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  • Il y a 40 ans, la Coupe du monde 1966

Le ballon perdu de 1966

Par Côme Tessier
5 minutes
Le ballon perdu de 1966

Pendant 30 ans, Helmut Haller a détenu le ballon le plus célèbre de l'histoire, celui de la finale du Mondial 1966, un Angleterre-Allemagne. Une boule ronde, de cuir, orange, cachée tout ce temps dans sa cave familiale. Un trophée, ou le souvenir d'un match, d'une défaite, d'une époque. Celle des ballons rares et précieux.

La finale du Mondial 1966 entre l’Angleterre et l’Allemagne est restée mythique pour un débat, qui ne pourra jamais être véritablement tranché en dehors de la table de score officielle : y a but ou y a pas but sur cette frappe de Geoffrey Hurst ? Pour l’arbitre central, rien n’est certain. L’arbitre de touche Tofik Bakhramov prend ses responsabilités et indique que le ballon est rentré. L’Allemagne est menée dans cette prolongation. L’Allemagne ne reviendra pas, et l’Angleterre gagne sa première – et seule à ce jour – Coupe du monde, dans son stade, devant son public. Mais ce même ballon est au cœur d’une longue histoire, d’une longue recherche qui court sur trente ans : que devient-il après le match ? Qui l’a pris ? Où ? Et pourquoi ? Car Geoffrey Hurst, malgré la tradition après un triplé, repart avec la Coupe du monde, mais pas de balle orange. Côté anglais, personne n’a la tête à ça. « C’était la dernière chose que j’avais en tête » , estime Bobby Charlton auprès du Mirror des années après. Les joueurs célèbrent, c’est l’occasion idéale pour se faire la malle avec. Le coupable est bien sûr allemand. Il s’appelle Helmut Haller, milieu de terrain de la Nationalmannschaft, et auteur du premier but de cette finale 1966.

Haller, voleur !

« Il voulait un souvenir de cet événement. » Son fils, Jürgen Haller, raconte 50 années plus tard l’histoire avec une certaine bonne humeur. « Il voulait quelque chose de cette finale, quelque chose qui puisse être comme un mémorial. Après avoir marqué le premier but, il s’est dit que ce serait le ballon. » Helmut Haller a une autre excuse pour son « vol » : c’est un cadeau pour son fils, Jürgen, pour son 5e anniversaire. « Effectivement, je suis né un 31 août. » La finale a lieu le 30 juillet. L’alibi tient la route. Plus tard, quand un journaliste du Mirror lui pose la question, il explique aussi qu’une vieille tradition allemande permet au perdant de repartir avec la balle, puisque le vainqueur a la coupe. Bref : toutes les excuses sont bonnes. Alors, quand M. Dienst siffle la fin des 120 minutes de jeu, Haller se précipite sur son objectif et ne le lâche plus. Lorsque l’équipe d’Allemagne est invitée à saluer la reine dans les tribunes, Haller y va avec le ballon sous le bras. Et après tout, ce jour-là, personne ne lui demande de comptes. C’est plutôt lui qui demande aux grands joueurs présents, dont Pelé, d’apposer une signature sur le souvenir. Emballé, c’est pesé, le précieux trouve donc sa place à Augsburg, la petite ville dont est originaire le joueur.

C’était un ballon qui avait beaucoup trop de valeur, et j’avais le choix.

En Bavière, la balle orange a une vie paisible. Elle est peu utilisée. Au début, le petit Jürgen n’est pas très football. À 7/8 ans, il commence à tâter des terrains – et fera une honnête carrière dans le monde amateur. Mais même là, la boule de cuir estampillée 66 reste dans son coin. « Je ne jouais pas souvent avec, confie Jürgen Haller aujourd’hui. C’était un ballon qui avait beaucoup trop de valeur, et j’avais le choix avec beaucoup d’autres ballons d’autres matchs. » En fait, même s’il reste là, dans un coin de cave, le ballon tombe dans l’oubli. « Mon père n’en parlait pas beaucoup, ce n’était pas un sujet de conversation. » Tout le monde oublie jusqu’à l’existence de la relique. Quand on demande à Sir Bobby Charlton en 1996 ce qu’il en pense, il avoue n’en avoir que faire : « Cela n’a pas trop perturbé mon sommeil. Je n’y ai pas beaucoup pensé ces trente dernières années. » Mais soudainement, le ballon revient sur la table. En 1996, justement, sans le moindre hasard quant à la date.

Un Euro, des heureux

L’explication est simple : trente ans après le vol de Wembley, les Anglais s’apprêtent à revivre un événement footballistique sur leur sol. Entre-temps, l’équipe nationale n’a guère brillé. Au contraire. Il manque décidément quelque chose pour rayonner sur le monde. L’idée se propage que le ballon de 66 pourrait être la cure de jouvence du football anglais. Jürgen Haller, aux premières loges de la quête, le dit à sa manière : « Les Anglais sont très superstitieux, cela semblait important pour eux. » Un appel national est lancé : il faut ramener cette balle sur le territoire. Les tabloïds se mettent sur sa piste. Ils arrivent enfin jusqu’à Augsburg et la maison d’Helmut Haller, alors âgé de 56 ans. Jürgen Haller incite son père à admettre que le ballon est toujours en sa possession, mais pas à n’importe qui. « Il y avait deux personnes, un journaliste duMirroret un représentant duSun. Ces derniers ne se sont pas bien comportés avec nous. Ils ne voulaient qu’une chose : voler le ballon. » C’est donc le Mirror qui remporte la mise, avec l’aide de Richard Branson et de l’Eurostar pour l’aspect financier. Le ballon est acheté par les trois partenaires, pour un montant « sous les 100 000 euros » , mais pour lequel Jürgen Haller souhaite rester discret.

Peter Allen, dans les colonnes du Daily Mirror, raconte à l’époque sa rencontre avec l’ancien international allemand. Il parle d’un homme qui sort le ballon comme un prestidigitateur. Et seulement pour les grandes occasions. L’Euro 96 en est une autre. Le Mirror raconte la réaction finale d’Helmut Haller à l’époque : « Je veux montrer cette balle au monde au meilleur des moments. Ce moment n’arrivera que lorsque je serai sur le sol anglais. » Le 26 avril 1996, Helmut Haller prend l’avion et remet la fameuse boule de cuir à Hurst, trente ans après. Le consortium Mirror-Virgin-Eurostar se retrouve avec un ballon sous le bras, sans trop savoir qu’en faire. En 2001, il trouve sa place au nouveau musée national du football de Preston, pour son ouverture, et le suit jusqu’à Manchester. Enfin, il a fini sa course folle. « C’est sa place, derrière une vitrine » , concède sans regret Jürgen Haller, qui ne verra probablement pas son ancien jouet cet été pour l’exposition des 50 ans de la World Cup 66, mais qui avoue avoir envie de le revoir une dernière fois, un jour prochain. « Quand je serai à la retraite et que je visiterai l’Angleterre. » Pendant ce temps, le ballon n’a pas changé grand-chose au succès des Three Lions : en 96, l’Allemagne a perdu une balle, mais elle a gagné l’Euro.

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