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Lazio : merci pour ce moment
Avant l'arrêt du championnat, la Lazio faisait figure de sérieux candidat au titre. Et pour cause, les Romains s'étaient payé le scalp de la Juve, de l'Inter, et restaient sur 21 matchs sans défaite. Mais depuis la reprise, c'est la crise : deux victoires (à l'arrachée), un nul et quatre défaites. Le Scudetto s'est envolé, et les rêves avec. Mais bon sang, que s'est-il passé ?
C’était le 29 février. Un jour toujours un peu particulier, puisqu’il n’existe qu’une fois tous les quatre ans. Au Stadio Olimpico de Rome, la Lazio reçoit Bologne. Il fait beau, le printemps pointe déjà le bout de son nez. Avant la rencontre, Simone Inzaghi et Siniša Mihajlović, les coachs des deux équipes, avancent bras dessus bras dessous dans les couloirs. Vingt ans auparavant, en 2000, ces deux-là devenaient champions d’Italie avec la Lazio. Le tableau est parfait. La Lazio reste alors sur 20 matchs sans défaite (16 victoires, 4 nuls), plus longue série en cours en Europe, et a la Juventus dans son viseur. Les Bolonais comprennent vite ce qu’est la Lazio à ce moment-là : une machine de guerre. Pendant les 25 premières minutes, Bologne se prend une tornade. Des attaques dans tous les sens, des courses infinies, des occasions toutes les trois minutes. Et deux buts, déjà, signés Luis Alberto, d’une frappe sèche, et Correa, d’une frappe déviée. Tout sourit alors au club romain, à l’image de ce second pion, mais aussi de ces deux buts qui seront refusés à Bologne. Succès 2-0. Au coup de sifflet final résonnent dans les travées du stade les notes des Giardini di Marzo (les Jardins de Mars) de Lúcio Battisti, annonce d’un printemps qui sera forcément magnifique. Car pour la première fois depuis vingt ans, la Lazio s’empare de la première place du classement. Du moins provisoirement, le match entre la Juve et l’Inter ayant été reporté. Mais peu importe, après tout, qu’elle soit provisoire ou non : cette première place est un message envoyé à toute l’Italie, et rien ne semble pouvoir entraver le plan dessiné par Simone Inzaghi.
Lazio et des bas
Un peu moins d’une demi-année plus tard, la Lazio est pourtant lourdement retombée de son glorieux perchoir. L’aigle biancoceleste pique sérieusement du bec, à l’image de son nul minimaliste ramené d’Udine (0-0), mercredi soir. Alors, à qui la faute, bon sang ? D’abord, à cette saleté de coronavirus, qui a complètement chamboulé le calendrier de la Serie A. Avant la pause sanitaire, Simone Inzaghi était le maître du temps de la saison laziale. En balançant sans regret la C3 aux oubliettes dès la phase de groupes, le club du Latium avait consciemment choisi de tout miser sur le championnat. Sur le papier, la saison de la Lazio semblait comme machiavéliquement planifiée par son entraîneur, à l’image du jeu tricoté par son équipe, un 3-5-2 aussi rigoriste derrière que virtuose en contre-attaque. De fait, pour comprendre ce qui ne va plus à la Lazio, il faut déjà lister ce qui fonctionnait si bien, il y a même pas six mois.
Taylorisme à la Laziale
Premier constat : avec l’Atalanta, la Lazio est certainement l’équipe dont l’identité tactique est la plus affirmée en Serie A. Pas un hasard : depuis 2016 et l’arrivée d’Inzaghi aux manettes, le onze type a relativement peu bougé et le Mister laziale a taillé l’animation comme le schéma de jeu de sa formation pour maximiser le talent de ses individualités majeures. Contrairement à l’Atalanta, où le dépassement de fonction de chaque joueur est attendu et espéré par Gasperini, la Lazio mise sur une division des tâches méthodiquement exécutée. Si tout le monde met logiquement la main à la pâte, les besogneux de l’entrejeu sont clairement identifiés : les pistons, Lazzari et Lulić, accompagnés de deux milieux travailleurs chargés de couper les trajectoires – souvent Lucas Leiva et Parolo – planchent pour que le bloc ressorte vite et bien en contre. C’est là que les artistes de l’équipe prennent le relais, à savoir Immobile et Joaquín Correa, attaquants de projection et de profondeur par excellence, alimentés par les services ciselés de Luis Alberto, qui cumule 14 passes décisives à son actif en championnat. Le dernier atout maître d’Inzaghi, Milinković Savić, a, lui, pour rôle de s’adapter aux circonstances du match : tour à tour chien de garde de la défense, soutien des attaquants dans la surface, et capable de casser les lignes au milieu d’une passe bien ajustée, le Serbe est le seul vrai joueur de synthèse du onze type biancoceleste.
Trop de bugs dans la matrice
Mais que se passe-il quand une telle équipe, ajustée par et pour ses hommes forts, est obligée de jouer deux fois au lieu d’une par semaine, à cause de la fin de saison accélérée par la crise du Covid-19 ? Rien de bon. Obligé de faire tourner pour gérer la fatigue de ses hommes, Inzaghi s’est pris en pleine tronche les limites de son effectif, qui, au-delà de son onze type, reste relativement quelconque. Privé de Senad Lulić, blessé, le frangin de Pippo a dû faire confiance à l’Espagnol Jony au poste de piston gauche, sans grand succès. Contre Milan et Lecce, pour les 30e et 31e journées de Serie A, le Mister a également dû injecter du sang frais en titularisant Patric à droite de sa défense à trois, sans davantage de réussite. Les pépins physiques de Lucas Leiva ont achevé de déséquilibrer l’entrejeu ciel et blanc : le Brésilien est hors sujet depuis la reprise, et la Lazio doit s’accommoder de la méforme d’un joueur essentiel pour organiser et structurer son milieu de terrain. Sans ses rampes de lancement, la Lazio ne peut ainsi plus faire décoller ses bolides les plus rutilants. Luis Alberto, le détonateur en chef des offensives laziali, doit animer un bloc équipe moins compact et solidaire, et perd ainsi significativement en précision et en tranchant devant. En atteste son pourcentage de passes réussies, tombé en dessous de 80% contre Sassuolo, l’Atalanta et Milan, ou encore son nombre d’occasions nettes créées par match, qui grimpait à une moyenne de 3,1 avant la pause sanitaire, avant de chuter à 2,2 après celle-ci.
Le liant avec l’attaque s’en ressent forcément, et Ciro Immobile, moins adroit et mobile, n’a inscrit qu’un seul pion dans le jeu depuis la reprise. Il est également privé de son binôme préféré, Joaquín Correa, blessé et suppléé par Felipe Caicedo, moins complémentaire avec l’ancien bomber du Torino que l’Argentin. Autant de dysfonctionnements trop lourds à gérer pour cette Lazio-là, pas programmée pour empiler les matchs à vitesse grand V et qui vient donc d’enquiller 4 défaites, 2 victoires et 1 nul, depuis que la Serie A a repris ses droits. Simone Inzaghi ne disait pas autre chose, à la suite de la nouvelle contre-performance de ses gars face à l’Udinese mercredi : « Notre seul problème est que nous ne pouvons pas jouer avec les mêmes hommes, nous manquons de lucidité… Je ne veux pas nous trouver des excuses, mais ce qui nous manque, c’est de la fraîcheur physique. » Désormais à huit points de la Juve, les Biancocelesti ont remis les pieds sur terre. Au bout de l’histoire, il n’y a sûrement plus le Scudetto en ligne de mire, mais bien la première qualification du club pour la C1 depuis 2007. Voilà qui augure encore de belles choses pour cette Lazio-là, qui, en pleine possession de ses moyens, a tout pour redevenir la machine à gagner entrevue lors de son exemplaire première moitié de championnat.
Par Adrien Candau, avec les larmes de Éric Maggiori