‘Oim – toujours bon perdant – qui incendie alentour : « Barcelone est une ville très culturelle avec beaucoup de grands théâtres et Lionel Messi a bien appris. Il est devenu un excellent acteur ! Je ne veux pas en dire plus car je risque d’être suspendu » . Et puis, il y a le 6 mai 2009. Auparavant, et même en dépit de la victoire de 2006 avec Rijkaard aux manettes, on imaginait mal le Barça instaurer une dynastie. Après la demi-finale retour d’il y a trois ans à Stamford Bridge (1-1) : sa dramaturgie shakespearienne, ses penalties refusés (fantasmés ou avérés), l’égalisation d’Iniesta dans l’extra-time et la « fucking disgrace » de Drogba, c’est devenu une réalité plus ou moins tangible…
Depuis lors, le 6 mai 2009 est devenu une sorte de matrice dans l’existence du FC Barcelone. L’extrait de naissance de l’ère Guardiola, une ode à l’excellence, pour les uns. La détestation d’un club faussement modeste, avantagé par les arbitres (et donc l’UEFA), dépositaire quasi-exclusif du beau jeu, à destination de ceux qui n’aiment le foot que de loin, pour les autres. Une ligne de fracture abyssale que les succès à répétition des Catalans n’ont fait que renforcer. Depuis lors, le Barça doit jouer SA finale annuelle de Champions : Barça-Manchester United (2009), Barça-Bayern (avortée, la faute de l’Inter de… Mourinho), Barça-MU (la revanche, 2011) et forcément, Barça-Real (pour cette fois). Même les contempteurs des champions d’Europe veulent voir ça, au motif qu’il n’existe rien de mieux que Don José et ses Merengues pour faire mordre la poussière aux tenants. La période est au « tout sauf… » : Barcelone, Sarkozy, PSG…
D’Unicef à la Qatar Foundation
Cela ne date pas d’hier : Ali, Tyson (boxe), Béziers (rugby), le Merckxisme (tendance Eddy), Indurain, Armstrong (cyclisme), Schumacher (F1), Nadal (à Roland-Garros)… Chaque époque est persuadé de tenir le « meilleur footballeur, pilote, cycliste (rayez les mentions inutiles) » en même temps qu’il souhaite sa chute. Thuriféraire ou détracteur, il faut choisir son camp. De ce point de vue binaire, le club de Carles Puyol attise le feu. Par son jeu, d’abord et avant tout. Géométrie des passes, contrôles adhésifs, sens quasi-liturgique du collectif et un Messi comme ange tutélaire, à la fois soliste et chef de l’orchestre. Par la surenchère de superlatifs des adorateurs de culé et des fans de fans de la dernière heure… Le Barça incarne en simultané le fantasme absolu d’un football intemporel (son jeu, ses anti-héros, son coach stratège, sa politique de formation, son histoire – surtout depuis 1988) et la vision d’un sport mondialisé consumériste (de Cracovie à Montevideo via Kuala Lumpur, on se passionne pour les clasicos ibériques), lisse, où l’évitement est roi. Moins de tacles, peu de contacts, avec lui, le football n’est plus du tout un sport de combat. Et l’UEFA de se réjouir de cet ambassadeur de choix…
Le FC Barcelone gave aussi pas mal de monde par sa vision unilatérale d’un foot offensif à tout crin. Comme s’il était la seule voie à suivre : l’AC Milan – entre autres – de Capello lui avait rappelé en 1994 qu’il ne suffisait pas d’être les plus beaux et les plus talentueux (0-4 en finale de C1) pour être champions d’Europe. S’il n’a pas toujours été cette formidable machine à remixer le football total (quelques bouchers comme Migueli, Abelardo peuvent en attester), le Barça l’a toujours ramené sur la ‘catalanité’, sur sa probité (l’absence de pub sur son maillot) et sur sa formation (une récente étude internationale a prouvé que le Real était le club qui formait le plus de joueurs pro en Europe). En troquant Joan Laporta pour Sandro Rosell à l’été 2010, il semble être entré dans une autre ère, presque madrilène quant au développement de la marque. On est passé de l’hypocrisie Unicef à la Qatar Foundation. L’ancien directeur de Nike pour l’Amérique du Sud est plus ‘ouvert’ aux contingences internationales d’une multinationale du loisir…
Accéder à l’aristocratie
Cette saison, le Barça a connu quelques failles tectoniques. De vilaines blessures (Villa, la tumeur d’Abidal…), l’érosion du pouvoir (ses 10 points de retard sur le Real à un moment donné), des performances moins spatiales… Rien de bien grave pour l’instant, mais l’opposition est là, prête à mordre, à en découdre. Sans compter sur tous ceux qui crient à l’injustice (les apôtres de Mourinho mais pas qu’eux…) vis-à-vis de l’arbitrage. Les déclarations sibyllines du référé norvégien, Henning Ovrebo, du Chelsea-Barça de mai 2009, dans le Times de ce matin ne vont pas manquer d’attiser quelques braises : « Ceux qui connaissent les règles savent que les choses auraient dû se passer autrement ce soir–là, mais ça fait partie de la vie d’un arbitre » . Les paranoïaques y verront le bras sournois et armé de l’UEFA, les autres l’avantage inconscient du droit du plus fort, du nom du film de cet immense footballeur allemand des 70’s qu’était Rainer-Werner Fassbinder… Mais on ne gagne pas aussi longtemps, avec une telle maestria, avec cette prime céleste du vingt-troisième homme.
Peut-être que cette saison, les Catalans peinent à s’arracher contre les petites équipes de Liga mais ils sont encore en course pour les trois titres majeurs. Ils sont à une charnière. Savoir quelle place l’Histoire leur réservera. Comme Messi ne pourra être considéré (sauf pour ceux qui n’y connaissent rien) comme le meilleur joueur de tous les temps sans une performance de (très) gros calibre avec l’Albiceleste, le FC Barcelone ne pourra accéder à l’aristocratie des plus grands clubs (la Maquina de River des 40’s, le Real de Di Stefano, le Santos de Pelé, l’Ajax de Cruyff, le Liverpool des 70’s et le Milan du Basten) qu’en réalisant un back-to-back. Un truc qu’on n’a vu qu’une fois en trente-deux ans (les Rossoneri de Sacchi en 89/90). C’est le prix à payer et ça commence ce soir à Stamford Bridge pour confondre tout le monde…
Par Rico Rizzitelli