- Ballon d'or 2022
Le Ballon d’or du peuple, mais aussi pour le peuple
La formule a fait mouche : « le Ballon d’or du peuple ». Sûrement préparée, elle participe à construire la nouvelle image d’un Karim Benzema plus sage et rassembleur, incarnation d’un « vrai foot » issu de la rue face à des instances et des institutions, voire des médias, qui ont été souvent cruels avec lui. Et si, grâce à lui, cette fort belle expression prenait finalement sens et corps ?
Karim Benzema était en mission ce lundi soir. Ce Ballon d’or venait couronner son retour en grâce, devant Didier Deschamps et Noël Le Graët pour lesquels il n’a eu aucun mot. L’attribution de ce Ballon d’or, à ce joueur français et si symbolique par son parcours, permettait à ce prix, de plus en plus contesté, de se racheter auprès de l’opinion (on passera sous silence pudiquement celui de Leo Messi l’an dernier). Pour prolonger cette démarche, un prix Sócrates a d’abord été attribué à Sadio Mané en raison de ses actions caritatives au Sénégal, illustration d’un engagement « acceptable » par le système dominant du « foot » . Heureusement, Rai a souligné la véritable postérité de son frère de ce point de vue, à travers un appel limpide en faveur du vote Lula au Brésil. C’est donc peu dire que, dans un contexte où tous les regards et les oreilles sont tournés vers la prise de parole des joueurs, la punchline de Karim Benzema a immédiatement fait mouche, en particulier sur les réseaux sociaux. Presque trop calibrée au bon moment.
Benzema : « Il n’y a rien de politique »
L’attaquant du Real s’est d’ailleurs immédiatement exprimé afin de contrer toute éventuelle récupération : « Il n’y a rien de politique. C’est juste une référence par rapport à d’où je viens, à tous mes fans qui m’ont soutenu à chaque instant, même dans les moments difficiles. J’ai envie de partager ce trophée avec eux parce que j’aime le partage et qu’ils le méritent. » Bref, la simple continuité du talentueux attaquant qui pense d’abord à l’équipe, compliment qui a été seriné toute la soirée… Il avait raison de se prémunir car, par exemple, Amnesty International avait immédiatement dégainé un tweet demandant à Benzema de se positionner sur le Qatar. Fidèle à sa ligne de conduite, l’ONG n’exige pas le boycott, mais que les joueurs usent sur place de leur aura pour faire plier le pays organisateur et la FIFA.
.@Benzema, après le Ballon d’or, la prochaine étape c’est le #qatar2022.Votre parole aussi vaut de l’or : défendez publiquement les droits des travailleurs migrants au Qatar.ET demandez à la @FFF de respecter les droits de ces personnes.https://t.co/NGsPcWgzL2
— Amnesty International France (@amnestyfrance) October 17, 2022
On comprend évidemment les précautions de l’enfant de Bron, dont les polémiques passées (la sincérité de son attachement à la France, ou encore l’affaire de la sextape, en oubliant trop souvent par exemple son exemplarité fiscale) n’ont cessé de venir égratigner la stature indéniable que lui conférait la vérité du terrain. Sa volonté d’incarner finalement ce foot « du peuple » , trop souvent masqué ou ignoré, implique toutefois certaines responsabilités. Surtout quand le président de la République vous honore de deux tweets élogieux.
KB9 ! ??
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) October 17, 2022
Deux lettres et un chiffre qui resteront dans l’histoire du football. 24 ans après Zidane, Karim @Benzema ramène un nouveau Ballon d’or à la France. Félicitations à lui ! https://t.co/Y8bCJTfLVm
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) October 17, 2022
Karim Benzema, au nom justement de ce peuple du football auquel il doit tant – sa famille, son quartier, son entourage, ses fans, pourrait rappeler, vu les débats qui secouent actuellement l’Hexagone, à Emmanuel Macron, alors candidat, ses propos en 2016 dans une interview au Bondy Blog : « Je dis juste qu’on a su le faire dans le football, parce qu’il y a eu du pragmatisme. Avec les centres de formation, les clubs ont embauché des jeunes de ces quartiers sans se soucier d’où ils venaient tout simplement parce qu’ils étaient les meilleurs au ballon. On a fait pareil avec les comiques. Pourquoi ce serait interdit dans le monde de l’entreprise ? » La nouvelle gloire nationale pourrait aussi utiliser son nouveau statut pour remettre la FFF devant ses devoirs, sa charge, envers un foot amateur laissé à l’abandon et en souffrance. Le peuple du foot, lui, a besoin de davantage que d’un Ballon d’or.
Par Nicolas Kssis-Martov