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« Le Bahreïn est au Paris FC par intérêt, mais peut-être aussi par caprice »

Propos recueillis par Thomas Goubin
« Le Bahreïn est au Paris FC par intérêt, mais peut-être aussi par caprice »

Entre 2014 et 2016, le journaliste espagnol Emilio Sánchez Mediavilla a vécu dans le royaume méconnu du Bahreïn. Il en a tiré un récit immersif captivant (Une datcha dans le Golfe, aux éditions Métailié), qui permet de mieux comprendre le fonctionnement de ce régime autoritaire, sponsor principal et actionnaire minoritaire du Paris FC, qui se déplace ce samedi à Niort.

Emilio Sanchez Mediavilla. // Crédits : Alberto Saeìz pour Éditions Métailie.

Quelle est la place du football au Bahreïn ?C’est un jeu apprécié dans l’ensemble la société. Ils le jouent et suivent beaucoup les championnats européens. Quand j’y vivais, je voyais beaucoup de maillots du Real Madrid, du FC Barcelone et de Premier League. Dans les bars à chicha, on regarde le foot. Et puis, à côté, il y a des bars de type occidental où on vend de l’alcool, surtout fréquenté par des étrangers, où le football fonctionne comme un aimant pour attirer le public. Cette passion n’est toutefois pas partagée par les travailleurs esclaves – indiens, pakistanais, asiatiques du sud-est. Le vendredi, le pays se remplit ainsi de terrains improvisés où ces travailleurs aux conditions de vie misérables jouent au cricket.

Un an après avoir atteint ce qui peut être considéré comme l’acmé du football bahreïnien, avec un barrage pour le Mondial 2010, cette sélection a été démantelée suite au printemps arabe.

Quel est le niveau du football bahreïnien ?Faible, mais la sélection a été sur le point de se qualifier pour la Coupe du monde 2010. Bahreïn serait alors devenu le plus petit pays (765 km²) à participer à un Mondial, mais ils ont perdu en barrage contre la Nouvelle-Zélande. Cette équipe a bénéficié d’un soutien populaire massif, mais sa destinée a été tragique. En 2011, lors du printemps arabe, beaucoup de joueurs de la sélection ont participé aux manifestations, comme une bonne partie de la société. La répression a été brutale et les joueurs ont fait l’objet de représailles. Certains ont été détenus, d’autres se sont exilés ou ont dû demander pardon publiquement, à la télévision. Un an après avoir atteint ce qui peut être considéré comme l’acmé du football bahreïnien, cette sélection a été démantelée.

De quelles couches de la population viennent ces joueurs ?Ils sont avant tout chiites, comme la majorité de la population, opprimée par un pouvoir sunnite. Et c’est comme ça dans tous les domaines, sauf dans l’armée, la police, les emplois publics, où les sunnites sont favorisés. L’État préfère même employer des policiers d’autres pays (Égypte, Jordanie, Arabie saoudite), plutôt que d’embaucher un chiite. Cela illustre bien le niveau de discrimination dont est l’objet la majorité chiite.

Qu’en est-il du championnat local ?Il est de niveau amateur. Il peut y avoir de petites rivalités entre quartiers, villages, mais il n’est pas très suivi. Des schémas qui expliquent la politique nationale s’appliquent aussi au championnat. Le Riffa SC, équipe associé à la famille royale, à l’élite sunnite, est ainsi le club dominant.

En investissant au Paris FC (mais aussi à Cordoue, D2 espagnole), quel est l’objectif du régime bahreïnien ?La réponse conventionnelle serait de dire qu’il s’agit de blanchir l’image du pays, de faire des relations publiques. D’une certaine manière, on peut penser qu’ils suivent l’exemple du Qatar, mais l’investissement du Bahreïn dans le sport est plus ancien. Avant le football, le pays a ainsi investi énormément pour accueillir un Grand Prix de F1 (qui se tient depuis 2004, NDLR). Quand j’y vivais, il y avait d’ailleurs une recrudescence des manifestations, de barrages dressés, lors de la semaine du Grand Prix. Les gens ressentaient de la rage et voulaient attirer l’attention des journalistes étrangers. Mais Bahreïn a aussi investi dans le triathlon, le cyclisme (l’équipe Bahrain Victorious, fondée en 2016, vient de disputer le Tour de France, NDLR). Ensuite, pour revenir au football, on peut se demander si le fait d’acheter une équipe à Paris n’a pas à voir avec la rivalité avec le Qatar, un pays ennemi. On peut y voir une bataille d’égos entre familles royales du Moyen-Orient. Mais ce n’est qu’une supposition.

Dans nos analyses sur ces investissements des monarchies du Moyen-Orient, on sous-estime souvent qu’il peut s’agir aussi d’un caprice de fils à papa, à quel point investir dans un club peut procurer du plaisir.

Pouvez-vous nous en dire davantage sur Nasser ben Hamed Al Khalifa, qui est le visage bahreïnien de ces investissements sportifs ?Oui, et ça me permettra de compléter ma réponse à la question précédente. Car, dans nos analyses sur ces investissements des monarchies du Moyen-Orient, on sous-estime souvent qu’il peut s’agir aussi d’un caprice de fils à papa, à quel point investir dans un club peut procurer du plaisir. Nous, simples mortels, on peut diriger une équipe sur Foot Manager, les jeunes cheikhs, eux, achètent un club. Bref, Nasser ben Hamed Al Khalifa est derrière tous ces projets sportifs. C’est un vrai passionné, qui dédie la majeure partie de son temps à la pratique du sport – il adore le triathlon. C’est son quotidien, mais il fait aussi l’objet de très graves accusations. Selon des opposants, il a ainsi participé en personne à des séances de torture. Ce qui est incontestable, c’est qu’il a tenu publiquement, sur les réseaux, à la télévision, des discours très violents au moment de la répression des révoltes de 2011, notamment contre des joueurs de football et des athlètes. Une phrase dont il est l’auteur définit bien sa facette la plus obscure : « Bahreïn est une île d’où on ne peut pas s’échapper ».

Pour terminer, une question plus personnelle : quand on a vécu à Bahreïn, que l’on connaît des victimes de l’autoritarisme de cette puissance pétrolière et gazière, est-ce que votre manière de voir le football, de le consommer, a évolué ?Je vais être sincère : très peu. Même si je suis lucide sur la corruption qui y règne, le profil autoritaire de certains investisseurs, j’assume être grand fan de football et y dédier une partie importante de mes moments de détente. Comme fan, je reconnais qu’on devrait être plus actifs, boycotter, mais je suis le premier à ne pas le faire. En tant que journaliste, je peux parler de la honte qu’est ce Mondial au Qatar, de tous ces travailleurs qui sont morts en construisant des stades, de ce régime corrompu qui viole les droits de l’Homme, mais quand la Coupe du monde va commencer, je ne vais pas être capable de ne pas regarder. Après, j’adorerais qu’une sélection boycotte ce Mondial. Personnellement, je suis fan du Real Madrid, une passion héritée de mon grand-père, et du Racing Santander, le club de la ville où j’ai grandi – dans le football, je suis partisan de la double-nationalité – et je vois aujourd’hui, dans un souci éthique, des amis se tourner vers le Rayo Vallecano, qui représente un quartier ouvrier, dont les supporters sont identifiés à gauche. Mais leur président (Raúl Martín Presa, NDLR) est quasiment d’extrême-droite et a tenu des propos désagréables envers son équipe féminine. Je ne crois pas à cette division entre petits clubs éthiques et grands tricheurs. Le monde du football charrie trop de saleté.

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Propos recueillis par Thomas Goubin

Photos : Alberto Saeìz pour Éditions Métailie et Iconsport.

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