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Le ballon sous dépression

Par Maxime Feuillet
Le ballon sous dépression

L’attaquant brésilien Nilmar a récemment annoncé mettre sa carrière professionnelle entre parenthèses pour guérir d’une dépression dont il souffre depuis un an et demi. Une maladie largement répandue dans le milieu du football professionnel qui reste un sujet tabou dans les vestiaires.

Les supporters lyonnais se souviennent de lui pour cet accrochage avec Heurelho Gomes, un soir d’avril 2005 en quarts de finale de C1 contre le PSV Eindhoven, entré à jamais dans l’histoire et la légende de l’OL. Arrivé à Lyon à vingt ans avec l’étiquette de futur crack du football brésilien collée à ses basques, Nilmar n’a jamais su confirmer les espoirs placés en lui, laissant sa carrière dériver au fil des allers-retours entre le championnat auriverde et les pays du Golfe. Après plus d’un an et demi passé sans jouer avec son club d’Al-Nasr à Dubaï, Nilmar a décidé de retourner dans son pays natal cet été, à Santos, pour tenter de se relancer. Mais après seulement 39 minutes de jeu cumulées en deux mois, l’ex-attaquant international, aujourd’hui âgé de 33 ans, a fait savoir à ses dirigeants qu’il souffrait d’une dépression et qu’il désirait ainsi suspendre pour une durée indéterminée le contrat qui le liait au club. Une annonce courageuse tant les questions propres à cette pathologie sont d’ordinaire soigneusement évitées par le monde du ballon rond.

600 facteurs identifiés

Si l’attaquant brésilien traverse une période difficile, sa situation n’a pourtant rien d’un cas isolé dans le football professionnel. Une étude menée par la FIFPro, Fédération internationale des footballeurs professionnels, en 2015, révèle que 38% des joueurs seront confrontés, au cours de leur carrière, à une période de dépression et de mal-être (sur un panel de 607 footballeurs sondés). Plus d’un tiers des footeux seraient donc susceptibles de connaître des phases dépressives pendant ou après leur carrière. Un constat alarmant lorsqu’on découvre que ces pépins psychologiques ne touchent en moyenne « que » 13 % de la population totale. Pourquoi les joueurs sont-ils plus touchés par ce fléau que la moyenne ?

Le Dr Vincent Gouttebarge, chef médical de la FIFPro, en charge de l’étude citée, apporte un début de réponse : « Plusieurs facteurs jouent un rôle dans l’occurrence des troubles psychologiques. Les footballeurs sont des êtres humains comme les autres avec leur personnalité, leur caractère et peuvent être amenés à faire face à des problèmes relationnels, à des deuils comme tout le monde. Mais le milieu du sport professionnel contient aussi des facteurs spécifiques qui peuvent entraîner des troubles psychologiques. Plus de 600 facteurs ont ainsi été identifiés, comme les conflits avec l’entraîneur, avec des coéquipiers, les blessures graves, des mauvaises conditions de travail, la pression du résultat, des médias, du public… »

« À certains moments, tu n’as même plus envie de jouer »

Autant de facteurs qui poussent certains footballeurs à craquer et à lâcher prise. Gianluigi Buffon, Sébastian Deisler, Emmanuel Éboué, Stan Collymore et plus récemment Aaron Lennon, le phénomène n’épargne aucun pays, aucun championnat. Si la plupart de ces joueurs, à l’image de Nilmar, ont décidé de prendre du recul avec le ballon rond pour vaincre leurs démons, d’autres comme Robert Enke, Andreas Biermann ou Gary Speed n’ont pas imaginé d’autres issues possibles que celle du suicide. En France, l’ancien Rennais Guillaume Borne est sorti vainqueur de son match contre la dépression.

Retraité prématurément des terrains, il revient aujourd’hui sur cet épisode douloureux : « À un moment donné, je n’étais plus capable d’entendre des critiques, je n’arrivais pas à m’en relever. Je n’ai pas supporté qu’on me dise telle et telle chose et je me suis renfermé sur moi-même. Après, c’est un cercle vicieux. On baisse la tête et on ne s’en remet pas. » Et les performances de l’ex-international U19, sujet à de nombreuses crises d’angoisses, déclinent sur le terrain : « À certains moments, tu n’as même plus envie de jouer. Tu ressens de l’appréhension, tu as des pensées négatives lorsqu’un match commence, tu as peur de faire des boulettes. On se dit que ça va passer, mais ça reste. »

Un sujet tabou, difficile à extérioriser

En difficulté sur les pelouses hexagonales, Borne ne se sent alors pas pleinement soutenu par le club breton, qui semble ne pas remarquer la mauvaise passe que traverse son défenseur. Mais le joueur continue de garder son mal-être pour lui : « Tu n’en parles pas parce que tu as peur de passer pour le faible, le fragile dans l’intimité du vestiaire et donc de perdre ta place. Tu ne peux pas montrer tes faiblesses dans le vestiaire. C’est un milieu où il y a beaucoup de concurrence et d’ego. » Un silence tout sauf utile pour le Dr Vincent Gouttebarge, ancien footballeur professionnel passé par Auxerre et les Pays-Bas : « Le joueur de football professionnel a cette idée un peu irrationnelle qui veut que parler d’une dépression pourrait diminuer son aptitude à donner une performance maximale sur le terrain ou pire, mettre fin à sa carrière. Alors qu’il parlerait sans problème de sa blessure au genou ou à la cheville. Les problèmes psychologiques sont encore tabous dans le football. »

Si les joueurs gardent le silence, c’est aussi vis-à-vis des supporters. Guillaume Borne : « On est footballeur, on a de belles maisons, de belles compagnes, on gagne bien notre vie, alors que ce n’est pas toujours le cas pour les supporters. Tu ne te vois pas leur évoquer ton mal-être, leur dire que tu n’es pas bien, alors que pour eux, tu as une vie de rêve. » Souvent discrets sur ces pépins psychologiques, les joueurs ne comptent pas forcément non plus sur les clubs, longtemps restés bien à l’écart de ces questions de santé mentale. « De nos jours, c’est de plus en plus pris au sérieux, mais à mon époque entre 2007 et 2009, on n’en parlait pas. Si tu n’étais pas assez fort mentalement, ils se concentraient sur un autre joueur » , poursuit l’ancien Rennais. Des propos corroborés par le Dr Gouttebarge : « Les clubs pensent à une seule chose : le bien-être des joueurs à court terme de manière à maximaliser leurs performances. La santé des joueurs au long terme ne compte pas autant, donc tout le suivi psychologique qui est en place dans les clubs est tourné vers la performance et non pas vers le développement d’un joueur, d’un homme sur le long terme. »

Une approche médicale plus poussée

Mais la donne commence à changer. En Angleterre, la PFA (Professional Footballers’ Association, le syndicat des joueurs pros) échange, par la voix de son président Michael Bennett, avec les clubs pour les sensibiliser à ces questions d’ordre psychologique. Le football allemand, profondément marqué par le suicide du portier international Robert Enke en 2009, a très vite réagi et chaque club de Bundesliga possède aujourd’hui un psychologue dans son staff médical. Dans l’Hexagone, les choses évoluent plus timidement. « Tous les clubs pros ont mis en place des cellules psychologiques dans leurs centres de formation avec des bilans effectués au minimum une fois par an, témoigne le Dr Emmanuel Orhant, président de l’association des clubs et directeur médical de la FFF. En ce qui concerne les joueurs pros, c’est au bon vouloir de chaque club. »

Et chaque équipe a sa propre méthode pour traiter ce sujet. Certains font appel à des psychologues extérieurs pour effectuer un vrai suivi sur les joueurs, quand d’autres préfèrent gérer en interne avec le réseau de spécialistes du médecin du club. « Lorsque j’étais à l’OL, chaque matin, sur une application, les joueurs répondaient à un questionnaire sur leur état de fatigue, de stress, indique Emmanuel Orhant. On les questionnait aussi avant et après l’entraînement pour savoir comment ça allait, s’ils avaient des problèmes particuliers. Et si on observait que le joueur était dans une mauvaise passe, qu’il était trop négatif, on mettait en place un suivi psychiatrique. Je travaillais avec une clinique spécialisée qui pouvait recevoir nos joueurs en urgence. J’ai été amené à utiliser ce réseau plusieurs fois, les joueurs rentraient par la porte de derrière. Cela s’est toujours bien passé. »

Espaces d’écoute et suivis psychologiques

Pour le Dr Franck Le Gall, passé par le LOSC et qui officie aujourd’hui à l’OM et chez les Bleus, la donne est différente : « Dans les clubs où je suis passé, il n’y a pas de suivi particulier. En revanche, avec tous les gens du staff, on est assez d’observateurs pour se dire « Tiens, celui-ci est moins bien. Ça mérite qu’on aille lui parler », mais je n’ai jamais vu un joueur suffisamment dans le trou au point de devoir aller voir un spécialiste. »

Si les approches diffèrent, chaque club propose néanmoins des espaces d’écoute et des suivis psychologiques à disposition des joueurs qui peuvent être ainsi moins tentés de garder leurs problèmes pour eux. Emmanuel Orhant : « Quand vous n’êtes vraiment pas bien le matin, vous êtes devant votre miroir et si vous ne voulez en parler à personne, que vous ne voulez pas aller voir votre médecin, libre à vous. Nous, médecins de clubs, avec les données que nous avons, les observations qu’on effectue, on va chercher l’information. On ne va donc pas laisser un joueur sur le bord de la route. C’est un problème qu’on a vraiment pris en compte. »

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