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L’autre football chinois

Par Josselin Juncker
7 minutes
L’autre football chinois

Alors que la Chinese Super League vient de reprendre, que le Jiangsu Suning a signé Alex Teixeira pour 50 millions, que Lavezzi touche 60 000 euros par victoire et que les droits télé atteignent le milliard d'euros, un autre football se joue en RPC. Un football d'une autre dimension, d'une autre époque : reportage à Heifei.

« La Chine a toujours été une référence en sport individuel, mais dans les sports collectifs, il y a une zone d’incertitude. Et pourtant, ils essayent d’appliquer les méthodes d’entraînement individuel au football. » Alvaro Martinez et Miguel Angel Rueda, deux entraîneurs espagnols sous contrat avec le gouvernement chinois pour développer le football à Heifei, plantent directement le décor d’une réalité footballistique chinoise diamétralement opposée à la conception occidentale du sport le plus pratiqué au monde.

L’idée de groupe, d’équipe, ils ne l’ont pas assimilée. Pour eux, le concept d’unité n’est pas clair.

« L’idée de groupe, d’équipe, ils ne l’ont pas assimilée. Et au moment de développer le jeu, c’est ce qui est le plus compliqué. Pour eux, le concept d’unité n’est pas clair » , continue Miguel Angel. Ce qui explique sûrement l’inexistence de clubs amateurs, la nécessité de développer le football au niveau des écoles et la présence de nombreux entraîneurs européens dans les échelons boueux du football chinois. Mais au-delà de la conception sociale du ballon rond, le football est interprété d’une tout autre manière en RPC. Un football télécommandé, peu ou pas créatif, dont l’avenir est obscurci par une compétitivité défaillante et une culture footballistique absente. Récit sans jugement de valeur.

Incapacité technique et psychologique d’adaptation

« Je commande : je t’ordonne d’étudier, tu étudies, je t’ordonne de t’asseoir, tu t’assieds. Et ça se retrouve dans le football. On leur a toujours dit « passe » et « tire » et l’entraîneur commande depuis le banc de touche comme s’il jouait à la play » , résume Alvaro. Le syndrôme de l’éducateur-dictateur. Et pourtant, parmi les gamins d’Heifei, certains savent toucher la boule. Mais en Chine comme partout, science sans conscience n’est que ruine de l’âme.

Ils ne comprennent pas le jeu, parce que le foot n’est jamais écrit, et chaque action implique une solution différente.

Ainsi, « un de nos joueurs a un super un-contre-un, il a un super dribble. Donc quand tu lui prépares un exercice de un-contre-un, il s’en sort. Mais si tu mets en place un trois-contre-trois, dans lequel il faut prendre la décision de passer ou dribbler, il te regarde pour te dire« Je fais quoi maintenant ? »Ils ne comprennent pas le jeu, parce que le foot n’est jamais écrit, et chaque action implique une solution différente. Alors on essaye de leur fournir les outils pour qu’eux décident, mais c’est compliqué, ça va contre leur culture. »

Une incapacité technique et psychologique d’adaptation à la variabilité du contexte footballistique institutionnalisée par des tests footballistiques d’entrée à l’université qui se résument à quelques jonglages et conduites de balle sur 50 mètres. La validation de ces examens permet alors aux footballeurs de choisir l’université qu’ils souhaitent. Et Alvaro de répéter : « C’est énormément de travail, parce qu’ils doivent penser, ce ne sont pas des machines, ce ne sont pas des ordinateurs, ils doivent percevoir, mais ça va contre leur culture. »

Libéro, seconds ballons et problem solving

Techniquement infertile, le football chinois l’est tout autant tactiquement. Miguel Angel résume : « Jeu direct avec un libéro. Un gars derrière la défense qui implique qu’il n’y ait pas de hors-jeu. Mais ça leur donne une sensation de confort : un gars rapide et costaud qui, une fois que le central s’est fait manger, intervient et balance des longs ballons. » Le classique du football de district : on jette, on cours, on dispute et on espère un second ballon. Jusque-là, rien de bien différent de ce qu’on peut rencontrer vers 15 heures les dimanches aprem’ sur tous les terrains de France. Là ou la différence est flagrante réside dans le problem solving face à la variabilité tactique du football.

Lors d’un exercice, les jeunes ne mettaient que des centres aériens. J’interviens et leur explique que s’il y a une possibilité de centrer au sol, il faut s’adapter. À partir de là, que des centres au sol. Indépendamment de la situation du copain.

Alvaro se souvient d’une situation « de sortie de balle sous différents types de pression rivale, pour que le gardien soit capable de choisir entre quatre ou cinq options. Au début, j’ai demandé à l’équipe qui pressait d’établir un bloc très haut pour que le gardien joue dans les couloirs. Lui se bornait à jouer court. Je lui ai alors demandé combien d’options de jeu court il avait, et de suite, il a commencé à jouer long. Puis j’ai demandé au rival de se situer plus bas, et le gardien continuait à jouer long. Tout le temps. » Miguel Angel y va aussi de sa petite anecdote : « Lors d’un exercice de centres avant finalisation, les jeunes ne mettaient que des centres aériens. J’interviens et leur explique que s’il y a une possibilité de centrer au sol, il faut s’adapter. À partir de ce moment-là, que des centres au sol, indépendamment de la situation du copain. » Différences culturelles.

Absence de compétition

Mais au-delà des aspects technico-tactiques du football chinois, ce sont les prédispositions psychologiques des jeunes qui attirent l’attention. Le concept de compétition et la conséquence sous-jacente de compétitivité sont inexistants. Ou presque. Les jeunes ne pouvant pratiquer le football dans un club, ils le font à l’école, qui ne leur permet pas de disputer une compétition hebdomadaire. Sans objectifs compétitifs au cours de la semaine de travail donc. Et quand compétition il y a, elle est intensive et inappropriée : « On nous a dit il y a une semaine que dans quelques jours on jouera lundi, mardi, mercredi et jeudi quatre matchs de 90 minutes. » Si Labrune se plaint du calendrier de l’OM, qu’il vienne à Heifei pour se rassurer que l’herbe est moins verte chez le voisin.

L’absence de compétition génère une absence de compétitivité chez les jeunes. « Pendant les entraînements, ça rigole.

Qu’il gagne ou qu’il perde, le gardien met deux ou trois minutes pour aller chercher le ballon.

Il n’y a pas de tentative de correction de l’erreur. Qu’il gagne ou qu’il perde, il arrive que le gardien mette deux ou trois minutes pour aller chercher le ballon. À aucun moment, il ne se dit : « Merde, je suis en train de perdre, je vais courir » » , raconte Miguel Angel. Et Alvaro de se refuser à critiquer sans prendre en compte le contexte : « C’est un choc culturel : des choses que tu donnes pour acquises dans ton pays, des choses simples, mais pour lesquelles il faut se battre, tous les jours. »

Compétition et formation, les axes de la rédemption

Du coup, quand on leur parle d’avenir du football chinois, Miguel et Alvaro évoquent d’abord la nécessité d’une organisation compétitive du football de base. « S’ils veulent être compétitifs, il faut « compétir ». Et que cela commence dès le plus jeune âge. Ce qu’ils ne peuvent pas faire, c’est dire :« Dans x nombre d’années, on est champions du monde » » , entame Miguel Angel, pendant qu’Alvaro termine : « Si tu travailles toute la semaine et qu’au final, il n’y a pas de compétition, l’enseignement n’a pas de portée. » Les Andalous de rebondir sur le second axe de travail : « On ne doit pas seulement travailler avec les enfants, mais aussi avec les éducateurs. Ici, c’est comme il y à 20 ans en Espagne. Ils travaillent tout de manière analytique, rien à voir avec le jeu. […] Et si la majeure partie montre de l’intérêt et une volonté de progresser, reste une minorité qui a l’impression que nous interférons avec leur travail. »

Que ce soit le travail proposé par l’éducateur ou sa gestion psychologique de l’enfant, nombreuses sont les zones d’ombre : « Il faut qu’ils connaissent le jeu, parce que quand tu connais le jeu, tu peux expliquer le pourquoi au lieu de dire au joueur « Pourquoi t’as pas couru ? »S’ils sont capables de percevoir ce qu’il s’est passé dans une action au lieu de dire « Tu n’es pas rentré dans le ballon », alors le football chinois pourra mettre en marche la croissance potentiellement exponentielle de son football » , s’enthousiasme Alvaro, qui conclut par un résumé explicatif :

Les joueurs ont peur de l’erreur, mais c’est lié à la culture : tu rates, on te sanctionne.

« Les joueurs ont peur de l’erreur, mais c’est lié à la culture : tu rates, on te sanctionne. Dans mon équipe, certains joueurs ratent et regardent immédiatement le banc. C’est un symptôme du « jouer à ne pas se louper »et c’est l’illustration de comment cela fonctionne ici. On a besoin de temps, ce sont des étapes, il faut travailler dur, dur et dur. » Et la Chinese Super League d’attendre les champions de demain.

Dans cet article :
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Par Josselin Juncker

Tous propos recueillis par JJ

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