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L’aventure nord-coréenne de Jørn Andersen
Après Pál Csernai au début des années 90, le Norvégien Jørn Andersen est le deuxième entraîneur étranger à pénétrer Pyongyang et à prendre en main la sélection de Kim Jong-un. Et depuis cinq mois, date de son intronisation, il navigue entre polémiques, diplomatie et optimisme à toute épreuve.
Sur la plupart des photos, derrière sa longue mèche blonde, il affiche le même sourire légérement coincé. Comme s’il n’avait pas vraiment d’autre choix. Dents blanches de sortie, lèvres pincées et regard droit, depuis qu’il a été nommé à la tête de la sélection nord-coréenne, les images et les paroles de Jørn se ressemblent. Sur son blog qu’il tient (irrégulièrement) de là-bas, il répète qu’il est heureux dans son travail et dans sa vie de tous les jours, qu’il se sent libre également, qu’il croit en son groupe et qu’il ne fait pas ça que pour le sport ou l’argent. S’il a fait le choix des Moustiques rouges, c’est avant tout pour faire avancer les choses de manière générale. Au moment de son intronisation, il écrit par exemple : « Mon objectif, c’est d’abord de changer le jeu de l’équipe, de le rendre plus rapide et flexible. Mais je crois aussi et surtout que le football peut construire des ponts, donc je suis vraiment impatient de me mettre au travail et de construire au quotidien avec cette nouvelle équipe ! »
« Je peux sortir et faire du jogging le long de la rivière dans la matinée »
Construire des ponts, c’est justement ce qui fait grincer des dents. Quelques semaines après l’officialisation de son nouveau job, Amnesty International, via son secrétaire général, John Peder Egenæs, le prend à partie : « C’est clair qu’il peut être utilisé. Avoir une personne de l’Ouest et de bonne réputation qui veut bien travailler pour ce régime contribue à le légitimer. Je ne pense pas que Jørn puisse éviter cet effet secondaire. Il pourrait devenir un pion sur leur échiquier. Il contribue à donner l’impression que c’est un pays ordinaire. Mais la Corée du Nord n’est pas un pays ordinaire. Ils sont dans une catégorie à part en matière de dictature, de répression et de brutalité contre leur propre peuple. » Suivi de près par un journaliste norvégien, Bent Skjærstad, fin connaisseur du régime nord-coréen : « Son choix fait et fera réagir. Beaucoup se demandent si c’est vraiment éthique. »
Des critiques certainement justifiées. Sauf que pour le moment, Jørn ne peut pas leur répondre, pour des raisons évidentes. Il leur dirait certainement qu’il se veut surtout un ambassadeur occidental auprès des locaux, qu’il peut leur véhiculer un message positif. Mais voilà, Jørn a également embarqué sa femme dans cette aventure, et pour le moment, mieux vaut ne pas trop s’égarer. Le mois dernier, NRK, une télévision norvégienne, a décidé de le suivre sur place pour tenter de comprendre et de raconter cette nouvelle vie. Comme prévu, pas vraiment de sorties de chemin, ni de vraies explications. Mais au moins du visuel et du concret : « Dire que Jørn vit dans le luxe serait exagéré. Mais tout est relatif. Et par rapport au niveau de vie global des Nords-Coréens, il vit comme un roi » , racontent-ils. Résidence au 30e étage dans un hôtel de luxe, restaurant au 44e, chauffeur et traducteur privé, Jørn ne se plaint pas : « Je suis épanoui ici. Je peux sortir et faire du jogging le long de la rivière dans la matinée, et je peux bouger comme je veux. » Une certaine conception de la liberté.
Fête de la bière
Quoi qu’il en soit, Jørn est parti pour rester un petit bout de temps là-bas. Alors autant se mettre bien. Quand l’ancien buteur de Nuremberg, Francfort, Hambourg ou encore du FC Zurich a été nommé, la Corée du Nord était déjà hors course pour le Mondial russe. Il savait donc qu’il partait au moins pour la Coupe d’Asie 2019 et au mieux pour la Coupe du monde 2022. Pour le moment, il en est à une victoire contre les Émirats arabes unis (ce qui constitue une belle performance), une lourde défaite contre le Vietnam et un match nul contre l’Irak en amical. Un bilan pour le moment assez mitigé, mais motif d’espoir pour l’avenir. D’ailleurs, NRK raconte qu’il est bien souvent acclamé par les supporters quand il assiste à des matchs, qu’il prospecte en tribune VIP, ou quand il s’autorise de rares sorties, notamment pour la fête de la bière nord-coréenne, qui paraît bien moins fun que celle de Munich. La joie, c’est d’ailleurs l’une des raisons qui l’ont poussé à s’expatrier dans le royaume ermite : « Mon travail ici, c’est d’amener de la joie. Et puis maintenant, j’ai aussi fait un pas vers l’Asie qui est une région où le football est en pleine expansion. La Chine est pleine de ressources, la Corée du Sud et le Japon également. » Les fameux ponts à construire.
Par Ugo Bocchi