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L’autre Battle of the Bridge
À l’automne 1965, neuf mois avant le début de la Coupe du monde en Angleterre, Chelsea débutait la seconde campagne européenne de son histoire, mais aussi sa première épopée. Face aux Blues, la Roma d'Oronzo Pugliese, mais surtout une presse qui soufflera sur l'aller-retour. Assez pour offrir l'enfer à la bande de Tommy Docherty. Mythique.
Un plongeon sans parachute : Carnaby Street, Blow-up, la quête de plaisir post-Seconde Guerre mondiale, les Beatles, les mods, Mary Quant et sa minijupe, David Bailey, Twiggy, Londres et son étiquette de Swinging City scotchée en avril 1966 par Time. Une révolution. Au milieu, un anniversaire : les soixante piges d’un club et les dix ans d’un premier trophée national décroché entre les bras de Joe Mears – fils et neveu des fondateurs de la machine – et Ted Drake, un ancien employé dans les compteurs de gaz devenu pro à Arsenal et coach dans la foulée de sa retraite sportive. Puis, l’oscilloscope et les débuts d’une légende avec l’arrivée sur les bancs, en 1961, du Doc. Le Doc, c’est Tommy Docherty, et les oscillations sont celles du Chelsea F.C, champion d’Angleterre en 1955 avant de descendre en Second Division sept ans plus tard et revenir directement à la table des grands dans la foulée. Place à l’automne 1965, celui qui précède la Coupe du monde organisée en Angleterre et suit la victoire en League Cup des Blues face à Leicester (3-2, 0-0), mais surtout celui marqué par l’envol complet du King : Peter Osgood, seul joueur du club aujourd’hui statufié devant Stamford Bridge, lancé chez les pros quelques mois plus tôt.
Lui se décrit comme un « dieu païen » en ouverture de son autobiographie. À cette époque, il n’est pourtant qu’un espoir en salle d’attente. Tommy Docherty le teste, refuse de se coucher face aux promesses, et laisse Bobby Tampling s’agiter derrière la lance Terry Venables. « On était heureux de cette victoire en League Cup, ouvre Tampling. On s’est tellement battus pour gagner quelque chose, mais, désormais, on n’avait qu’une chose en tête : l’Europe, un endroit pour se tester. Notre équipe était jeune, mais avait un certain style. J’ai envie de dire qu’elle était même spectaculaire. » Celui qui restera longtemps meilleur buteur de l’histoire des Blues – avant que Frank Lampard ne lui file sous le nez en mai 2013 – n’a pas tort : ce Chelsea avait de la gueule et un putain de caractère. Assez pour écrire son histoire et les premières lignes européennes du club.
L’électricité et les gorges
Le refrain est connu : une nuit à Stamford Bridge a un goût particulier. Après une demi-finale retour de C1 en mai 2009, également hissée au rang de Battle of the Bridge, Gerard Piqué avait parler « d’enfer » , alors qu’Iniesta venait de qualifier le Barça sur un souffle historique. Le 22 septembre 1965, il y avait déjà de ça. Lorsque la Roma débarque au Bridge pour disputer le premier tour aller de la Coupe des villes de foires, son entraîneur, Oronzo Pugliese, ne sait pas vraiment où il met les pieds. Quatre-vingt-dix minutes plus tard, il se retrouve front contre front avec Docherty. L’ambiance est électrique, le match brûlant : les Blues tordent les Giallorossi (4-1) grâce à un triplé de Terry Venables et un but de George Graham ; Eddie McCreadie prend un adversaire à la gorge et rentre chez lui avec un rouge ; plusieurs échauffourées éclatent. Tambling, blessé, garde autre chose en tête. « De ce match, il me reste avant tout un but. Aujourd’hui, les coups francs aux abords de la surface sont avant tout une question de qualité de frappes, mais, dans les années 1960, la question était plus difficile et se résumait avant tout à la manière de déjouer le placement adverse. Il n’y avait pas de retransmission télé, donc lorsqu’il y avait un bon coup franc, c’était seulement écrit dans la presse, les autres équipes ne pouvaient pas le voir, et il y avait pas mal d’invention.(…)Celui-ci avait été tiré par Terry Venables et s’est achevé comme un rêve.(…)Il a surpris tout le monde, et ce, alors que le match venait de prendre une sale tournure. Certains ont dit qu’il avait même été attrapé dans le couloir. »
« Il faut dégager de cet endroit en vitesse »
Personne ne sait vraiment ce qu’il s’est passé dans le tunnel du Bridge ce soir-là. Aucune preuve, seulement quelques récits dans le London Evening Standard. Le flou fait alors monter la pression pour un retour déjà plié par le scénario de l’aller. À leur arrivée à Rome, les Anglais sont fouillés pendant de longues minutes. Le premier entraînement en Italie danse également avec l’enfer, le match est délocalisé au stade Flaminio, plus petit, plus étouffant. Pugliese veut régler ses comptes avec Docherty, le Doc n’en a rien à cogner et envoie ses joueurs sur le terrain cinq minutes avant le coup d’envoi. Peter Bonetti, Johnny Boyle et les autres sont accueillis par des tomates pourries, du chou, des patates. Sur le terrain, la Roma n’arrive pas à toucher les Blues (0-0) et au coup de sifflet final, Tommy Docherty file avec ses joueurs dans le vestiaire. La fête semble terminée. « Mais notre interprète est arrivé et nous a dit qu’il fallait dégager de cet endroit en vitesse, complète Barry Bridges, qui formait à l’époque le duo d’attaque de Chelsea avec Bobby Tampling. Il y avait une porte qui menait sur le parking et le bus nous attendait devant. Dès qu’on est montés, on nous a demandé de se mettre sous les sièges. Il y avait six motos de police autour, elles allaient à fond et on s’est barrés. Les vitres du bus avaient éclaté. C’est la seule fois que j’ai eu peur de ma vie. » Pour Chelsea, ce n’était que le début, l’histoire s’arrêtera en demi-finale face au Barça, futur vainqueur de la bagarre de forains, après avoir notamment sorti l’AC Milan de Cesare Maldini et Gianni Rivera. Un autre vertige.
Par Maxime Brigand
Tous propos issus du site officiel de Chelsea.