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Laurent Viaud : « Je ne savais même pas que j’avais joué contre Messi »

Propos recueillis par Éric Maggiori
Laurent Viaud : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Je ne savais même pas que j’avais joué contre Messi<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

S'il sait qu'il n'aura plus qu'à aller « aux champignons » lorsque la fracture entre lui et les jeunes qu'il forme au Stade rennais sera trop béante, Laurent Viaud peut toujours les attraper avec une anecdote pas piquée des hannetons. En 2005, l'ancien milieu d'Angers et Monaco était au marquage du jeune Leo Messi, lorsque celui qui n'était pas encore le G.O.A.T. inscrivait son premier but avec les pros. D'ailleurs, lui non plus ne s'en souvenait plus...

Salut Laurent. Tu es arrivé cet été à Rennes pour coacher les U19 de Rennes. Comment ça se passe ?Bien ! Au départ, il a fallu prendre mes marques. J’ai passé dix ans à Angers, j’y avais mes habitudes. À Rennes, je suis clairement sorti de ma zone de confort. Il a fallu m’adapter à une nouvelle façon de travailler, car ici, en matière de moyens humains, ça n’a rien à voir avec Angers. À Rennes, chez les U19, il y a vraiment un staff, avec un adjoint, donc il faut faire de la place à tout le monde, c’est un fonctionnement qui est complètement différent. Au début, les résultats étaient un peu compliqués, mais on a redressé la barre sur les derniers matchs, donc c’est positif, ça se met vraiment en place.

Pourquoi avoir quitté Angers ?Honnêtement, je n’aurais jamais imaginé partir d’Angers, mais je n’étais plus en phase avec des décisions qui étaient prises au club. Pas forcément sur le fond, mais sur la forme. On a toujours été un club familial, et les dernières décisions qui ont été prises ne ressemblaient plus trop à ça. Je ne m’y retrouvais plus, donc je suis parti.

À Rennes, tu n’es pas tout à fait en terre inconnue.Non, c’est sûr. Déjà, j’y avais passé un an et demi en tant que joueur, en 1997 et 1998. Ensuite, j’y ai passé deux ans en formation, de 2012 à 2014, pour valider mon diplôme de formateur, car Angers n’avait pas de centre de formation à l’époque. Donc forcément, quand je suis arrivé ici cet été, j’ai retrouvé des garçons qui étaient déjà là à l’époque, comme Jérome Hiaumet (responsable des gardiens de but, NDLR), Pierre-Emmanuel Bourdeau (coach de la réserve, NDLR), et ça m’a aidé dans l’intégration. Idem pour le directeur du centre, Denis Arnaud, avec qui j’ai passé deux ans à Angers.

Laurent Viaud avec le Lionel Messi d’avant.

Je sais que, moi, je ne pourrais pas être coach et fermer les yeux sur des comportements qui parfois m’exaspèrent.

Et alors, toi qui l’as connu à plusieurs époques, tu trouves que le Stade rennais a évolué ?Ah bah oui… J’en avais eu déjà un aperçu quand j’étais venu en formation en 2012, mais c’est clair que par rapport à la fin des années 1990, ça n’a plus rien à voir. Ça n’a fait que s’améliorer, ce n’est plus du tout le même club. Je le vois chez mes jeunes : ceux à fort potentiel sont vraiment très forts. Ils sont déjà « là-haut » . Tu vois, Mathys Tel, Lesley Ugochukwu, ce sont des joueurs de 2004, 2005… Mathys Tel, c’est un U17, donc tu peux imaginer que s’il joue avec moi en U19, c’est que c’est vraiment costaud. Ugochukwu, c’est la même chose. Matthis Abline aussi est un 2003…

Coacher les U19, c’est pour toi une porte d’entrée vers, un jour, le banc de l’équipe première ?Alors là, pas du tout. À Angers, j’ai déjà eu l’opportunité de m’inscrire au BEPF (brevet d’entraîneur professionnel de football), et je ne l’ai pas fait, car je n’ai jamais voulu aller au-dessus. Je ne voulais vraiment pas passer ce brevet de peur qu’on me propose d’aller entraîner les pros. (Rires.) Au pire, je pourrais éventuellement réfléchir si on me proposait un poste d’adjoint. Parce qu’au poste d’adjoint, tu as une relation particulière avec les joueurs, tu peux leur dire les choses, leur parler « vrai » . Le coach est beaucoup plus dans une gestion d’ego, de choses comme ça. Je sais que moi, je ne pourrais pas être coach et fermer les yeux sur des comportements qui parfois m’exaspèrent. Et puis bon, j’ai 52 ans, je ne me donne pas encore dix ans dans la formation. À un moment donné, je vais me sentir en décalage avec les nouvelles générations.

Tu le sens déjà aujourd’hui ? Bah, à vrai dire, je l’ai déjà senti quand j’étais en fin de carrière de joueur et que des jeunes arrivaient dans le groupe. Je me disais : « Ce n’est pas possible. » Si j’étais coach, je pense que je les brûlerais. (Rires.) Donc c’est pour ça aussi que j’ai choisi d’être dans la formation, de façon à être avec les jeunes « à la base » , de façon à leur inculquer les bases pour bien se comporter en groupe, plutôt que d’avoir à gérer des ego souvent mal placés, des mecs qui n’écoutent pas les remarques… Je préfère les prendre à la racine et leur apprendre les valeurs de travail, leur dire que c’est dur et que la base de la réussite, c’est qu’il faut courir.

À Rennes, les jeunes ont déjà tous un statut, ils sont tous sous contrat, ils ont des agents qui leur disent qu’ils sont les plus beaux et les plus forts… Et toi, tu es le gros con qui est derrière à leur dire que c’est dur et qu’il faut bosser.

Et dans ceux que tu entraînes, tu le sens vraiment que ça a changé par rapport à il y a dix ans ?Oui bien sûr, et tu sens aussi les différences selon les clubs. À Angers, j’étais rarement confronté à des jeunes qui n’avaient pas envie, ils savaient qu’ils devaient se bouger le cul. La différence avec Rennes, c’est qu’ici, les jeunes ont déjà tous un statut, ils sont tous sous contrat, ils ont des agents qui leur disent qu’ils sont les plus beaux et les plus forts… Et toi, tu es le gros con qui est derrière à leur dire que c’est dur et qu’il faut bosser. Donc il y a forcément un décalage entre ce que nous, le staff, on va leur dire, et ce que le reste de leur entourage leur dit. Et du coup, ils écoutent qui ? Ils font confiance à qui ? C’est là toute la difficulté de notre rôle : leur faire comprendre qu’il faut bosser, qu’il faut se dépasser. Ce n’est pas parce qu’un truc n’est pas écrit sur ton contrat de travail que tu ne dois pas le faire. Un milieu défensif, ce n’est pas écrit sur son contrat qu’il peut aussi aller marquer un but, pourtant s’il le fait, bah c’est mieux pour lui. Ce dépassement de fonction, ça vaut pour tout, et c’est très difficile de leur faire comprendre. Jusqu’à ce que je sois toujours en phase avec tout ça, je le ferai, et puis le jour où je ne me sentirai plus en phase, eh bien j’irai aux champignons. (Rires.)

Laurent a du mal avec les statuts. Moins avec les statues.

Avant de te lancer dans cette carrière de formateur, tu avais terminé ta carrière de joueur en Espagne, à Albacete. Comment tu t’étais retrouvé là-bas ?Longue histoire. (Rires.) J’avais déjà joué en Espagne, à Extremadura, avec Benítez comme coach. Quand je suis parti de là-bas, Paco Herrera, l’entraîneur de Numancia, m’avait demandé si ça m’intéressait de venir chez eux. Extremadura me devait six mois de contrat, donc je leur ai dit que je renonçais à ces six mois, mais à condition d’être libre. Ils me disent que c’est OK, sauf que je n’ai pas signé de papier. Et quand Numancia s’est présenté, Extremadura a réclamé de l’argent, un argent que Numancia n’avait pas, donc ça ne s’est pas fait. Je suis donc rentré en France, et j’ai signé à Laval, en Ligue 2. J’ai fait deux années là-bas, et arrivé à la fin de mon contrat, le fameux Paco Herrera était désormais à Albacete. Je l’appelle, je lui dit : « Écoute, j’ai envie de retourner en Espagne, je t’intéressais quand tu étais en première division, maintenant tu es en D2, est-ce que je t’intéresse toujours ? » Il me dit que oui, et qu’il va envoyer son directeur sportif. Le mec se pointe à Gueugnon pour un Gueugnon-Laval, on gagne 4-2 et je mets deux buts (rires), et voilà comment je me retrouve à Albacete ! Le hasard des choses fait que Paco Herrera n’a finalement pas prolongé à Albacete, il est parti au Polideportivo Ejido, m’a proposé de le suivre, mais comme j’avais donné ma parole à Albacete, je suis resté là-bas.

Dès ta première saison, vous montez en Liga. Du coup, en deux ans, tu passes de Gueugnon au Real Madrid…Voilà, c’est ça ! (Rires.) Et le Real Madrid, c’était la grosse époque, hein : avec Ronaldo, Figo, Beckham… Je connaissais bien Zinédine Zidane aussi, parce que j’avais fait l’armée avec lui, on était en équipe de France espoirs ensemble, donc se retrouver là-bas c’était super sympa.

Tu aimais particulièrement la vie en Espagne.Ah bah oui ! La qualité de vie et la mentalité ne sont pas les mêmes qu’en France. À 22 heures, tu es toujours dehors, il fait beau, les supporters sont plus fans qu’en France. On me demande souvent quel est mon meilleur souvenir de footballeur, et je réponds toujours que c’est le fait d’avoir appris une autre culture grâce au foot. Ce n’est même pas d’avoir été champion de France ou d’avoir fait une demi-finale de Ligue des champions. Ce dont je suis le plus fier, c’est d’être devenu capitaine à Albacete. Ça veut dire que j’ai réussi à m’adapter et que j’ai été accepté, dans un autre pays.

Le Viaud de la vieille

Et c’est donc brassard au bras que le 1er mai 2005, sur la pelouse du Camp Nou, tu assistes au tout premier but en pro d’un certain Lionel Messi…
Je vais te dire la vérité : je ne savais même pas que j’avais joué contre Messi.

À la télé, ils faisaient la promo du DVD des 100 buts de Messi, et à chaque fois ils remontraient son tout premier but. Et en rigolant, je dis : « Tiens regarde le couillon qui est en train de courir derrière lui au milieu de terrain ! » Et là, je réalise… « Ah, bah c’est moi »

Comment ça ?Quelques semaines après ce match au Camp Nou, j’ai pris ma retraite et je suis rentré à Angers. Je travaillais pour Liverpool comme recruteur, et la semaine, j’entraînais les U14 à Angers. Et souvent, les petits me demandaient : « Mais coach, vous avez joué contre Messi ? » Et moi, je leur disais : « Bah non, il est trop jeune. » Et puis un jour, je vais en vacances en Espagne, et c’était le moment où ils sortaient le DVD des 100 buts de Messi. À la télé, ils en faisaient la promo, et à chaque fois ils remontraient son tout premier but. Et en rigolant, je dis : « Tiens regarde le couillon qui est en train de courir derrière lui au milieu de terrain ! » Et là, je réalise… « Ah, bah c’est moi »… Et c’est à ce moment-là que j’ai fait le rapprochement entre ce petit jeune qui était entré à quelques minutes de la fin et Messi. Et donc oui, j’avais joué contre Messi.

Tu n’en avais jamais entendu parler à l’époque ? Ah non non. C’était un petit jeune qui entrait, je pense qu’hormis la sphère catalane, personne n’en avait vraiment entendu parler. Donc sur le coup, ça ne m’avait pas marqué plus que ça ! Jamais tu ne peux prévoir qu’un petit jeune qui entre va faire la carrière qu’il a faite derrière. Là, sur ce match, oui il marque, mais il bénéficie aussi d’une super passe de Ronaldinho, donc limite quand t’es sur le terrain, en tant qu’adversaire, tu te dis : « Ouais, OK, si Ronaldinho me met un caviar comme ça, moi aussi je la mets. » (Rires.)

Je me demandais pourquoi Rijkaard avait fait entrer ce petit con qui voulait juste nous enfoncer…

Et sur le coup, il t’avait fait quelle impression ?Tu veux savoir ce que j’ai vraiment pensé ? Je me demandais pourquoi Rijkaard avait fait entrer ce petit con qui voulait juste nous enfoncer. (Rires.) Nous, on était dans la merde, on était sur une terrible série de défaites, donc on était surtout centrés sur nous, notre relégation, notre désarroi, plutôt que sur la réussite d’un petit qui venait d’entrer. Donc je n’en ai même pas profité. Nous, on était là pour faire un exploit, il n’y avait que 1-0, sur un malentendu on aurait pu ramener un point…

Il y a des joueurs qui t’ont fait vraiment une grosse impression la première fois que tu les as vus jouer ?Oui, je me souviens d’Alan Shearer au Tournoi de Toulon, en 1991. Il finit meilleur buteur et meilleur joueur du tournoi, et j’ai même son maillot à la maison. Il avait vraiment été impressionnant, hyper fort. J’avais également été impressionné par Joaquín à ses débuts au Betis, tu sentais qu’il avait quelque chose. Après, en tant que recruteur, j’avais repéré Toni Kroos, alors qu’il était vraiment tout jeune. Au tournoi de Limoges, j’avais aussi repéré Blaise Matuidi. Quand tu vois ces gars-là remporter plus tard une Coupe du monde, tu te dis que t’avais vu juste.

Juste avant la trêve internationale, Rennes a battu le PSG, l’occasion pour toi de « recroiser » Messi, 16 ans après. Quelle impression t’a-t-il fait ? Même s’il n’a pas fait un grand match, tu sens que dès que le ballon passe par lui, le jeu s’éclaircit. Il est tout le temps en prise d’informations. Même quand il joue en une touche, la vitesse de décalage qu’il peut faire, ça offre des possibilités à l’équipe. Il est peut-être un peu moins capable de slaloms comme il y a cinq-six ans, mais en revanche, il a l’intelligence de s’appuyer sur les autres, un peu à l’image de ce qu’il a fait avec Mbappé face à Manchester City. Peut-être qu’il y a cinq ans, il y serait allé tout seul, en éliminant et en frappant. Ou en lobant le gardien, comme contre nous. (Rires.)

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