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Lavagne : « Peut-on être sélectionné sans être adoubé par Eto’o ? »
Le Cameroun a été incapable d’éliminer avant-hier le Cap-Vert de la qualification à la phase finale de CAN 2013. Le pays avait pourtant décrété l’union nationale et battu le rappel des anciennes gloires (Womé, Idrissou, Makoun, Webo). Un retour en grâce « politique » et inutile, symptomatique des luttes de pouvoir autour de la Fédération camerounaise de football selon Denis Lavagne, l’ex sélectionneur limogé après la défaite au match aller. Tentatives d’explications avec le technicien français, entre règlement de comptes et amertume.
Comment expliquez-vous l’élimination du Cameroun ?
Je n’ai pas vu un match crucial de qualification, j’ai plutôt eu l’impression que Jean-Paul Akono (Ndlr : le sélectionneur qui a succédé à Denis Lavagne) se servait de cette rencontre pour organiser son jubilé. Il n’était pas impossible de remonter deux buts à la sélection du Cap-Vert. Encore fallait-il prendre des joueurs capables de faire basculer le match. Pour cette rencontre, le sélectionneur a fait revenir les Webo, Makoun, Womé, Idrissou, des joueurs dont, soi-disant, plus personne ne voulait après la Coupe du monde 2010. Et on a vu ce qui c’est passé sur le terrain : au bout de dix minutes, c’était déjà plié. A cause de la politique.
C’est-à-dire ?
Depuis le jour de ma nomination, je savais que certaines personnes allaient déployer beaucoup d’énergie pour me mettre des bâtons dans les roues. Pendant les quelques mois où j’ai été sélectionneur, des gens comme Roger Milla ou Joseph-Antoine Bell n’ont pas arrêté de me descendre. Des attaques immondes. Ils espéraient que ma chute précipiterait celle du président de la FECAFOOT, Mohamed Iya, qui m’avait nommé. Tout simplement parce qu’ils veulent prendre sa place. Ces gens n’ont pas eu la chance de gagner beaucoup d’argent pendant leur carrière, donc l’argent de la Fédération, des sponsors, est une manne financière dont ils veulent profiter. Leur patriotisme est une façade, ils veulent surtout bouffer les revenus du football camerounais. Et donc, quand j’ai été limogé, ils ont été heureux de voir que Jean-Paul Akono m’a remplacé. Samuel Eto’o a pu sonner le retour de tous ses proches pour ce match mais cela n’a servi à rien. Quand je l’entends hier dire, après l’élimination : « C’est super, tous ces jeunes en sélection » . J’ai surtout vu des trentenaires dépassés et un joueur (Fabrice Olinga, 16 ans) qui vient de sa fondation. Pourquoi seulement lui ? Pourquoi tous les jeunes joueurs qu’on avait progressivement intégrés ont été écartés pour ce match. Je me pose la question : est-ce qu’on peut, aujourd’hui, être sélectionné dans l’équipe du Cameroun sans être adoubé par Samuel Eto’o ?
Qu’est-ce que vous lui reprochez ?
Je ne veux pas faire le procès de Samuel Eto’o que je n’ai retenu que deux fois en sélection, mais je constate juste, depuis qu’il est capitaine, que le Cameroun est passé de la 20e à la 70e place dans le classement FIFA. On n’a jamais assisté à une telle dégringolade. Donc je veux bien que Denis Lavagne, Javier Clemente ou Paul Le Guen soient nuls mais il faudrait quand même un jour que les joueurs, les dirigeants, prennent aussi leurs responsabilités. Dans un vestiaire, il est presque normal qu’il existe une hiérarchie entre joueurs. Plus ou moins forte. Mais dans l’équipe du Cameroun, Samuel Eto’o décide que certains joueurs peuvent s’exprimer, alors que d’autres ont juste le droit de se taire. Ce n’est pas un fonctionnement acceptable pour une sélection.
Est-ce que ce climat explique les mauvais résultats de la sélection camerounaise ?
Pas seulement. On vit toujours dans le passé au Cameroun, donc on ne peut pas construire l’avenir. Ils font sans cesse références aux grandes équipes de ces trente dernières années. Mais pendant que le Cameroun se gargarise de ses victoires passées, les autres sélections travaillent. Toutes les sélections africaines possèdent désormais des joueurs qui évoluent en Europe sauf qu’elles n’ont pas ce complexe de supériorité. Bref, sur le terrain, ils courent. Et puis, côté infrastructures, on n’a pas un terrain valable. Le seul qui a été construit ces dernières années est un synthétique payé par la FIFA. Pour le reste : Jean-Paul Akono n’avait pas travaillé depuis son limogeage à la tête de la sélection tchadienne il y a dix ans. Il passe son temps sur les plateaux TV ou dans les studios de radio mais demeure un incapable. Il se glorifie d’avoir remporté un titre olympique en 2000 alors qu’il n’était qu’assistant. Comme par hasard, le jour où Pierre Lechantre (l’entraîneur des Lions à Sydney) est parti, il n’a plus rien gagné. Je ne sais pas à quoi servent les quatre personnes censées assurer l’animation de la DTN. Et j’ai beaucoup de doutes sur les critères de sélection des entraîneurs nationaux.
Vous suggérez qu’ils touchent des contreparties financières pour choisir certains joueurs ?
Ce sont les bruits qu’on entend. Sûrement pas que des rumeurs. Je sais juste que les joueurs surnomment les entraîneurs nationaux « Western Union » ou monsieur « Moitié-Moitié ».
Propos recueillis par Joachim Barbier