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Le ballet de Mourinho
Il y a huit ans, Roman Abramovitch et José Mourinho se quittaient un soir d'Europe, dans les couloirs de Stamford Bridge. Depuis, le Portugais est revenu, a remporté un nouveau titre, mais s'est écroulé aussi. Il trébuche pour la première fois de sa carrière dans de telles proportions. Ce n'est pas une leçon de tactique, c'est une leçon de gestion. Jusqu'à quand ?
Treize questions en cinquante-trois secondes. Cinquante-sept mots. Chaque geste est scruté, analysé, décortiqué. Face aux journalistes et caméras, il est mutique. Des mots comptés et quelques piques vers l’arbitrage. Rien de plus. « Je n’ai rien à dire. (…) Et vous, qu’en pensez-vous ? Avez-vous vu le match ? Vous n’êtes pas poursuivi par la FA, vous. Si je vous dis ce que je pense, je le serai. Encore. » Non, José Mourinho n’a pas changé. Son Chelsea, en revanche, marche lentement sur les cendres d’un titre accroché en mai dernier et trop vite consumé. En championnat, les Blues ont déjà abattu six cartes en onze sorties. Six défaites. Déjà deux fois plus que lors de toute la saison dernière. Le tout ajouté à un revers à Porto en Europe et à une élimination cette semaine à Stoke, en Coupe de la Ligue. Jamais dans la carrière de Mourinho, l’homme n’avait été autant bousculé, fragilisé. Depuis son arrivée sur le banc à Porto en 2002, jamais le Portugais n’avait été aussi mal classé après onze journées d’un championnat. Nous sommes le 2 novembre, le Chelsea FC est quinzième de Premier League.
L’homme sans colonne
Dans la chute des Londoniens, il y a deux phases. La première est sportive et statistique. Il y a cinq mois, alors que Stamford Bridge fêtait le cinquième titre de l’histoire du club – le troisième avec Mourinho -, le constat était unanime : Chelsea avait la colonne vertébrale la plus cohérente et l’effectif le plus complet d’Angleterre. L’an passé, l’équipe n’a jamais été aussi forte qu’avec sa ligne directrice Courtois-Cahill-Matić-Oscar-Costa. Matić ratissait quand Fàbregas organisait. Oscar distillait quand Hazard perforait. Costa était une arme plutôt qu’un poids. Terry et Cahill, une muraille plutôt qu’une réplique ratée. Aujourd’hui, Chelsea est la deuxième plus mauvaise défense de Premier League (22 buts encaissés). L’an passé, à pareille époque, le club avait encaissé deux fois moins de buts, avait remporté neuf de ses onze rencontres et était encore invaincu.
Plusieurs questions se posent maintenant : comment une équipe aussi agréable à voir jouer la saison dernière est devenue aussi indigente ? Il y a d’abord ce recrutement estival, raté car inexistant. Seul Pedro a laissé apparaître des promesses, mais son physique d’allumette l’a rattrapé. Pire, Chelsea s’est affaibli et a vu ses concurrents se renforcer à coups de millions. Car en face, Manchester City n’a jamais paru aussi fort, et Arsenal rarement aussi en confiance. L’autre question est plus complexe : Chelsea gagnerait-il à se séparer de José Mourinho ? En 2007, lors de leur première rupture, le club et l’entraîneur s’étaient séparés un soir de Ligue des champions, davantage pour des raisons personnelles que sportives. On était en septembre, le club avait remporté trois de ses cinq rencontres, mais José n’était plus heureux.
Docteur Jekyll et Mr Hyde
Aujourd’hui, la donne est différente. Mourinho est impuissant car, pour l’une des premières fois de ses travaux, l’homme semble ne pas avoir la solution pour redonner confiance à un effectif déséquilibré, au schéma bancal et au génie perdu. Samedi contre Liverpool, Roman Abramovitch n’était pas sur son siège. Il n’était même pas à Stamford Bridge, où les marques de soutien à l’égard de Mourinho se sont multipliées. Reste que virer Mourinho coûterait très cher. De plus, le marché n’offre pas forcément une meilleure alternative, pour le moment, Ancelotti ne donnant aucun signe de retour sur un banc.
Le propriétaire des Blues, lui, est un homme qui parle peu. Pour la première fois, le 5 octobre dernier, un vote de confiance a eu lieu concernant l’avenir de Mourinho lors du conseil d’administration du club. Oui, Abramovitch aime José Mourinho. Le Portugais a été le bâtisseur de ses rêves, celui qui a ramené le premier titre de champion d’Angleterre à Chelsea seulement onze mois après son arrivée dans le Royaume. Le coach avait alors ses hommes de main : Čech, Terry, Lampard, Drogba. C’était sa colonne de l’époque. Terry est aujourd’hui le seul survivant d’une époque destructrice où trouver un homme de club devient un challenge impossible. L’une des raisons de la chute du géant Chelsea se situe certainement dans ce détail. S’ils ne jouaient plus beaucoup, Didier Drogba et Petr Čech étaient des symboles, des voix qu’on écoutait dans le vestiaire. Leur départ a laissé seul Mourinho face à ses problèmes.
Clap de fin contre Kiev ?
Car là est l’autre phase de la chute : le comportement du Portugais. Il y a eu la polémique Eva Carneiro, dont la démission il y a un mois a foutu le bordel en interne. Elle aussi était une femme de confiance au sein de l’effectif des Blues, quelqu’un auprès de qui on se confiait. Première béquille d’un club fragile. Une période où Mourinho a décidé d’accentuer ses diversions en pointant les failles de l’arbitrage à l’anglaise, de journalistes qui ne comprennent rien à son intelligence. Le sommet du show Mourinho a été atteint il y a une semaine, à Upton Park. Mené 1-0 à la pause, le technicien portugais a décidé de laisser ses joueurs en auto-gestion et de monter en tribunes voir la seconde période. Comme s’il abandonnait ou voulait placer ses hommes face à leurs responsabilités. La tactique est inédite. Le symbole est terrible. Mercredi soir, il sera 20h40 environ lorsqu’il sortira sa tête du tunnel. Chelsea attendra le Dynamo Kiev en Ligue des champions. Mourinho donnera une nouvelle représentation. Plus dure serait une chute.
Par Maxime Brigand