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L’autre Battle of Old Trafford
Il faut plonger aux racines de l’antagonisme pour comprendre la haine. Si aujourd’hui, la baston entre Manchester United et Arsenal s’est atténuée au fil de la variation des résultats sportifs, elle était hier intense. Et tout a commencé comme ça, le 20 octobre 1990.
C’est tout le sens des premières fois. Il faut s’en souvenir et laisser une trace. Quelque chose d’indélébile dans les mémoires collectives et individuelles. Le Sir Alex Ferguson quadragénaire avançait souvent comme ça : utiliser les succès des autres pour provoquer celui des siens. Lors de son premier jour à Aberdeen, l’Écossais avait provoqué ses joueurs dans ce sens en cadrant son groupe autour d’une guerre déclarée aux tout-puissants de Glasgow. « Glasgow ne nous aime pas. Eh bien, nous ne les aimerons pas non plus. » À Manchester, où il a débarqué au cours d’un anonyme soir de novembre 86, Ferguson a rapidement bousculé ses hommes autour du « putain de perchoir » du Liverpool de Dalglish. Il savait son effectif miné, à reconstruire et il avait donc décidé de le piquer avec justesse d’entrée, articulant son combat autour de la mise à mort de la culture de la boisson, mais aussi avec l’envie intime d’honorer la mémoire d’un mentor disparu sur scène un peu plus d’un an plus tôt.
Jock Stein était le repère de Ferguson. Sir Alex Ferguson était l’épaule de Stein. Alors il lui fallait maintenant avancer sans, en utilisant la mémoire de l’homme comme une force de conviction, la compilant à ses convictions travaillistes. Trente ans plus tard, Alexander Chapman Ferguson est statufié et surveille encore de près ce qu’il a laissé derrière lui à Manchester United en mai 2013 après vingt-sept ans de chewing-gums mâchés. Il y a les titres, bien sûr, l’institution relevée, aussi, mais également certaines rivalités montées sous son règne. Il y a eu Liverpool d’abord, puis progressivement Arsenal et finalement Manchester City, ce voisin devenu bruyant mais préféré par une large majorité de la ville. Tout le monde conserve des images de ce que représentait un Arsenal-Manchester United ou un Manchester United-Arsenal entre les années 90 et la première décennie des années 2000. Ce goût est aujourd’hui différent, la tension aussi, mais le souvenir reste présent. Et, cette fois, tout est parti de la bouche de Sir Alex Ferguson.
Le premier jour du reste de la haine
Un 24 janvier 1987, le premier regard croisé entre l’entraîneur écossais et Arsenal. L’Arsenal de George Graham, une autre légende, mais aussi un homme qui a évolué un temps à Manchester United au début des années 70. C’est là que l’histoire entre les deux clubs a basculé. Sur des mots, ceux de Ferguson. Car au bout d’un premier duel remporté face aux Gunners à Old Trafford (2-0), il ira se tourner vers le banc adverse et donc Graham. « Je n’oublierai jamais notre premier échange, racontait l’ancien boss d’Arsenal il y a quelques années au Guardian. Pendant la rencontre, David Rocastle avait tellement provoqué qu’il avait été expulsé et il y avait eu quelques mots au moment de sortir du terrain. Alex Ferguson et son assistant de l’époque, Archie Know, étaient droit devant nous et j’ai pensé : « Jésus Christ ! Ce sera la première et la dernière fois qu’ils nous intimident. On ne sera plus jamais traités de la sorte. » » Ou comment craquer une allumette à une époque où le seul véritable adversaire d’Arsenal est Liverpool. Car si la première saison complète de Ferguson est bouclée à une bonne deuxième place, il faudra attendre quatre ans pour revoir United se mêler à la bagarre pour un titre de champion d’Angleterre remporté en 1988 et 1990 par Liverpool, en 1989 et 1991 pour Arsenal. Alors, Ferguson et Graham vont s’expliquer sous les projecteurs, mais loin de la couronne.
Et une étape irréversible sera franchie le 20 février 1988 lors d’un anecdotique cinquième tour de FA Cup entre les deux hommes. Il ne reste alors que quelques secondes à jouer, Arsenal mène 2-1 à Highbury quand Brian McClair balance un penalty de replay largement au-dessus. Les Gunners sont qualifiés, le moment décidé par la grande gueule de Nigel Winterburn pour s’ouvrir. Winterburn n’a jamais été un grand pote avec la finesse, alors il vient se foutre ouvertement de la gueule de McClair. Pour que rien ne soit oublié, jamais. Les mois passent, les joueurs de Graham se cabossent avec ceux de Norwich en novembre 89 et voilà comment on se retrouve rapidement au 20 octobre 1990. Le premier jour du reste de la haine. Une date qui se retrouve aujourd’hui sous le surnom de The 21-man brawl.
Certains en parlent comme du match le plus haineux vu à Old Trafford au cours de l’ère moderne, encore un cran plus haut que la folle bataille du 21 septembre 2003. Sportivement, le match a surtout un enjeu pour un Arsenal invaincu depuis le début de saison et qui sera finalement champion en fin de saison avec une seule défaite au compteur (à Chelsea 1-2, ndlr). Manchester United, de son côté, avance avec sa cinquième place, mais déjà trois défaites dans la tronche. Finalement, les Gunners s’enfilent une sixième victoire en neuf journées grâce à Anders Limpar sur un but qui aurait fait une bonne pub à la goal-line technology. Mais l’important est ailleurs.
« La pire chose a été de se revoir à la télévision »
Car peu après l’heure de jeu, Winterburn ramène sa tronche et vient sécher Denis Irwin qui se bat avec Limpar pour le ballon. Brian McClair débarque, se met près de son pote et c’est parti pour de longues secondes à se pousser, s’insulter, tenter de se coucher à onze joueurs de United contre dix d’Arsenal – seul David Seaman fait le spectateur. L’arbitre, Keith Hackett, a déjà perdu le fil de sa rencontre alors que Ferguson s’embrouille avec Tony Adams. Impliqué dans le bordel, David Rocastle est clair : « À Arsenal, on n’a jamais, vraiment jamais commencé aucune baston – on se contente de les finir. » De son côté, McClair avouera après la rencontre sa honte et expliquera que « la pire chose a été de se revoir à la télévision plus tard dans la soirée » . L’histoire veut que Nigel Winterburn et Brian McClair ont voulu régler leurs problèmes ce jour-là, sans savoir qu’ils venaient d’écrire les lignes les plus grasses d’une rivalité qui est ensuite devenue féroce. Sous les patates, Arsenal se verra retirer deux points par la FA, un pour United, et deviendra finalement en fin de saison le seul champion de l’histoire à soulever une couronne avec un retrait de points.
Par Maxime Brigand