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L’autre ascension de l’AC Ajaccio
En déplacement à Auxerre vendredi soir, l'AC Ajaccio a l'occasion d'assurer sa présence sur le podium de Ligue 2 et de commencer son éventuelle préparation pour les barrages. Reste que le club corse n'avait pas prévu d'être là et que le secret de la réussite se trouve dans une pré-saison fondatrice au milieu d'étapes du GR20. Récit.
« On ne pouvait pas espérer grand-chose ce soir. » Trois secondes pour un coup de ciseaux dans le rideau à excuses souvent tiré par ses confrères : vendredi soir dernier, au Havre, Olivier Pantaloni n’était pas d’humeur à se rouler par terre. Pas le genre du bonhomme, de toute façon. Alors, le coach de l’AC Ajaccio a parlé de « période calamiteuse » et a posé sur la table la carte du « match sans » à l’issue d’une soirée où ses joueurs ont glissé pour la deuxième fois consécutive à l’extérieur. Grave ? Non, rien de dramatique, au contraire, et Pantaloni a même sorti son boulier pour le prouver avant la virée à Auxerre : « Tant que mathématiquement, c’est réalisable, bien entendu que viser la seconde place est un objectif. Il y a quelques semaines de ça, on visait la troisième place parce qu’on disait qu’elle était très importante pour les play-offs. On va tenter dans un premier temps d’assurer cette troisième place. Il nous manque un point encore une fois, après si on a le bonheur de pouvoir aller prendre plus de points que celui qui nous manque, eh bien les joueurs feront le travail bien entendu. » On y est : à deux journées de la fin, l’ACA a l’occasion d’assurer vendredi sa troisième place et de commencer à faire chauffer le moteur pour les barrages. Ce coup-là n’était pas prévu. « C’est vrai, sourit aujourd’hui Olivier Pantaloni. Au départ, notre ambition était de finir au-dessus de la dixième place… On ne pensait même pas pouvoir finir dans les cinq premiers. C’est loin d’être terminé, mais on a une occasion unique de faire découvrir la Ligue 1 à beaucoup de joueurs alors qu’on n’était pas programmés pour ça. Alors, on se prend au jeu. »
Vertige et expérience
Tous les repères de la Ligue 2 ont sauté depuis longtemps et il ne faut pas tiquer : si Reims a écrasé le championnat avec une main de fer (quinze points d’avance sur son dauphin, Nîmes), la course pour la montée s’est ouverte à tous les ambitieux, que ce soit des promus (le Paris FC, Châteauroux), un monstre fraîchement mis à la porte par l’élite (Lorient), des fidèles de la lutte (Brest, Nîmes, Le Havre) ou un invité surprise (Clermont). Et l’AC Ajaccio, donc, viré par la Ligue 1 au printemps 2014 et balancé en National 1 par la DNCG le 21 juin dernier avant d’être rattrapé par le col quelques semaines plus tard au bout d’un combat face à « une adversité multiple et variée » . De loin, ça file le vertige, mais tout s’explique dans la recette : un mélange de fureur, d’expérience renforcée – un axe assumé par Pantaloni qui s’est ainsi tourné vers des références du circuit (Coutadeur, Gimbert, Avinel, Marin, Hergault, Leca, Lejeune) –, mais surtout d’une mise en place de fondations par le haut à une époque où le club ne savait même pas où il évoluerait.
Qu’est-ce que la préparation estivale d’un club pro raconte de la saison à venir ? À quoi se joue une montée ? Peut-on toujours expliquer une descente ? Mille questions et une certitude commune : si l’AC Ajaccio a aujourd’hui un pied sur le trampoline menant à la Ligue 1, il faudrait revenir à plus de 2000m d’altitude pour en trouver les ressorts. Tout a commencé par un choix de direction : pour la seconde année de suite, le staff de l’ACA convoque le 22 juin au matin l’ensemble du groupe. La veille, la DNCG a tiré dans les pattes du club, mais les têtes sont ailleurs. « L’idée a alors été de casser les habitudes, rembobine le préparateur physique, Ghjuvan Rusterucci. Tout ça est venu de mon prédécesseur, Pierre Bazin, aujourd’hui parti à Lorient, qui avait décidé au début de l’été 2016 d’emmener le groupe quelques jours en montagne, en altitude. Quand je suis arrivé, on a décidé de répéter la chose et on est partis trois jours se mettre à l’épreuve : sans téléphone, dans des conditions de vie assez sommaires, sans eau chaude pour se doucher… À l’aventure, quoi. »
Perudo, rivière et Abergel
Direction l’étape 7 du GR20, la brèche de Capitello et le refuge de Manganu. Sous le concept de « reprise » , c’est une autre histoire qu’on raconte : celle du groupe qui se construit, des générations qui se mélangent et du « noyau » qui se forme pour reprendre les mots d’Olivier Pantaloni. « On a rapidement senti la différence avec ce groupe-là, glisse l’entraîneur corse. C’est simple : lors de la première année, alors que je ne fais quasiment plus de sport, je terminais les étapes avant certains mecs. Là, je tirais la langue et ils étaient obligés de m’attendre. C’est une façon de voir la volonté des joueurs, de les faire bosser sans qu’ils s’en rendent compte, et tout le monde s’accroche. Dès le retour de vacances, ils se sont retrouvés dans la difficulté, alors ça nous a énormément aidés pour la suite. » Le stage est fondateur, notamment pour les nouveaux, à l’image de Ghislain Gimbert, arrivé en Corse quelques heures avant le départ, et qui a insisté pour être là. Mathieu Coutadeur, qui avait déjà connu une expérience similaire lors de sa première saison chez les pros avec Frédéric Hantz, évoque lui « cette sensation rapide de se connaître depuis déjà trois, quatre ans. J’ai rapidement compris que c’était autre chose parce que tu peux faire ça avec un groupe et ça peut ne pas fonctionner. Là, l’accueil des anciens a été exceptionnel et ça a fait écho aux mots du coach. Avec tout ce que le club m’avait vendu, j’ai vite compris que j’étais au bon endroit. L’ACA, c’est ma vision du foot. »
Ce qui se traduit à ce moment-là par deux nuits dans un refuge où les vannes fusent, où les parties de paquito s’enchaînent, où les mecs dorment rangés comme des sardines et où on fait la queue pour pouvoir passer les appels debout sur le seul rocher qui a les honneurs du réseau téléphonique. Coutadeur reprend : « À ce moment-là, le club était en National. Je faisais confiance au président quand il nous disait de ne pas nous inquiéter sur le fait de reprendre le championnat en Ligue 2. Et nous, on se disait : mais pourquoi pas rester tous ensemble en National si on se marre comme ça ? Là, on a compris qu’on ne pouvait plus se lâcher. » Sur le départ pour Nancy après trois ans passés à l’ACA, Laurent Abergel lâche même ces mots devant le groupe : « Putain, je vais partir et je sens que c’est la saison où vous allez flamber. » Résultat ? Ajaccio ne perd qu’à deux reprises –face à Nîmes (1-4) et à Lorient (2-0) – lors des treize premières journées de championnat, ne connaît qu’une petite sortie de piste en novembre et s’empiffre de signes positifs : le 23 février, réduite à dix et menée 1-2 à François-Coty par Sochaux, l’équipe retourne la situation et s’impose au mental (3-2).
« Quand tu vois ton groupe faire ça, tu ne peux qu’être fier en fait, complète Pantaloni. On a réussi à mêler tout au long de la saison de la simplicité, de l’humilité, car on a certainement été moins forts que certains adversaires par moments, et du courage. C’est peut-être l’année ou jamais en fait. » Soit le genre d’année où certains succès s’arrachent sur un ballon poussé à la dernière seconde comme contre Clermont (2-1) fin mars ou une frappe sortie de la bouche à l’image de Jean-Louis Leca face à Lens (2-0) en avril. Aujourd’hui, l’ACA va mieux, économiquement et sportivement, et les dirigeants savent qu’il ne s’agit pas « d’une personnalité qui se représente tous les ans » . Voilà l’Ours à quelques dizaines de mètres de l’arrivée, prêt à mettre son nez dans la guérilla urbaine que représente ce nouveau système d’accession fermé à double tour par la LFP. Sacrée aventure, là aussi.
Par Maxime Brigand
Tous propos recueillis par MB. Crédits photos : AC Ajaccio.